"Corse : une justice pour l’apaisement
Condamnés pour complicité dans
l’assassinat du préfet Claude ERIGNAC, Pierre ALESSANDRI et Alain FERRANDI sont
emprisonnés depuis près de vingt-quatre ans. Ils sont éligibles à une libération
conditionnelle depuis plus de cinq ans. Au printemps dernier, ils ont enfin été
rapprochés à la prison de Borgo, près de Bastia. Ces rapprochements ne sont pas
le fait de la simple application de la loi que les élus de toutes tendances
confondues, en Corse et au niveau national n’ont eu de cesse de rappeler ces
dernières années. Ils interviennent après plusieurs semaines d’émeutes à
Ajaccio, Bastia, Corte et Porto-Vecchio suite à l’assassinat d’Yvan COLONNA
dans la prison d’Arles. Une fois de plus, l’histoire récente entre la
République et la Corse ne semble pas servir à la compréhension du présent. Depuis
les évènements d’Aléria en 1975, les relations entre les deux parties se sont
inscrites dans des cycles de violence et de négociation au détriment d’un apaisement
durable.
La situation des deux hommes
semble à nouveau s’enliser. A ce jour, aucune perspective de libération conditionnelle
ne se dessine. Peut-on un seul instant penser raisonnablement que leur
rapprochement à la prison de Borgo puisse constituer la dernière étape de leur
parcours judiciaire. Peut-on imaginer qu’ils finiront leur vie en prison avec
pour seul sursis les visites de leurs proches au parloir ! Il est temps
d’oser l’avenir pour Pierre ALESSANDRI et Alain FERRANDI mais aussi pour la Corse.
Le dialogue engagé entre la Corse et Paris ne pourra s’inscrire dans le temps
que si et seulement si la justice cesse d’être confondue avec la loi du talion.
Il suffit pour cela de respecter les règles pénitentiaires européennes auxquelles
la France adhère, notamment celle qui « reconnaît que les détenus, condamnés ou non, retourneront un jour vivre
dans la société libre et que la vie en prison doit être organisée de façon à
tenir compte de ce fait. »
Nous n’oublions pas cette
autre attente de justice à l’origine de la révolte de la jeunesse corse en ce
début d’année : la vérité sur l’assassinat d’Yvan COLONNA, toute la
vérité, rien que la vérité. Un premier pas a été fait en ce sens avec la
publication du rapport de l’inspection générale de la justice sur le fonctionnement
à la maison centrale d’Arles et les responsabilités engagées suite à
« l’agression » d’Yvan COLONNA. De nombreuses questions demeurent toutefois
en suspens, notamment sur l’importance donnée aux avis réservés et très
réservés des autorités judiciaires antiterroristes relatifs à l’affectation et
au transfert dans une autre prison, en quartier d’évaluation de la
radicalisation (QER) de l’agresseur. En effet, selon les auteurs de ce rapport,
ces avis sont allés outre la compétence de ces autorités, précisant qu’«une
affectation en QER … aurait pourtant été utile dès 2019 » et donc antérieurement
à l’agression.
Oui, il est temps d’en finir avec les malentendus qui depuis un demi-siècle alimentent des cycles de violence et de négociation non aboutie. Alors, le dialogue engagé se fondera sur une promesse première de la République, l’égalité devant la loi et en droits, permettant ainsi d’aborder dans des conditions apaisées la dimension politique de la question corse, et la place singulière de la Corse dans la République."
Corse-Matin 1er octobre :