RETOURS SUR L'HISTOIRE DE LA LDH suite aux accusations du gouvernement

Emission France Culture avec Patrick BAUDOUIN - L'offensive contre la ligue des droits de l'Homme - 28 mai 2023


De quoi la Ligue des droits de l’Homme est-elle lenom/non ?

Par Emmanuel Naquet Historien - Revue AOC - 2 mai 2023

Association politique mais non partisane, la Ligue des droits de l’Homme, scandaleusement attaquée ces dernières semaines par le gouvernement lui-même, n’a cessé depuis sa création en 1898 de défendre toutes les libertés et les droits économiques et sociaux. L’historien Emmanuel Naquet rappelle, exemples à l’appui, comment la LDH s’est toujours mise au service d’une certaine vision de l’État de droit et d’une République revivifiée, plus ouverte et plus juste, dans le cadre d’une démocratie politique et sociale.

Auditionné au Sénat le 6 avril 2023 sur l’action des forces de l’ordre lors du rassemblement citoyen du 25 mars contre la mise en place d’une méga-bassine à Sainte-Soline dans les Deux-Sèvres, manifestation finalement interdite, le ministre de l’Intérieur est interpellé par le sénateur LR du Tarn-et-Garonne, François Bonhomme, ému du rôle joué par la Ligue des droits de l’Homme (LDH). « La Ligue des droits de l’Homme est financée sur fonds publics. Il faut cesser de financer des associations qui mettent en cause gravement l’État […]. Ces associations n’ont rien à voir avec l’État de droit, quoiqu’elles en disent », estime le sénateur. Ce à quoi Gérald Darmanin répond : « Effectivement, ça mérite d’être regardé. »

Interpellée dans la même Haute-Assemblée quelques jours plus tard, le 12 avril, à l’occasion des questions au gouvernement, la Première ministre, Élisabeth Borne, déclare connaître l’histoire de « cette grande association », jugeant que « pendant longtemps, l’histoire de l’émancipation républicaine et celle de la LDH se sont mêlées. L’universalisme était un terreau commun ».

Mais l’ancienne conseillère des socialistes Lionel Jospin et Jack Lang, avant de devenir directrice du cabinet de Ségolène Royal au ministère de l’Écologie, ajoute : « Je ne comprends plus certaines de ses positions. Cette incompréhension […] s’est fait jour dans ses ambiguïtés face à l’islamisme radical, et elle s’est confortée depuis quelques mois ».

En contrepoint de ces deux proclamations, l’ancien président de la LDH, le pénaliste Henri Leclerc précise, dans un entretien à L’Humanité du 12 avril 2023, dont la une porte une pétition de soutien à la LDH, que les associations « sont l’expression d’un collectif » et « un fondement de la démocratie ». Deux jours plus tard, l’avocat Patrick Baudoin, ancien président de la FIDH et responsable de la LDH depuis 2022, affirme dans Le Monde que « notre pays […] glisse progressivement vers les régimes illibéraux ».

On le voit, deux séries de déclarations opposées montrent les tensions entre un exécutif qui se veut transpartisan et réformiste, d’une part, et l’un des plus anciens corps intermédiaires à vocation généraliste, défenseur des droits humains, d’autre part. Quatre discours qui questionnent la nature de notre République en particulier, et de notre démocratie en général, dans ses représentations – à tous les sens du terme – comme dans ses pratiques. Quatre visions au cœur des débats actuels interrogeant les légitimités et légalités des acteurs de la polis, à associer ici aux questions des valeurs et des principes d’organisation des sociétés. Quatre perceptions qui interrogent le triptyque de la chose publique en France – liberté, égalité, fraternité –, mais aussi la solidarité et la dignité, même si ce sont, en l’occurrence, davantage la place et le rôle des libertés individuelles et publiques qui sont en jeu.

La LDH, un OVNI (objet de vigilance non identifié) ?

La Ligue des droits de l’Homme est créée en 1898, en pleine affaire Dreyfus. Les dreyfusards réunis lors du procès Zola s’insurgent contre la condamnation pour haute trahison d’un capitaine d’artillerie où, au-delà de la raison d’État, sa judéité pèse. Ils entendent structurer, avant même la loi de 1901 qui autorise les associations, un mouvement pour défendre Alfred Dreyfus. Cette fondation s’explique donc largement par la double impasse, judiciaire et politique, dans laquelle se trouvent les dreyfusards. Son premier manifeste condamne ainsi « l’irrégularité du procès » et « l’innocence du condamné ». Stigmatisant une « campagne de diffamation et de mensonges », le texte pointe aussi l’antisémitisme qui frappe un citoyen.

Mais le modèle d’engagement, civique, éthique et foncièrement politique, est affirmé dans son premier manifeste qui considère que « le condamné de 1894 n’est pas plus juif à nos yeux que tout autre, à sa place, ne serait catholique, protestant ou philosophe », mais un « citoyen dont les droits sont les nôtres ». L’extrapolation de la cause est claire : « Toute personne dont la liberté serait menacée ou dont le droit serait violé est assurée de trouver auprès [… de la LDH] aide et assistance ». Et l’association de rappeler que «l ’intérêt de tous les citoyens est engagé de ne jamais accepter, même sous prétexte de raison d’État, l’abandon des formes légales qui sont la garantie d’une application prudente de nos lois répressives. L’œuvre de la Justice n’offrirait aucune sécurité, si la violation flagrante des droits de la défense restait sans recours ». La nature de ces lignes fait sens : il ne s’agit pas d’une courte protestation, avec les signataires d’une pétition, mais d’un texte fondateur.

Des libéraux modérés en sont les initiateurs, le député et ancien ministre Yves Guyot, les journalistes Francis de Pressensé, jaurésien, Ernest Vaughan, directeur de L’Aurore qui vient de publier le « J’accuse… ! » et Georges Bourdon, future cheville-ouvrière du Syndicat national des journalistes. Des politiques également ont poussé à cette prise de position, à l’instar du sénateur radical Arthur Ranc ou du philologue Louis Havet.

Il reste que la jeune LDH n’est pas autorisée mais le gouvernement d’Henri Brisson la tolère par une décision du 18 juillet 1898. En effet, pour faire le pendant aux perquisitions dans les locaux de l’extrême-droitière Ligue des Patriotes, dirigée par Paul Déroulède, le pouvoir de Félix Faure décide, en vertu de l’article 291 du Code pénal et de la loi de 1834, de poursuivre, dans un « en même temps » de 1899, la très conservatrice Ligue de la Patrie française et la Ligue française des droits de l’Homme et du citoyen – tel est son titre exact. La perquisition, effective le 1er mars 1899, avec saisie de documents et de bons pour une valeur de 15 000 à 20 000 euros actuels –, avait été anticipée : le neurophysiologiste Louis Lapicque propose ainsi à ses collègues de fonder un journal « dont tous les adhérents de la Ligue seraient les abonnés », mais l’association revendique sa fonction.

Au lendemain du lancement de la procédure par un juge d’instruction, elle annonce « attendre avec confiance la décision qui sera prise sur les perquisitions pratiquées à son siège ». Son comité directeur – futur comité central et aujourd’hui comité national – considère s’être « toujours montré respectueux de la Loi [sic] », n’avoir « jamais fait autre chose que défendre l’idée de Justice et de Liberté » et ne pouvoir « admettre qu’un gouvernement d’origine républicaine lui retire le droit à la tolérance dont tant d’autres associations jouissent à côté de lui, alors surtout que de tous côtés la liberté d’association est réclamée ».

Ce sont son secrétaire général – le publiciste et critique d’art Mathias Morhardt –, son secrétaire général adjoint – Louis Lapicque –, son trésorier – l’industriel Henri Fontaine –, ses deux vice-présidents – le chimiste Édouard Grimaux et le biologiste Émile Duclaux, successeur de Louis Pasteur à l’institut éponyme – qui sont finalement poursuivis, car Ludovic Trarieux est couvert par son immunité parlementaire. Cela permet à ce dernier, avocat, de plaider la légitimité de la fonction de la LDH : « Qu’il existe des sociétés de secours mutuels contre la misère, de même n’en doit-il pas exister pour la protection de la liberté et de l’honneur ? ». Mais Ludovic Trarieux revendique aussi la participation des anarchistes à la dynamique : « Si des hommes […] se sont rencontrés avec nous dans les sentiments de justice auxquels nous faisons appel, nous n’avions point à les repousser, et nous ne pouvions, au contraire, que nous applaudir de les voir se ranger à des idées qui sont le patrimoine moral de la République. Nous n’avions pas à regarder qui marchait à côté de nous, mais vers quel but nous marchions ».

En définitive, la sanction se limite à une amende symbolique de 16 francs…Somme toute, 1898 fait écho aux années post-1968 lorsque la LDH prenait la défense des militants « gauchistes », et à l’actualité, alors qu’elle met encore et toujours en avant la liberté d’expression pour les « activistes » de « l’éco-terrorisme » (Gérald Darmanin).

Reste que l’association ne s’appuie pas seulement sur la pétition, la souscription, la réunion, au temps où la liberté de manifester dans la rue n’existe pas – il faut attendre 1935. Là encore, Ludovic Trarieux est à la manœuvre : quand, à l’occasion d’un meeting perturbé par les ligues d’extrême-droite, Francis de Pressensé, Mathias Morhardt et Ernest Vaughan sont arrêtés par la police, l’ancien garde des Sceaux Ludovic Trarieux leur écrit : « En usant du droit de réunion publique pour provoquer une manifestation imposante sur une grande question de justice et d’humanité, vous avez agi dans la plénitude de votre droit ».

Précisément, la Déclaration de 1789 est « la bible » des ligueurs, de 1898 à aujourd’hui. Des formules, toujours à rappeler, résonnent en eux. Quelques exemples : « L’ignorance, l’oubli ou le mépris des droits de l’Homme sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des gouvernements », des « droits naturels, inaliénables et sacrés », la « résistance à l’oppression », « le droit [pour tous les citoyens] de concourir personnellement, ou par leurs représentants, à [la] formation de la loi ». Deux articles sont à leurs yeux essentiels : « Nul homme ne peut être accusé, arrêté ni détenu que dans les cas déterminés par la loi » et « nul ne doit être inquiété pour ses opinions », ce qui explique l’un des nombreux combats gagnés par la LDH, la demande d’affichage de la Déclaration dans les écoles, dès 1901, puis dans les casernes, les commissariats, les tribunaux, dès 1905.

C’est bien sûr à partir de ce legs humaniste que la LDH élargit son horizon avant la Seconde Guerre mondiale et cela dans tous les registres, avec une progressivité vers des horizons inatteignables qui la met souvent en avance sur son temps, mais qui, parfois, la place dans une culture politique partagée.

Quelques exemples : défense des « indigènes » contre l’arbitraire, rejet de la peine de mort, exigence de la gratuité de l’enseignement à tous les degrés comme du maintien de la liberté de l’enseignement pour finalement s’activer en 1984 en faveur d’un service public unifié et laïque de l’éducation nationale, demande du droit de vote et d’éligibilité des femmes aux conseils municipaux – puis pour tous les scrutins –, attente d’une égalité des salaires des travailleurs des deux sexes, campagne pour la réhabilitation des « fusillés pour l’exemple », affirmation de la liberté des migrations et exigence de l’application du droit d’asile pour tous les réfugiés, recherche d’une démocratie participative, loin du discours de Bayeux du général de Gaulle et de la constitution de 1958 – elle s’oppose en 1962 à l’élection du président au suffrage universel direct –, condamnation des dictatures en Grèce, en Espagne, au Portugal, en Amérique latine, en Asie comme en Europe de l’Est, applaudissements à la fin des juridictions d’exception, appel à un droit de vote pour les résidents étrangers, à commencer par les élections municipales, et à une régularisation des sans-papiers, lutte contre toutes les discriminations, sexistes, homophobes, etc., revendication d’une justice environnementale…

Mais il serait erroné de croire que la LDH se limite à des postures de vigie. Sans être un contre-pouvoir, cette association politique mais non partisane prouve que les droits sont politiques. Elle participe ainsi à la séparation des Églises et de l’État, suggère des réformes fiscales comme la taxation des plus-values du capital ou la diminution des impôts indirects, propose une révision de la justice militaire, soutient la mise en place des assurances sociales, annonçant la Sécurité sociale, collabore avec la défenseure des droits, la contrôleure des lieux de privation des libertés, la CNCDH, plaide pour la solidarité et applaudit au principe de Fraternité reconnu par le Conseil constitutionnel.

En définitive, un inventaire à la Prévert ? Certes, les prises de position s’égrènent sur les 125 ans de son histoire, avec des prudences – le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, poussé par la LDH, est à destination des nations européennes et si la LDH condamne tous les arbitraires dans les colonies, le souhait d’indépendance des peuples soumis vient plus tard (1950 pour le Vietnam et 1962 pour l’Algérie, avec une acceptation des accords d’Évian). Mais il est des fils rouges qui sont autant de signes de pérennité et de fidélité de la place et du rôle de la LDH face aux pouvoirs, avec quelques moments d’égarements, lorsque la politique la saisit.

Quand la LDH pense contre elle-même

D’emblée, la LDH s’est refusée à ne pas faire de politique. Si, aux élections municipales de 1900, elle décide de s’abstenir deux ans plus tard, l’opposition des droites conservatrices et extrêmes au gouvernement très dreyfusard de « Défense républicaine » l’a fait entrer dans l’arène. Il s’agit, après avoir dénoncé le « nationalisme, cette sorte de Protée de la réaction, qui tantôt parle au nom d’un monarque, tantôt au nom d’un César, tantôt au nom d’un agitateur vulgaire, tantôt même au nom d’une République de parade, mais qui, sous tous ces masques, sert avant tout la congrégation et s’inspire du Syllabus », la LDH adresse, au second tour, un manifeste aux « électeurs républicains » en faveur du candidat « réellement républicain ».

De même, la « campagne laïque » de 1902-1903 qui permet à Émile Combes d’arriver au pouvoir s’appuie sur les sections de la LDH. De même, en 1924, avec la victoire du Cartel des gauches ou, en 1936, avec celle du Front populaire, auxquelles elle a contribué, à sa base avec les comités antifascistes constitués au lendemain du 6 février 1934 et à son sommet autour de figures comme Victor Basch et Émile Kahn. Plus près de nous, en 2017 comme en 2022, l’association a appelé à faire barrage au Rassemblement national.

Néanmoins, trois moments peuvent-être dégagés où la LDH a pu s’écarter un temps des droits, et d’abord au moment de l’affaire des fiches. Qu’en est-il ? Nous sommes en octobre 1904. Un proche collaborateur du général André, le commandant Cuignet, a mis sur pied un dispositif permettant, avant d’établir les promotions d’officiers, de connaître, grâce aux informations transmises par le Grand Orient, le degré de fidélité au régime républicain des candidats ; un véritable système a donc été mis en place pour épurer l’armée. En fait, le combisme au pouvoir, contesté au centre-droit et par des radicaux dissidents, est le prolongement politique d’une affaire Dreyfus qui a révélé́ le caractère globalement antirépublicain et même antidémocratique de la tête de l’Armée.

Or, il faut un mois à la direction pour choisir entre l’éthique et la politique, à la suite des vives critiques de dreyfusards des origines – le juriste Charles Rist, le pasteur Louis Comte, le sociologue Célestin Bouglé et le philosophe Georges Sorel, qui a déjà pris ses distances avec la LDH. Dans les Cahiers de la Quinzaine, Charles Péguy sera sévère sur cette « délation » des droits de l’Homme, tandis que des dreyfusards comme le gambettiste Joseph Reinach, le radical Paul Guieysse, l’historien Émile Bourgeois quittent la LDH.

Alors que le ministre de la Guerre démissionne, cette dépression permet au deuxième président de la LDH, Francis de Pressensé, soutenu par de purs libéraux comme l’ancien ministre Yves Guyot, directeur du journal dreyfusard Le Siècle, de défendre avec lucidité un paradigme d’engagement dans la Cité : « Une grande crise morale a le noble privilège d’élever les hommes au-dessus d’eux-mêmes, de faire tomber bien des préjugés, de rapprocher bien des volontés, de dissiper bien des malentendus… Elle ne peut refaire les esprits. » En fait, c’est par le haut que l’association sort de cette faillite en réclamant la suppression de toutes les notes secrètes concernant tous les fonctionnaires ; en bref, l’arrêt d’une pratique de fichage. Quelques mois plus tard, Francis de Pressensé admet avoir jeté « dans la balance le poids de son autorité morale pour dénoncer au pays le seul gouvernement auquel, depuis notre fondation, nous ayons dû un commencement de satisfaction à la démocratie française. » De fait, l’unité du Bloc des gauches est préservée et la révolution dreyfusienne continue avec la loi de séparation des Églises et de l’État.

Autre « crise de conscience » (Charles Péguy), les Grands Procès de Moscou. Le contexte est fort différent, et là encore largement explicatif. La LDH, après un acmé en 1932 – elle fédère alors quelque 180 000 adhérents et 2 400 sections –, ce « monument constitutif de la République », selon la formule du dreyfusard, ligueur et ancien président du Conseil Léon Blum à son congrès de 1937, demeure une association de masse, aux fortes audience et influence. Le signe ? Sa participation dans la formation du Front populaire, déterminante au lendemain du 6 février 1934, journée de manifestation des ligues d’extrême-droite analysée à gauche comme une tentative de coup d’État des « factieux ». En riposte, à l’occasion du 14 juillet 1935, un manifeste est lu et un serment est pris, qui illustrent le rôle de Victor Basch (et d’Émile Kahn), en lien notamment avec la CGT, le Comité de vigilance des intellectuels antifascistes, et de multiples autres organisations de gauche.

Le comité national pour le Rassemblement populaire se réunit au siège de la LDH ; il est chargé d’élaborer un programme commun et des accords de désistement dans la perspective des législatives du printemps 1936. Victor Basch en prend symboliquement la présidence. Cette union des gauches, y compris avec un PCF qui a abandonné la tactique « classe contre classe », se réalise alors que deux dictatures totalitaires s’établissent en Italie avec Mussolini à partir de 1922, puis en Allemagne avec Hitler dès 1933. Les tensions en Europe s’accroissent : remise en cause du Traité de Versailles par l’Allemagne nazie, agression contre l’Éthiopie par l’Italie fasciste, guerre d’Espagne à la suite du coup d’État de Franco.

Mais les grands Procès de Moscou. Qu’est-ce à dire ? Staline mène une campagne d’épuration idéologique en URSS en cherchant à éliminer les opposants trotskistes ou alliés à Léon Trotski, dont des bolcheviks historiques comme Lev Kamenev et Grigori Zinoviev. Saisie, la direction de la LDH faillit, à l’image d’ailleurs d’autres associations. Elle soutient la démarche de son juriste Raymond Rosenmark, louant son impartialité et son « raisonnement juridique impeccable », ce qui est assurément contestable puisque les conclusions se fondent sur les aveux des condamnés. La direction ne tient pas compte du dysfonctionnement de la commission censée proposer un travail collectif, ne s’associe pas aux autres structures d’enquête, allant jusqu’à refuser de publier l’article critique de la journaliste Magdeleine Paz… Pourtant, vingt ans auparavant, la LDH avait étudié en profondeur le régime bolchevique issu de la Révolution de février et du coup d’État d’octobre 1917.

Car si Victor Basch a clairement exprimé son « trouble » et ses « angoisses », le dilemme antifascisme/pacifisme surplombe toute analyse, au temps de l’arrivée massive des réfugiés italiens, allemands (juifs), espagnols fuyant les dictatures et sollicitant la LDH, et alors que l’URSS apparaît, avec les brigades internationales et avant le pacte germano-soviétique, comme la patrie de l’antifascisme.

Quand la LDH en lutte pour la liberté

Au-delà de ces contradictions, le mouvement se caractérise par de belles constantes. Plus « l’Affaire est finie, plus elle prouve », a affirmé Charles Péguy. Qu’on en juge à travers ces quelques exemples.

Les libertés sont au cœur de la « mission » – tel est le terme qui transparaît alors de la rhétorique ligueuse, aujourd’hui délaissé par celui de « mandat ». Mais, intraitable sur les principes, elle peut les affirmer jusque contre son camp. Ce que l’historiographie a appelé « l’affaire des officiers de Laon » dévoile l’un des fils rouges de la tunique ligueuse, tissée tout au long de ces 125 années. Nous sommes au temps de la lutte contre le cléricalisme, au lendemain de la séparation des Églises et de l’État, quand la LDH prend la défense d’officiers catholiques, sanctionnés pour avoir assistés, en dehors de leur service et en civil à la messe. Le ministre de la Guerre, l’ex-lieutenant Picquart devenu général, dans un gouvernement présidé par le dreyfusard Clemenceau, applique une vision restrictive de la laïcité. À l’occasion de cet affrontement entre deux gauches irréconciliables, la LDH, non sans remous en son sein, condamne la « violation inadmissible du principe de la liberté de conscience ». Et perd en quatre ans la moitié de ses adhérents.

En l’occurrence, alors que Ludovic Trarieux, l’ancien rapporteur aux Sénat des « lois scélérates » avait rejoint Francis de Pressensé dans la condamnation de celles-ci , la LDH défend toutes les libertés. C’est une ligne dont elle n’a pas dévié, considère-t-elle : de la loi de 2004 sur les signes religieux dans l’école publique, la LDH pointant « l’exclusion dont est déjà victime toute une catégorie de population » et estimant que l’accès de tous les enfants à l’école laïque constitue la meilleure chance d’émancipation, d’une part, jusqu’aux recours contre les arrêtés municipaux interdisant le port des burkinis sur la plage ou contre l’installation de crèches par certaines mairies aujourd’hui, d’autre part.

Cette attention à toutes les libertés, y compris syndicales, s’élargit avec l’intégration des droits économiques et sociaux, à la fin de la présidence de Ludovic Trarieux et plus encore avec son successeur Francis de Pressensé. En 1904, elle prête une assistance à la fois pécuniaire et judiciaire à des ouvriers grévistes emprisonnés ; en 1907, elle soutient les dirigeants de la CGT emprisonnés pour « complot » et proteste contre l’application du droit commun ; en 1910, elle intervient dans l’affaire Jules Durand, un docker syndicaliste condamné à mort pour le meurtre d’un ouvrier « jaune » dans une rixe, une « affaire Dreyfus ouvrière » au destin tragique : Jules Durand, gracié, est libéré, mais il a perdu la raison ; en 1920, elle demande l’amnistie des marins de la mer Noire et la libération de leur leader André Marty. Ces combats se traduisent par de nombreux départs : l’association est passée de quelque 89 000 adhérents en 1909 à 48 000 en 1913. Épuisement du dreyfusisme ou divisions classiques dans une association plurielle inscrite en politique qui peine à trouver le bon positionnement d’action au regard des principes ?

En tout cas, plus près de nous, en 1963, elle a pu blâmer la réquisition des mineurs en grèves et, avant comme après Mai 68, l’instrumentation de la police nationale contre les militants syndicalistes ou étudiants, ou les mesures d’expulsion contre Daniel Cohn-Bendit ou d’interdiction contre la Ligue communiste d’Alain Krivine.

Précisément, l’un des raisons de l’actualité de la LDH en 2023, c’est bien sa réflexion et son action dans les pratiques policières de la République qui ne garantissent pas toujours les droits des citoyens. Là encore, l’attention est ancienne : dès 1902, elle demande l’abrogation de la police des mœurs, qui permet une fouille au corps des prostituées ; dix ans plus tard, elle entend généraliser la judiciarisation des expulsions des étrangers y compris des réfugiés et faire respecter le droit d’asile contre l’arbitraire de l’État. On ne sera donc par surpris qu’elle condamne les camps construits pour enfermer des républicains fuyant le franquisme, comme ceux internant des Algériens pendant la guerre d’Algérie, comme la répression de la manifestation du 17 octobre 1961.

Ainsi initie-t-elle des campagnes successivement contre les lois anti-casseurs (1970), sécurité et liberté (1980), Perben (2002-4), Sarkozy (2003) et LOPPSI 2 (2011), aboutissant selon elle à une dérive sécuritaire, et interroge les législations d’exception, tels les successifs états d’urgence depuis 2005 ou les multiples fichages, d’EDVIGE au Fichier des personnes recherchées (FPR). Le schéma national du maintien de l’ordre est réprouvé, avant comme après 2021, parce qu’il ne permet pas une désescalade des tensions, singulièrement depuis les manifestations contre la loi travail El Khomri (2016), le mouvement des Gilets jaunes (2018-2019), ou l’opposition aux constructions de méga-bassines (2023).

Les poursuites contre des médias comme L’Express, France-Observateur ou La Cause du peuple, les pratiques des groupes Hersant ou Bolloré, les écoutes illégales contre des militants politiques, pacifistes en 1914-1918 ou communistes en 1939, entrent dans son mandat de libertés. Elle prend ainsi la défense des anciens ministres radicaux Joseph Caillaux et Jean-Louis Malvy poursuivis pour défaitisme pendant la Première Guerre mondiale. Elle fait aussi campagne en 1921 en faveur de Sacco et Vanzetti puis des époux Rosenberg condamnés à mort aux États-Unis. Sa force réside dans le fait qu’elle constitue une tribune de dénonciation quand l’État de droit est atteint, mais aussi dans ses actions empiriques et les conclusions qu’elle en tire. Dès ses origines, ce corps intermédiaire monte ainsi un service juridique, lance des missions d’enquête (de celle sur l’antisémitisme en Algérie à celle sur les manifestations étudiantes contre la loi Devaquet et la mort de Malik Oussekine en 1986, de celle sur les 25 morts d’Ouvéa en Nouvelle-Calédonie en 1988), lance ou intègre des collectifs avec des partenaires comme le MRAP, le SAF, le SM, la FCPE, la Cimade, le Gisti, la Ligue de l’enseignement, la Fondation Copernic, pour ne citer que ceux-ci.

Dernièrement, le rapport public sur les Brav-M, ces brigades policières à moto recréées en 2019 après le démantèlement des Voltigeurs, ou celui à venir sur les violences qui ont marqué le rassemblement à Sainte-Soline, rédigés dans le cadre d’Observatoires des libertés et des pratiques policières, l’identifient, de la part des pouvoirs, comme une empêcheuse de tourner en rond puisqu’elle dénonce les abus de droit – et donc les manquements à la déontologie policière. Face à l’accroissement des contrôles au faciès et aux poursuites pour outrage et rébellion, bref à une « justice d’abattage » (Henri Leclerc) s’inscrivant dans une politique du chiffre et de la répression du délit de solidarité, elle s’appuie sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme qui a maintes fois condamné la France pour les dysfonctionnements de ses forces de l’ordre.

Un patrimoine et un avenir

Suivre la trajectoire de la LDH permet donc de montrer comment l’histoire du Droit et l’histoire des droits s’entremêlent, comment l’histoire de la Justice et celle des justices se superposent, et plus encore comment l’histoire politique et l’histoire du politique se croisent et se retrouvent. La vocation de la LDH s’exerce, en outre, au service d’une certaine vision de l’État de droit : la réaffirmation, la consolidation, la protection mais encore l’extension des droits de l’Homme doivent être replacées dans une République revivifiée, plus ouverte et plus juste, dans le cadre d’une démocratie non seulement politique mais sociale.

Au départ, la LDH réactive les référents républicains, approuve et éprouve une conception libérale et individualiste de droits naturels, sacrés, universels et inaliénables face à des pouvoirs étatiques négligents, limitatifs ou annihilants en matière de droits. Mais peu à peu, elle se saisit de l’héritage de 1793, outrepasse une dimension recognitive et se transforme en espace de sommation de droits considérés comme légitimes et possibles, en particulier les droits-créances. Elle applique ainsi une conception in situ du droit qu’elle veut progressive et progressiste en se penchant sur la troisième génération de droits qui infère la notion de solidarité. Clairement, ce laboratoire des idées et des pratiques balançant entre l’individu et un État à contrôler, s’insère de plus en plus dans la dialectique entre le citoyen et les pouvoirs, entre le vote et les partis, entre l’anomique et l’institutionnel. En cela, la LDH propose une socialisation des citoyens et reflète un type de sociabilité. En cela, la LDH se place tour à tour et en même temps, en-deçà et par-delà le Parlement, le gouvernement, de l’État.

Par ailleurs, si elle bataille pour le formalisme, elle tente aussi de dire le droit en s’attachant à sa substance même, en combattant pour les droits subjectifs authentiquement protecteurs des individus comme à ces droits collectifs favorables au mouvement social, par-delà ses attentes d’un État social. Débordant la vision d’un homme abstrait, la LDH replace les droits dans le politique car, à ses yeux, le juridique, à la fois reflet et production d’une société, est l’expression d’une projet politique.

Transcendant la révolution dreyfusienne et prenant acte du dernier terme de la Déclaration de 1789, cette scène de la demande citoyenne appréhende le mythe fondateur que fut l’Affaire comme une postérité. Elle dépasse la seule éthique par une articulation politique avec un message, des choix, une image qui la font dépasser le statut de simple groupe de pression et lui donnent sa légitimité. Moins observatrice qu’actrice, experte tout en étant généraliste, reconnue par ses capacités d’appréciation et d’intervention, ce pôle participe ainsi à la démocratie en approfondissant la culture républicaine. La LDH dessine même un dessein avant tout civilisationnel puisqu’elle entend, par un travail de construction, déconstruction et reconstruction, accomplir l’humanité, puisqu’elle associe, au-delà de quelques contradictions, une promesse et un pari.

Emmanuel Naquet Historien, Chercheur au Centre d'histoire de Sciences Po Paris et membre des comités de rédaction d'Histoire@Politique

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La Ligue des droits de l’homme contre l’État ?

AOC - Par Éric Agrikoliansky Politiste - 8 mai 2023

Lorsqu’il a menacé la Ligue des droits de l’homme de supprimer ses subventions, Gérald Darmanin s’inscrivait dans une série de clivages idéologiques dans lesquels se reconnaît de longue date une partie de la droite, qui voit dans la « défense des droits de l’homme » le paravent d’un dangereux activisme marqué à gauche, voire à l’extrême gauche, destiné à subvertir l’autorité de l’État. C’est d’ailleurs un terrain d’entente possible avec l’extrême droite.

Gérald Darmanin a évoqué, mercredi 5 avril 2023 devant la commission des lois du Sénat, la possibilité de remettre en cause les subventions données par l’État à la Ligue des droits de l’homme (LDH) : ce soutien financier « mérite d’être regardé dans le cadre des actions qui ont pu être menées » par la LDH a affirmé le ministre de l’Intérieur…

C’est la dénonciation par l’association des conditions de maintien de l’ordre durant les événements de Sainte-Soline qui semble avoir été à l’origine de ces propos. Des membres de la LDH, participant en tant qu’observateurs, ont pu témoigner des violences commises contre les manifestants opposés aux mégabassines et constater que la lenteur des secours portés aux manifestants blessés pouvait refléter une obstruction délibérée des forces de l’ordre. En outre, la LDH avait attaqué un arrêté préfectoral visant la protestation anti-bassines interdisant le transport « d’armes par destination », c’est-à-dire à peu près n’importe quel objet pouvant être utilisé comme projectile, ce qui est contraire selon la LDH à la jurisprudence du Conseil constitutionnel.

Le 12 avril, la Première ministre Élisabeth Borne a ajouté, toujours devant le Sénat, que si elle avait « beaucoup de respect pour ce que la LDH a incarné », elle ne comprenait plus « certaines de ses prises de position », évoquant « ses ambiguïtés face à l’islamisme radical ». Le président de la LDH, Patrick Baudouin, s’est déclaré « surpris de la déformation » de la position de l’association : « L’amalgame que fait Mme Borne me hérisse et me révolte », il faut, a-t-il poursuivi, « apaiser le débat et non […] envenimer les choses » (Le Monde, 12 avril 2023).

De nombreuses voix se sont élevées pour condamner ces menaces contre la LDH, dont une pétition publiée en une de L’Humanité s’inquiétant de la « gravité extrême » de cette « intimidation à peine voilée (…) concernant une association centenaire, reconnue pour son action exemplaire dans la protection des libertés et le respect de l’État de droit. »

Au-delà de l’indignation manifestée par ceux qui se préoccupent de la liberté des associations, on peut s’étonner de ces attaques contre un collectif comme la LDH. D’abord parce que l’histoire de l’association se confond avec celle de la construction du régime républicain : fondée en 1898 pour regrouper les défenseurs de l’innocence de Dreyfus, elle a joué tout au long de la IIIe République un rôle central dans la défense des droits fondamentaux, des libertés publiques et plus largement du régime républicain, notamment menacé par les Ligues s’inspirant du fascisme ou revendiquant la destruction de la République – comme l’Action française de Charles Maurras, mouvement monarchiste violent et antisémite.

Dissoute sous l’Occupation, son siège est pillé et ses archives confisquées par les nazis à la quête de fichiers recensant ceux qu’ils traquaient (militants antifascistes, juifs, francs-maçons). Envoyées à Berlin, ces archives seront emportées à Moscou par les soviétiques à la fin de la guerre avant qu’une partie ne soit restituée à la Ligue en 2000. À la fin de l’Occupation, en 1944, le dernier président Victor Basch et sa femme, âgés de plus de 80 ans, sont assassinés par la milice.

Il est évidemment particulièrement maladroit politiquement de mener ces attaques contre la LDH, son histoire et ce qu’elle représente, même la Première ministre le reconnaît implicitement tout en affirmant que l’action de la LDH a profondément évolué et que certaines de ses actions pourraient menacer la République… La LDH a évidemment évolué. Exsangue à la Libération (elle ne compte plus que quelques dizaines de milliers d’adhérents alors qu’elle en revendiquait 180 000 dans les années 1930), la LDH se reconstruit très progressivement dans les années 1960 et 1970, notamment sous l’influence de deux de ses présidents, Henri Noguères et Daniel Mayer – qui présidera le Conseil constitutionnel de 1983 à 1986 et que l’on peut difficilement qualifier d’activiste « d’ultra-gauche »….

La ligue se revivifie et recrute l’essentiel de ses soutiens dans les milieux intellectuels modérés : enseignants du secondaire, universitaires, avocats qui affirment un attachement constant à la légalité républicaine et recherchent à la LDH un engagement civique et moral à côté des partis politiques, mais au-dessus de ceux-ci[1]. Investie par un nombre croissant de juristes dans les années 1970 et 1980, la direction de la Ligue défend des positions toujours légalistes, visant à agir par le droit, pour faire changer la loi, mais toujours en respectant le droit. L’activité de son service juridique, qui fournit des conseils juridiques bénévoles et discute avec les administrations les conditions d’application du droit, en témoigne. Comme le suggérait Victor Basch au congrès de 1929 de la LDH, celle-ci : « ne se borne pas à prendre en charge la portion de justice inscrite dans la loi, elle veut inscrire dans la loi la totalité de la justice ».

Certes, la Ligue n’a jamais caché son ancrage à gauche : dans la première partie du XXe, elle est un espace d’échange entre radicaux et membres de la SFIO. En 1934-1936, au nom de la lutte antifasciste, la LDH joue d’ailleurs un rôle important dans les discussions préalables à la constitution du Front populaire. Dans les années 1970 et 1980, de nombreux adhérents sont passés par les différentes organisations de la gauche française (PSA, PSU, SFIO puis PS, dissidents du PCF…).

Néanmoins, la Ligue a toujours conservé son indépendance à l’égard des partis en refusant de s’aligner derrière les positions d’une organisation en particulier. De plus, il faut souligner que les ligueurs se sont toujours placés à une distance prudente des idéaux révolutionnaires professés par ailleurs par les communistes, puis par l’extrême gauche française. Le PCF et l’extrême gauche trotskistes dans les années 1960 se gardent d’ailleurs eux-mêmes de revendiquer la cause des droits de l’homme, idéal bourgeois à leurs yeux : la défense des droits formels ne devant pas se substituer à la réalisation d’une véritable Révolution sociale (le PCF interdira d’ailleurs dans l’entre-deux-guerres l’appartenance de ses membres à la LDH, comme à la Franc-maçonnerie dont sont issus certains ligueurs).

Enfin, si la Ligue a pu incarner la « bonne mémoire » d’une gauche humaniste et soucieuse des libertés publiques, elle ambitionne aussi d’être aussi la « mauvaise conscience » de la gauche (selon la formule d’Yves Jouffa qui présida la LDH dans les années 1980) lorsque celle-ci était au pouvoir en critiquant largement son action.

Considérer que la LDH pourrait encourager, voire soutenir, l’islamisme radical et ses dérives violentes est évidemment grossièrement faux.

Certes, les positions de la Ligue ont évolué sur un certain nombre de sujets : farouche défenseur d’une laïcité intransigeante, héritée de la séparation de l’Église et de l’État, et se fondant sur un virulent anticléricalisme, les ligueurs ont récemment reconsidéré la question, par exemple à propos du port de « signes religieux », considérant que leur prohibition était attentatoire aux libertés et visait davantage à alimenter une islamophobie perçue comme rentable électoralement qu’à assurer l’unité de la république. On peut évidemment être en désaccord avec cette position, mais considérer que la LDH pourrait encourager, voire soutenir, l’islamisme radical et ses dérives violentes est évidemment grossièrement faux…

Alors quelle mouche a piqué le gouvernement pour qu’il s’attaque ainsi à une association qui s’identifie pour nombre de citoyens aux principes fondamentaux de la République, à la défense des libertés publiques et à la lutte contre le racisme et l’antisémitisme ? Est-ce une provocation accidentelle et mal maîtrisée de la part d’un ministre prêt à tout pour un peu de publicité ? Peut-être en partie. Mais il faut aussi replacer ces attaques dans le cadre idéologique qui lui donne sens et corps.

Il serait en effet trompeur de voir dans les propos tenus par les membres du gouvernement des dérapages individuels incontrôlés. Les menaces de Gérald Darmanin, qu’Élisabeth Borne a refusé de désavouer, doivent au contraire se comprendre dans le cadre d’échanges avec des élus Les Républicains dont les propos sur la LDH sont encore plus violents et réactivent de vieilles lignes de clivages politiques.

Lorsqu’il affirme vouloir « regarder » les subventions de la LDH, Gérald Darmanin acquiesce à une diatribe du sénateur LR du Tarn-et-Garonne François Bonhomme[2], qui appelait à « cesser de financer des associations qui mettent en cause gravement l’État », dont la Ligue des droits de l’homme. Ligue des « droits de l’homme par antiphrase » précise-t-il immédiatement. On se demande d’ailleurs quel sens l’élu donne à cette formule : suggère-t-il que la LDH est en réalité en lutte contre les droits de l’homme ?! Un peu plus tard, selon Le Monde, le chef de file des sénateurs Les Républicains, Bruno Retailleau, a proposé de « couper les subventions » à la LDH, dénonçant une « terrible ambiguïté et même une complicité » de l’association avec des organisations « islamistes » : la LDH « a eu sans doute un noble passé, un passé glorieux », mais elle est « en train de se perdre dans des querelles […] d’extrême gauche ».

Hors de l’arène parlementaire, Catherine Nay dénonce dans Valeurs actuelles (16 avril 2023) les « mensonges » de la LDH à Sainte-Soline et l’accuse, pêle-mêle, d’être « hystériquement anti-israélienne », de ne pas réagir devant « la recrudescence des actes antisémites » et finalement de risquer de « détruire la France républicaine ». Non seulement on ne voit pas bien en quoi l’évolution des positions de la LDH sur la laïcité affecterait sa capacité à observer le respect des libertés publiques (notamment le droit de manifester) par les forces de l’ordre, mais aucun élément de preuve n’est évidemment avancé. Ce qui frappe, c’est justement que ces dénonciations peuvent s’en dispenser.

Ces attaques s’adossent à une série de clivages idéologiques dans lesquels se reconnaît de longue date une partie de la droite, qui voit dans la « défense des droits de l’homme » le paravent d’un dangereux activisme marqué à gauche, voire à l’extrême gauche, destiné à subvertir l’autorité de l’État. C’est d’ailleurs un terrain d’entente possible avec l’extrême droite. Il est ainsi significatif que l’une des premières décisions de Steeve Briois (RN) lorsqu’il accéda à la mairie d’Hénin-Beaumont en 2014 fut d’expulser la LDH du local dont la mairie lui concédait l’usage et de supprimer sa subvention, au motif que l’association « d’extrême gauche », à ses yeux, s’était ingérée « dans la vie politique locale » (Le Monde, 8 avril 2014). Héritée de Barrès et Maurras, des nationalismes obsidionaux qui se développent justement après l’affaire Dreyfus contre les droits de l’homme et la LDH, l’obsession des racines, de la préservation de l’identité, de la « terre et des morts », travaille toujours une partie de la droite, comme en témoigne l’entreprise Zemmour.

Faut-il ainsi s’étonner de ces menaces émanant d’un ministre de l’Intérieur qui a collaboré à un journal lié à l’une des scissions de l’Action française (Politique magazine, dont le fondateur Hilaire de Crémiers dirigea le groupuscule Restauration nationale après avoir quitté l’Action française). Quelle que fût la nature exacte des relations du ministre avec les différentes fractions issues de l’Action française[3], on ne peut pas penser qu’il ignore tout à fait l’histoire de la LDH et des clivages qui l’opposèrent à l’Action française maurassienne. Menacer la LDH est donc tout sauf accidentel de sa part.

Bien entendu, il serait absurde d’accuser la droite parlementaire, et une partie du gouvernement, d’adhérer sans réserve au monarchisme xénophobe maurassien, mais il faut simplement constater que certaines catégories de pensée héritées de Maurras n’ont pas totalement disparu et peuvent conserver leur force structurante, au moins pour mobiliser les franges les plus réactionnaires de l’électorat de droite dans des moments d’exacerbation des clivages. L’opposition « pays réel/pays légal[4] » exhumée par Nicolas Sarkozy et Jean-François Copé au début des années 2010, réactivée au moment de la Manif pour tous, a aussi été réutilisée par Emmanuel Macron en février 2020 (justement au moment d’une première tentative de réforme des retraites…) pour justifier de la nécessité de réinvestir la question de l’immigration ou de la « lutte contre le séparatisme »[5]. C’est lorsqu’il faut rallier la droite que la régression vers ces clivages élémentaires de la vie politique semble retrouver son utilité…

Au-delà du nationalisme et de la xénophobie, il faut souligner que ce que dénoncent aujourd’hui, comme hier, les adversaires de la Ligue des droits de l’homme, c’est aussi et surtout le rôle joué par les « intellectuels » dans la vie publique. L’affaire Dreyfus marque en effet la « naissance des intellectuels[6] » au sens de l’émancipation d’un ensemble d’universitaires, de juristes, de savants qui s’appuient sur leur compétence pour intervenir dans l’espace public et s’opposer à la raison d’État, réclamer la transparence de ses procédures, voire le mettre en cause pour défendre les libertés individuelles. Ce rassemblement d’intellectuels que constitua la Ligue dès sa création[7] vise précisément à réaliser l’idéal d’un pouvoir fondé sur le droit, susceptible d’être passé au crible de la raison et devant rendre des comptes aux citoyens.

C’est son rôle de contre-pouvoir qui semble être la cible principale des attaques menées par quelques élus de droite à l’encontre de la LDH.

C’est contre la foi aveugle dans les « dogmes simples et intangibles : l’armée, la nation, l’autorité[8] », et « l’apologie du mensonge » que justifierait la raison d’État, que se constitue la Ligue. Ce que dénoncent les dreyfusards, ce sont les graves irrégularités qui entachent la condamnation de Dreyfus et le refus par l’État de les reconnaître, alors même que la preuve de son innocence peut en être établie factuellement (c’est par exemple l’objet de l’ouvrage de Jean Jaurès, Les preuves, publié en 1898[9]). La Ligue va ainsi placer dans la première partie du XXe siècle au centre de son action le fonctionnement de la justice (procédure pénale, campagnes contre la peine de mort, etc.), de l’armée (la réhabilitation des fusillés de la Grande Guerre par exemple) ou les interventions dans des erreurs judiciaires. Après 1945, au moment de la guerre d’Algérie, les ligueurs se mobilisèrent contre les mensonges de l’armée à propos de l’assassinat de Maurice Audin.

Or, c’est ce rôle de contre-pouvoir qui semble être la cible principale des attaques menées par quelques élus de droite à l’encontre de l’association : que celle-ci puisse s’opposer au récit fait par les forces de l’ordre et par le ministère de l’Intérieur des conditions du maintien de l’ordre à Sainte-Soline, qu’elle demande des comptes et contribue à établir des faits beaucoup plus troubles que ne le laisse penser les déclarations d’un ministre de l’Intérieur décrivant des forces de l’ordre comme le dernier rempart contre les vagues déferlantes du black bloc… leur paraît insupportable. C’est ce dont témoigne, involontairement, François Bonhomme lorsqu’il affirme au cours de la commission d’enquête du Sénat que « les conditions du maintien de l’ordre ont été parfaitement respectées » à Sainte-Soline et dénonce ces associations, comme la LDH qui « mettent en cause gravement l’État »… On ne voit pas en quoi le rappel de la légalité par des associations menacerait l’État de droit, alors qu’elles visent au contraire à le défendre…

Les conditions d’exercice de la démocratie pluraliste impliquent en effet l’existence de contre-pouvoirs indépendants de l’État, voire appartenant à l’opposition politique (c’est le principe même de la démocratie pluraliste…), susceptibles de demander des comptes et de fournir un contre-récit à ceux du pouvoir justement. Doit-on confier à la gendarmerie le soin de statuer seule sur le bien-fondé de sa propre action[10] ?

Peut-on se contenter des affirmations du ministre de l’Intérieur renvoyant à des notes confidentielles des services (DRPP, DGSI) justifiant la répression policière, lors des manifestations contre la réforme des retraites après le 16 mars, par la nécessité de s’opposer à une « ultra-gauche » qui souhaiterait, selon des notes confidentielles de ces services, « prendre la direction du mouvement social » ?

Peut-on laisser aux institutions d’État le seul soin de juger des conditions d’usage de la « violence légitime », formule empruntée à Max Weber et utilisée sans cesse pour justifier la répression ? Ceux qui l’emploient oublient la plupart du temps que la légitimité n’est jamais acquise, mais doit être encadrée par le droit et être justifiable publiquement – au risque de ne plus être très longtemps considérée comme légitime par les citoyens… Un État irréprochable et légitime doit pouvoir supporter (dans tous les sens du terme, y compris financier) un tel regard public et critique sur une action dont il est redevable auprès des citoyens.

Au final, menacer les contre-pouvoirs comme la LDH, tandis que la « normalisation » de l’état d’urgence dilue les frontières entre démocratie et autoritarisme[11] et alors que l’extrême droite est aux portes du pouvoir, c’est plus qu’une faute politique, c’est une erreur historique qui pourrait se révéler à terme fatale pour la démocratie.

Éric Agrikoliansky

Politiste, Professeur des universités à Paris Dauphine-PSL et membre de l'IRISSO

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 Ligue des droits de l’homme : « La défense des libertés est devenue le sujet le plus brûlant de la période » Le Monde -Tribune

Le mépris de la démocratie parlementaire et sociale s’étend désormais aux droits fondamentaux, que la LDH a toujours défendus et défendra toujours, affirment, dans une tribune au « Monde », son président, Patrick Baudouin, et ses présidents et présidente d’honneur. Publiée le 3 mai 2023

Depuis quelques jours, le procès est instruit, tambour battant. La Ligue des droits de l’homme (LDH) ne serait plus elle-même, elle aurait changé, basculé du côté obscur des forces ennemies de la République, islamistes et autres « écoterroristes »… Les procureurs se bousculent : un ministre de l’intérieur, une première ministre s’activent aux côtés d’une brochette de polémistes toujours prompts à chasser en meute le « droit-de-l’hommiste ». L’un propose que l’on examine de près ses ressources, l’autre enfonce le clou.

Qui a changé ? Certainement pas la LDH. Fondée dans la lutte contre l’antisémitisme et une raison d’Etat prévalant sur les droits de l’homme et du citoyen, elle n’a jamais renié les principes de défense universelle des droits qui la guident depuis cent vingt-cinq ans. Contre la peine de mort, elle a défendu le droit à la vie ; contre l’arbitraire des tribunaux militaires, elle a obtenu leur dissolution ; contre la torture et les traitements dégradants, elle a défendu le droit à un procès équitable. Elle s’est dressée contre l’intrusion proliférante des fichiers, elle a campé aux côtés des indépendantistes kanaks, joué un rôle dans le processus de paix au Pays basque, combattu les violences policières, quels que soient les gouvernements en place.

Elle a fait vivre la fraternité aux côtés des migrants et des sans-papiers, elle combat aujourd’hui pour l’effectivité du droit à l’interruption volontaire de grossesse, accompagne les manifestations pacifiques pour une vraie politique face au changement climatique. La LDH, oui, considère, même lorsque cela dérange les pouvoirs en place, que les droits fondamentaux valent pour toutes et tous. Qu’ils valent donc pour des personnes dont elle n’approuve rien des idées ni des actes, qu’il s’agisse des collaborateurs en 1945 ou des djihadistes d’aujourd’hui.

Etranges « libéraux »

Certes, cela agace ; mais qui a changé ? Certainement pas la LDH, bien au contraire, et c’est ce qui déclenche cette attaque, au caractère réfléchi et qui vise plus large qu’il n’y paraît. Qui a changé ? Celles et ceux-là mêmes qui nous font ce procès, ces étranges « libéraux » qui, par-delà la LDH, mettent en œuvre la mise en cause de l’ensemble des garanties des libertés publiques. Comme s’il s’agissait d’intimider tout acteur indépendant et critique à un moment… tout aussi critique.

La liberté de manifester ? Elle est mise en cause par le durcissement des instructions données aux forces de police et de gendarmerie, y compris à l’égard de citoyennes et citoyens non violents. Cela se traduit par des blessures graves, des mutilations, voire pire, et par une instrumentalisation toxique des forces de police. On assiste ainsi au retour des charges de brigades mobiles à moto, proscrites depuis la mort de Malik Oussekine en 1986, et à un usage disproportionné d’armes qu’aucune autre police européenne n’emploie en pareil cas. A Sainte-Soline (Deux-Sèvres), de nombreux manifestants ont été blessés, dont deux en danger de mort, tardivement secourus.

A Paris, des manifestations ont été interdites au dernier moment et si discrètement que la justice administrative a désavoué le préfet de police. Ajoutons que la pratique devenue systématique d’interpellations « préventives » a empêché de manifester des centaines de citoyennes et citoyens qui n’ont évidemment fait ensuite l’objet d’aucune poursuite. La liberté d’association est logée à la même enseigne. Depuis 2021, le décret sur le prétendu « contrat » d’engagement républicain vise à asphyxier les associations indépendantes et critiques, dont plusieurs ont déjà été l’objet d’intimidations préfectorales.

Chaque événement semble propice à ce gouvernement pour renforcer un appareil sécuritaire. La surveillance systématique de la population va augmenter du fait de la loi récente utilisant la perspective des Jeux olympiques pour introduire la surveillance de millions de personnes à la recherche de « comportements anormaux » par des drones et des caméras dites « intelligentes ».

Les droits des étrangers, y compris le droit d’asile, vont à nouveau être restreints par un ensemble de lois dont le président de la République semble avoir déjà décidé du contenu. Et, comme toujours, la chasse aux étrangers continuera d’affaiblir les droits de toutes et tous. S’il n’avait tenu qu’à ce gouvernement, tous les enfants français de Syrie continueraient de croupir dans des camps. La LDH a été en première ligne du combat humanitaire pour leur rapatriement, inachevé à ce jour. Aujourd’hui, l’exécutif en vient à ficher ces mêmes enfants « préventivement » en présumant une sorte d’hérédité terroriste. De ce côté-là, hélas, rien ne change…

Crise démocratique profonde

Le moment de ces attaques n’a rien de mystérieux : démocratie et libertés ont toujours partie liée. Or, le passage en force d’un pouvoir privé de majorité parlementaire, désavoué par une large majorité de citoyennes et citoyens, et contesté par la totalité des organisations syndicales de ce pays, vient de mettre en lumière un blocage sans précédent de l’agenda politique du « monarque républicain » et une crise démocratique profonde, touchant à la fois le fonctionnement réel des institutions de la République, le dialogue social, la confiance des citoyennes et citoyens en celles et ceux qui ont le devoir de les représenter et de les respecter.

Tout se passe comme si le pouvoir actuel avait en tête, avec ce tournant autoritaire, de pouvoir sortir de son impasse politique en recherchant à tout prix une nouvelle majorité sans rivages à droite. Agresser la LDH dans ce contexte est de bonne tactique. Tant pis si les citoyennes et citoyens ont été trompés, à qui l’on avait demandé de voter contre l’extrême droite et qui avaient entendu le vainqueur par défaut de la présidentielle en 2022 assurer : « J’ai conscience que ce vote m’oblige pour les années à venir. » Tant pis s’ils doivent subir la régression des droits à laquelle ils pensaient faire barrage. Tant pis si tout cela ouvre la voie au pire.

La défense des libertés est ainsi devenue le sujet le plus brûlant de la période : le mépris de la démocratie parlementaire comme sociale s’étend désormais aux droits fondamentaux. C’est pourquoi la Ligue des droits de l’homme ne changera pas. Changer serait renoncer à assurer pleinement la mission qui est sa raison d’être aujourd’hui comme hier. Qu’on n’y compte pas : nous appelons au contraire l’ensemble des citoyennes et citoyens et des organisations attachées au respect de l’Etat de droit à se mobiliser face à des gouvernants qui semblent avoir perdu plus que leur sang-froid : le sens même de leurs responsabilités.

Patrick Baudouin est président de la Ligue des droits de l’homme (LDH) ; Jean-Pierre Dubois, Françoise Dumont, Henri Leclerc, Malik Salemkour et Pierre Tartakowsky, présidents et présidente d’honneur. 

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Henri Leclerc, président d’honneur de la LDH : «L’Etat a tendance à vouloir étendre son pouvoir, il faut des contre-pouvoirs pour le contenir» - Libération

Fort de soixante-cinq ans d’engagements, l’avocat et président d’honneur de la Ligue des droits de l’homme dresse un état des lieux inquiet de la situation des libertés en France, et appelle à protéger les remparts judiciaires ou associatifs contre les excès du pouvoir.

par Clémence Mary et Anastasia Vécrin publié le 1er mai 2023 à 14h42

Mediapart - BILLET DE BLOG 27 AVR. 2023

La LDH renforcée et combative dans une période de turbulences

La liberté associative est quant à elle menacée par le risque de suppressions arbitraires des subventions accordées aux associations. (...) C’est pourquoi, face à un tel danger, la LDH a sonné l’alarme et appelle celles et ceux qui entendent défendre notre modèle démocratique à s’engager à ses côtés avec détermination.

Patrick Baudouin Président de la LDH (Ligue des droits de l'Homme)

La première salve est venue sans surprise du ministre de l’Intérieur. Auditionné le 5 avril 2023 au Sénat sur la manifestation contre la mégabassine de Sainte-Soline, Gérald Darmanin a indiqué que les subventions accordées à la LDH méritaient d’être regardées « dans le cadre des actions qui ont pu être menées ». Cette menace voilée, d’une particulière gravité, faisait suite à toute une série de critiques infondées développées par lui. Le reproche a ainsi été formulé à la LDH d’avoir contesté un arrêté de la préfète des Deux-Sèvres interdisant le port d’armes. Or, d’une part, il n’est pas besoin d’un arrêté sur ce point puisqu’il s’agit d’un délit réprimé par un article existant du Code pénal, et d’autre part le recours visait l’interdiction également prévue par l’arrêté « d’armes par destination », en méconnaissance d’une décision du Conseil constitutionnel du 18 janvier 1995 ayant refusé l’extension a priori de la notion d’arme à tout objet pouvant être utilisé comme projectile. Le ministre de l’Intérieur mettait ensuite en cause la présence à Sainte-Soline de membres des observatoires des pratiques policières et des libertés publiques, qui ont pour mission de documenter les éventuelles dérives des forces de l’ordre, alors que le droit international, comme d’ailleurs le Conseil d’Etat, en consacre l’existence et la nécessaire protection lors des manifestations. C’est ainsi que la LDH a, avec beaucoup d’autres organisations, pu dénoncer l’usage disproportionné de la force par la gendarmerie avec notamment le recours de façon indiscriminée et massive à des armes de guerre tels que les LBD (lanceurs de balles de défense) ou les grenades de désencerclement de type dangereux GM2L. Mais la virulence de la réaction du ministre de l’Intérieur tient surtout au fait qu’après avoir soutenu que les allégations de la LDH sur l’interdiction de porter secours en temps voulu à un manifestant blessé en danger de mort étaient mensongères, ses propos ont été démentis par la production d’un enregistrement audio démontrant la véracité du retard dénoncé pour permettre l’accès du Samu à la zone concernée, parfaitement accessible.

Pourtant, alors qu’aucun des griefs ainsi avancés à l’encontre de la LDH ne résistait à l’examen, une seconde salve, plus surprenante, et encore plus inquiétante, est venue de la Première ministre. Elisabeth Borne, dont on aurait pu espérer si ce n’est de désavouer son ministre de l’Intérieur qu’elle en tempère au moins les propos, a en effet affirmé le 12 avril au Sénat, lors d’une séance de questions au gouvernement, qu’elle ne comprenait plus certaines des prises de position de la LDH, faisant mention, outre de la contestation de l’arrêté sur le port d’armes, de son incompréhension sur certaines « ambiguïtés face à l’islamisme radical ». La Première ministre va ainsi plus loin que G. Darmanin puisqu’elle n’hésite pas à s’approprier une des accusations récurrentes assez odieuse, faite d’amalgame et de contre-vérités, formulée par les contempteurs de la Ligue pour tenter de la discréditer. Non, madame Borne, il n’y a aucune ambiguïté par rapport à l’islamisme radical, et vous le savez fort bien. Les valeurs que nous défendons depuis toujours, à savoir liberté, égalité, fraternité, dignité humaine vont complètement à l’encontre de ce que véhicule l’islamisme radical. En revanche, notre boussole n’est rien d’autre que le respect des droits pour tous et toutes tels que définis par la Déclaration universelle des droits de l’Homme. C’est à ce titre par exemple que sans approuver le port du voile, nous rejetons une interdiction contreproductive pour laisser la femme libre, ici et en Iran ou ailleurs, de le porter ou non. Nous défendons pour les personnes accusées d’islamisme radical, comme pour les terroristes ou les assassins, le droit à être jugés équitablement. Il en va de même des droits dont doivent bénéficier les détenus, les étrangers, les migrants. La lutte contre toutes les formes de discrimination et de xénophobie, sans sélectivité, reste au cœur de notre engagement. Si combattre l’islamophobie nous paraît une impérieuse nécessité, ce n’est pas, contrairement à une petite musique insidieusement distillée, pour délaisser le combat plus que jamais nécessaire contre l’antisémitisme, celui-là même qui a été à l’origine de la Ligue et en parcourt toute l’histoire. Mais nous réaffirmons, au regard de la motivation réelle de nos détracteurs, que le droit international s’applique à tous les Etats, y compris celui d’Israël qui ne doit pas faire exception, et si l’existence et la sécurité de ce pays doivent être affirmées et protégées sans aucune réserve, il lui appartient de respecter enfin les résolutions des Nations unies violées depuis plus de cinquante ans quant à la cessation de l’occupation et de la colonisation, comme de mettre un terme aux violations de plus en plus inadmissibles des droits des Palestiniens.

Tels sont quelques-uns des nécessaires éléments de réponse à apporter sans relâche aux attaques de G. Darmanin et de E. Borne à l’encontre de la LDH. Cependant, il ne faut pas se dissimuler que l’essentiel est ailleurs. Outre qu’il s’agit largement d’une manœuvre de diversion pour essayer de détourner de la grave crise sociale et politique que connaît la France et à laquelle n’est apportée qu’une réponse répressive, c’est bien le sort de nos libertés qui est en question. Le caractère structurel des violations policières illégitimes dénoncées par la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH) constitue une entrave certaine à la liberté de manifester. La liberté associative est quant à elle menacée par le risque de suppressions arbitraires des subventions accordées aux associations. Couper les vivres à celles-ci représente un des éléments constitutifs de la politique des régimes illibéraux et autoritaires. C’est pourquoi, face à un tel danger, la LDH a sonné l’alarme et appelle celles et ceux qui entendent défendre notre modèle démocratique à s’engager à ses côtés avec détermination. Le formidable élan de solidarité dont la LDH bénéficiait depuis sa mise en cause par les plus hautes autorités de l’Etat n’a fait que renforcer sa combativité pour parvenir à cet objectif. La LDH garde le cap avec constance : la défense de l’Etat de droit.

Patrick Baudouin
Président de la LDH

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Médiapart - Billet de blog 20 avr. 2023 - Gilles Manceron

Quand Le Figaro s’en prend à l’antifascisme de la LDH

L'article du Figaro « Quand la LDH excusait les procès staliniens » prolonge l’offensive de Gérald Darmanin et de la Première ministre, Elisabeth Borne, contre la Ligue des droits de l’Homme. En cherchant cette fois dans son passé des raisons de la dénigrer, et sans tenir compte de sa préoccupation essentielle dans la période du Front populaire de rassembler toutes les forces contre le péril nazi.

L’article de Guillaume Perrault intitulé « Quand la LDH excusait les procès staliniens » paru dans Le Figaro du 18 avril 2023 tente d’alimenter l’offensive contre la Ligue des droits de l’Homme lancée par le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, et reprise par la Première ministre, Elisabeth Borne, en essayant cette fois de trouver dans le passé de cette association de nouveaux arguments pour la dénigrer.

Il s’agit de sa réaction face aux scandaleux Procès de Moscou qui se sont succédé entre août 1936 et mars 1938 dans l’URSS de Staline à propos de laquelle des auteurs avaient déjà mis en cause la LDH comme, plus généralement, la gauche française lors du Front populaire. Le Figaro y reprend les arguments déjà développés en 1984 par Christian Jelen dans son livre L’Aveuglement. Les socialistes et la naissance du mythe soviétique, et reprises en 1995, par François Furet, dans Le passé d’une illusion. Essai sur l’idée communiste au XXème siècle. Les mêmes accusations à l’emporte-pièce ont été répétées en 2013 dans le Dictionnaire historique et critique de l’antiracisme dirigé par Pierre-André Taguieff (PUF), par une notice sur la LDH de Max Lagarrigue qui avait aussi été l’auteur en 2006 de l’article, « D’un totalitarisme à l’autre… Les liaisons dangereuses de la Ligue des droits de l’Homme », dans la revue éphémère, Le Meilleur des mondes, créée pour défendre l’intervention des Etats-Unis en Irak.

La LDH ayant eu la bonne idée de documenter, grâce à ses Observatoires des libertés publiques, le comportement abusif de certains éléments des forces de police ou de gendarmerie lors des manifestations du 25 mars contre la mégabassine installée à Sainte-Soline dans les Deux-Sèvres, Gérald Darmanin a incité les institutions et les collectivités locales à cesser toute subvention à cette association qui ne cesse depuis cent vingt cinq ans de s'efforcer de défendre les droits de l’Homme et fait l'objet d'une reconnaissance mondiale. Elisabeth Borne a essayé d’élargir l'attaque en accusant de verser dans l’antisémitisme cette association qui s’attache pourtant à opérer une distinction rigoureuse entre la critique fondée sur le droit international de la politique des gouvernements de l’Etat d’Israël et les dérives antisémites qui rejaillissent y compris lors des mouvements de solidarité avec le peuple palestinien. Cette fois, dans la suite de cette offensive lancée par Darmanin contre la LDH, Le Figaro va chercher de nouveaux arguments pour la dénigrer les positions qu'elle avait prises dans la période qui suivait l’accession de Hitler au pouvoir en Allemagne et où les persécutions antisémites et la politique expansionniste du Reich laissaient craindre les horreurs que connaîtra l’Europe lors de la Seconde guerre mondiale et constituaient sa principale préoccupation.

Le Figaro reprend dans cet article les mêmes accusations inexactes proférées par ces auteurs contre la LDH, lui reprochant, sous prétexte d’antifascisme, d’avoir adopté dans l’entre-deux-guerres une attitude prosoviétique. Rien de plus inexact car elle a dénoncé avec force la prise du pouvoir par les bolcheviks en Russie après leur coup d’Etat réussi d’octobre 1917. En mars 1919, à la suite d’une commission d’enquête qu’elle a constituée le 28 novembre 1918 après la dissolution de l’Assemblée constituante par les bolcheviks, elle a, tout en s’opposant aux interventions étrangères contre l’URSS, condamné fermement leur régime et ses atteintes à la démocratie. Dans sa revue, Les Cahiers des droits de l’homme, l’historien Alphonse Aulard écrit en janvier 1920 un article intitulé « Le bolchevisme et la France » expliquant que les bolcheviks n’étant pas élus comme l’avait été en 1792 en France la Convention nationale, ils ne représentaient pas le peuple russe. Et dans la même revue, un article d'Henri Guernut intitulé « Le problème russe et la Ligue des droits de l’Homme » publié le 5 février 1920 appelait tous les démocrates hostiles à la tyrannie à s’opposer au bolchevisme.

Cette position a scandalisé la Section française de l’Internationale communiste (SFIC), le jeune PCF, qui a introduit en 1925 dans les cartes de ses adhérents, un volet que tous devaient signer comportant un engagement de non appartenance à la Ligue des droits de l’Homme. Et quand, en 1923, la LDH a créé, avec une association allemande, la Fédération internationale des droits de l’Homme (FIDH), les représentants russes qui y ont siégé jusqu’en 1938 ont tous été des opposants en exil au pouvoir soviétique. C’était le cas en particulier du juriste Boris Mirkine-Guetzévitch, qui a fait partie en 1935 de la commission créée par la LDH pour enquêter sur les Procès de Moscou et composée aussi du président de la Ligue, Victor Basch, et de l’avocat qui était l’un des conseillers juridiques de l’association sans faire partie de ses responsables élus dans ses instances, Raymond Rosenmark.

Le rapport du seul Rosenmark

Mais celle-ci n’est pas parvenue à un consensus et ses conclusions présentées le 18 octobre 1936 devant son comité central par le seul Raymond Rosenmark ne peuvent être présentées comme validées par l’association. Son rapport contient des phrases choquantes, qui créditent la culpabilité des accusés à partir de leurs seuls aveux obtenus sous la torture : « Si Dreyfus avait fait des aveux, est-ce que la Ligue se serait dressée pour sa défense comme elle l'a fait ? ». La jurisprudence et la doctrine de tous les pays font de l'aveu public, selon lui, «  une preuve définitive de culpabilité ». Victor Basch, qui aurait souhaité que la commission d’enquête entendent le fils de Trotsky, Léon Sedov, n’a pas souscrit à ce rapport et a dit son « trouble » et ses « angoisses » devant le bureau de la LDH qui a validé néanmoins la présentation du rapport Rosenmark au comité central. Un autre membre de cette instance, très populaire dans l'association, Félicien Challaye, a souligné a contrario que les condamnés « ont été brisés par une longue instruction préalable », que leurs aveux ne signifient rien et a estimé que la LDH doit protester avec la plus grande énergie.

La discussion s’est achevée sans vote. Victor Basch déclare que l'enquête n'est pas close, qu'elle n'est que suspendue. Il reconnait que Rosenmark n'a envisagé que la dimension juridique, dans un rapport incomplet et provisoire qu'il qualifie d'« avant-rapport ». Mais les Cahiers des droits de l'homme publient le 15 novembre 1936 le rapport Rosenmark et un article qui dénonçait sa cécité, soutenu par dix membres du comité central, est refusé. Au congrès suivant, à l'été 1937, Félicien Challaye conteste de nouveau que des aveux extorqués sous la torture constituent une preuve : « Si un dictateur m'avait emprisonné, s'il exigeait de moi des aveux et, au cas où je m'y refuserais, menacerait d'assassiner mon fils après l'avoir torturé, j'avouerais n'importe quoi ! ». Il présente une motion qui « regrette que depuis dix mois la Ligue se soit en fait abstenue de chercher la vérité sur ce que tant d'hommes en tous pays considèrent comme une monstrueuse parodie de justice », elle n'obtient que 258 mandats (58 abstentions) contre 1 088 à celle qui donne quitus au comité central. Mais ce vote s'explique par la volonté des Ligueurs de rassembler tous les Etats et toutes les forces politiques, y compris l'URSS et les communistes, susceptibles de s'opposer au projet nazi.

Il est clair qu’avec le recul du temps et avec ce que l’on sait des procès staliniens, cette prise de position de la LDH face aux Procès de Moscou a été défaillante eu égard aux règles de droit dont elle faisait sa référence. Dans sa lettre de démission du comité central, Maurice Paz écrit le 27 juin 1937 : « Ce sera à l'avenir un sujet d'étonnement que la Ligue n'ait pas trouvé d'autres accents publics que ceux du rapport de notre collègue Rosenmark pour caractériser la parodie sans doute la plus monstrueuse qu'aient enregistrée les annales judiciaires ».

Mais le contexte des années 1933 à 1939 doit être restitué (1). La LDH se mobilisait en 1936 pour l'aide aux républicains espagnols qui combattaient depuis le coup d'Etat franquiste de juillet, quitte à ce qu'elle affronte sur ce point le gouvernement de Léon Blum, et l'antifascisme et la mobilisation contre le nazisme étaient ses préoccupations essentielles. 

L'article de l'historienne Madeleine Rebérioux sur ce sujet, que la revue que la LDH, Hommes & Libertés, a publié en 1998 à l'occasion de son centenaire, est accompagné d'un encadré titré « L'impasse d'une analyse strictement juridique » : « Il faut certes se replacer dans le contexte de l'époque. Voir que tout ceux qui, dans les années trente, comprenaient que le fascisme et le nazisme constituaient la menace principale pour les libertés en Europe, et qu'il fallait préparer les démocraties à leur faire la guerre, en déduisaient logiquement qu'il fallait regrouper à l'échelle internationale toutes les forces susceptibles de s'y opposer, y compris l'URSS. Est-ce une raison pour se faire berner par la parodie de justice que constituaient les premiers procès de Moscou ? Si la Ligue des droits de l'homme a eu souvent des prises de positions dont elle peut aujourd'hui être fière, ce n'est pas le cas de ses conclusions de l'automne 1936 sur la validité des aveux et à la culpabilité des accusés (1) ».

Mais cela ne justifie en rien que le quotidien Le Figaro cherche en avril 2023 à rajouter une salve aux attaques inadmissibles proférées par Gérald Darmanin et Elisabeth Borne contre le rôle démocratique que joue la Ligue des droits de l'Homme.

En 1938, la direction de la LDH, celle de Victor Basch et d’Emile Kahn, a privilégié à raison l’antifascisme et l’opposition au traité de Munich. C’est un choix qui a conduit deux ans plus tard beaucoup de Ligueurs – tel Robert Verdier (3) – à une participation rapide et active à la Résistance, alors que nombre de personnalités véhémentes dans la critique de l’URSS sombreront dans la Collaboration… 

L’antinazisme était, pour la France et pour l’Europe, l’enjeu principal de l’heure. Un enjeu que ne voulaient pas voir ceux qui, avec Le Figaro de l’époque, refusaient de « mourir pour Dantzig » et disaient « plutôt Hitler que le Front populaire »…


(1) Emmanuel Naquet, Pour l'Humanité. La Ligue des droits de l'homme de l'affaire Dreyfus à la défaite de 1940, préface de Pierre Joxe, postface de Serge Berstein, Presses universitaires de Rennes, 2014.

(2) Gilles Manceron, « L'impasse d'une analyse strictement juridique », dans Hommes & Libertés, « 1898-1998. Une mémoire pour l'avenir », n°97/98, 1998, p. 47.

(3) Voir « Robert Verdier ou quand la gauche s'est réinventée ». Blog de Mediapart, 2 septembre 2016.

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La Ligue des droits de l’homme, mille et un chemins de la citoyenneté

Pierre Tartakowsky, président d’honneur de la Ligue des droits de l’Homme raconte les conditions et les raisons de son adhésion à cette institution, à l’heure où elle est attaquée.

Politis  • 18 avril 2023 Article paru  dans l’hebdo N° 1754

Après les attaques de Gérald Darmanin et Élisabeth Borne envers la Ligue des droits de l’Homme, le premier s’interrogeant sur les subventions versées à l’association, la seconde évoquant des « ambiguïtés », son président d’honneur Pierre Tartakowsky retrace ici les conditions et les raisons de son adhésion à cette institution.

Tout le monde connaît la Ligue des droits de l’Homme (LDH). Enfin… Tout le monde croit la connaître. C’est ce que je croyais moi-même, plus ou moins, avant. Avant d’y adhérer, presque par accident. La Ligue ? Il y avait l’affaire Dreyfus, c’était entendu. Pour le reste, cela évoquait une chimère assez lointaine : mi-association, mi-institution, peuplée d’avocats et d’enseignants, bref, pas pour moi.

Moi, je suis issu de la matrice communiste, de la CGT, où j’ai exercé toute ma carrière comme journaliste d’information sociale ; d’Attac, à la fondation de laquelle j’ai contribué. Alors, la Ligue, c’était tout à la fois trop impressionnant, trop chargé d’histoire, trop sentencieux. Pas assez d’action, non plus. Décidément pas pour moi.

La Ligue, c’était tout à la fois trop impressionnant, trop chargé d’histoire, trop sentencieux.

Jusqu’à ce que je bute sur elle, en la personne de Michel Tubiana, lors d’un covoiturage militant. Il s’agissait d’aller de Paris à Amiens – je crois bien que c’était Amiens – pour un débat coorganisé par Attac et la Ligue sur la tenue prochaine du sommet du G7 à Nice. La pluie tombait à verse et la conduite de Michel avait tout pour inquiéter.

Il parlait d’abondance tout en regardant son interlocuteur, moi en l’occurrence, bien plus souvent que la route. Je lui donnais la réplique et suppliais en moi-même la providence de nous faire arriver à bon port. Le retour se fit dans les mêmes conditions. Au moment de nous séparer, Michel m’informa que j’adhérais à la LDH. La chose était à ce point évidente à ses yeux qu’elle le devint aux miens.

Adhérer était simple, s’intégrer… L’engagement – syndical, associatif ou politique – procède parfois d’une heureuse rencontre aux suites souvent plus âpres. J’ai dû admettre au fil des ans que la Ligue, comme toute structure de plus de cent ans, avait ses routines et ses routiniers, ses tics et ses tocs, un passé sans cesse à réexplorer et un avenir à réinventer, encore et encore.

C’est qu’être association généraliste de défense des droits a un prix : c’est une folle diversité de priorités qui se bousculent, s’épaulent ou se marchent sur les pieds. Cet aimable charivari militant s’organise autour d’un mantra : « les droits sont universels et indivisibles », qui prête à sourire, tant les formules toutes faites minéralisent l’intelligence et pétrifient la vie. J’en ris moi-même souvent tant elle sonne creux lorsqu’on l’abandonne à elle-même.

C’est là qu’opère la magie de la Ligue : son activité tous azimuts transforme ce creux en trop-plein et de la diversité, elle fait convergence autour de cette obsession commune de la défense des droits et des libertés. Tous les droits et toutes les libertés, pour toutes et tous, ici et là-bas, où que se situe ce là-bas.

Le résultat est vertigineux : la Ligue et ses sections, c’est à la fois les négociations en Nouvelle-Calédonie et une intervention pédagogique en milieu scolaire ; l’assignation en justice de Dieudonné et la dénonciation de la prolifération de fichiers de police ; les manifestations contre les insultes racistes à l’encontre de Christiane Taubira et l’organisation de concours d’éloquence ; le soutien au processus de paix au Pays basque et les observateurs dans les manifestations ; l’engagement contre les activités sectaires et l’Observatoire de la liberté de création… C’est une défense de chaque instant contre les attaques qu’ont subies ces dernières décennies les libertés publiques et les droits civils. C’est par-dessus tout le refus d’une raison d’État primant sur les droits, qu’il s’agisse de ceux des détenus, des migrants, des enfants, des laissés-pour-compte ou des discriminés.

Cet aimable charivari militant s’organise autour d’un mantra : « les droits sont universels et indivisibles ».

Cela ne fait pas que des heureux : la LDH s’est vu successivement accusée de rouler pour les juifs et les Allemands, les bolcheviks et les francs-maçons, les « fellouzes » et les « ratons », les assassins, les pédophiles, les terroristes, les islamistes… Bref, un concentré d’anti-France.

L’actuel ministre de l’Intérieur et la Première ministre prennent place dans cette longue lignée de responsables politiques tristes et ridicules acharnés à nous convaincre que la liberté est un luxe, l’égalité une baudruche et la fraternité un mythe. Je les écoute conforter mon engagement, à leur manière détestable et, chaque matin, je remonte dans cette voiture roulant sous une pluie battante sur les mille et un chemins de la citoyenneté.

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Patrick Baudouin, président de la LDH :« Les libertés publiques en France sont en péril » 

En pleine polémique avec le gouvernement, le président de la Ligue des droits de l’homme répond, dans un entretien au « Monde », aux accusations de Gérald Darmanin et d’Elisabeth Borne.

LE MONDE - Propos recueillis par Franck Johannès

Publié le 14 avril 2023 à 05h00, modifié le 14 avril 2023 à 11h45

La première ministre, Elisabeth Borne, après le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, a mis en cause, mercredi 12 avril, la Ligue des droits de l’homme (LDH), qui s’est élevée contre les violences policières, notamment lors de la manifestation de Sainte-Soline (Deux-Sèvres). Mᵉ Patrick Baudouin, son président, répond point par point aux accusations du gouvernement.

Elisabeth Borne a indiqué devant le Sénat « ne plus comprendre certaines prises de position » de la Ligue des droits de l’homme. La LDH a-t-elle changé ?

Absolument pas et je suis à la fois blessé et révolté. Ses propos sont très graves, parce qu’elle est première ministre. Après les déclarations de Gérald Darmanin, on a senti un flottement chez plusieurs ministres, ou pour le moins une gêne : on espérait qu’Elisabeth Borne recadrerait son ministre dans un sens plus républicain, et plus respectueux de la liberté associative.

Aujourd’hui, j’ai quelque peu honte pour notre pays, qui glisse progressivement vers les régimes illibéraux. Quelles sont les prises de position qu’elle ne comprend plus ? Les deux seules précisions qu’elle apporte, c’est « que cette incompréhension s’est fait jour dans ses ambiguïtés face à l’islamisme radical » et en ce que « la LDH a récemment attaqué un arrêté interdisant le transport d’armes par destination à Sainte-Soline ».

Le second point, d’abord. C’est un reproche récurrent. Bien évidemment, la LDH est contre le port d’armes par des manifestants. Il y a dans le code pénal un article qui interdit le port d’armes, c’est un délit, donc il n’y a pas besoin d’un arrêté de la préfecture. Ensuite, l’arrêté n’interdisait pas seulement le port d’armes, mais aussi le port d’objets pouvant constituer « une arme par destination », c’est-à-dire n’importe quel objet susceptible d’être lancé sur les forces de l’ordre, un casque, une bouteille de bière… Or, le Conseil constitutionnel, le 18 janvier 1995, a considéré qu’on ne pouvait pas interdire le port ou le transport d’objets pouvant être utilisés comme projectiles, et qu’il s’agissait d’« une formulation générale et imprécise qui entraîne des atteintes excessives à la liberté individuelle ». On ne fait que s’appuyer sur une décision du Conseil constitutionnel.

Le juge des référés a rejeté le recours, mais ça s’est fait dans une grande précipitation et on entend continuer à contester ce type d’arrêté. On nous accuse souvent d’exercer des recours abusifs contre l’Etat ; or les trois quarts de nos actions sont des succès judiciaires. Je citerais simplement une des actions récentes contre des arrêtés du préfet de police de Paris pris à 17 h 30, affichés à 18 heures pour interdire les manifestations à 19 heures, sans possibilité réelle de les contester, et qui privait les manifestants de l’exercice du droit de recours.

Mme Borne dénonce aussi vos « ambiguïtés face à l’islamisme radical »…

Les valeurs défendues par la LDH, la liberté, l’égalité, la dignité de la personne, la fraternité vont totalement à l’encontre de ce que véhicule l’islamisme radical. Alors, venir nous dire qu’il y aurait une ambiguïté face à l’islamisme radical est une contre-vérité absolue, qui est inacceptable.

« Nous défendons tous les droits, même les droits des terroristes à être jugés équitablement, et non par des justices d’exception »

Il y a, derrière ce propos, en réalité, autre chose. Ce n’est pas la première fois qu’on nous fait ce procès. Nous défendons tous les droits, même les droits des terroristes à être jugés équitablement, et non par des justices d’exception. Nous défendons également les droits des personnes accusées d’islamisme radical, tout en condamnant absolument les actes eux-mêmes, nous défendons le droit des djihadistes à un procès équitable.

Il y a, à l’évidence, une montée de l’islamophobie. Or, bien sûr, nous combattons cela et nous avons été amenés à prendre des positions qui nous ont été reprochées, par exemple sur le port du voile : nous sommes là aussi pour la liberté, et pas pour les interdictions. Et on se sent très proches des femmes iraniennes qui refusent de porter le voile et qui, pour autant, admettent que d’autres femmes puissent le porter.

Vous avez aussi défendu un imam radical du Nord…

L’imam radical Hassan Iquioussen, qui a défrayé la chronique l’été dernier, vivait en France depuis sa naissance et n’avait jamais fait l’objet de la moindre condamnation pénale. Le ministre de l’intérieur, à un moment où il était dans l’agitation politique pour occuper le terrain, a pris, en juillet 2022, un arrêté d’expulsion : l’avocate de l’imam l’a contesté, et la Ligue est intervenue pour soutenir cette contestation. L’imam a d’ailleurs gagné devant le tribunal administratif et perdu devant le Conseil d’Etat.

Mais pourquoi sommes-nous intervenus, alors que nous avons été très critiqués ? Parce qu’il vivait en France, avait une famille et donc le droit au respect de sa vie familiale, c’est d’ailleurs ce qu’avait retenu le tribunal administratif. En revanche, il lui était reproché des propos antisémites absolument abjects, que nous avons condamnés absolument, mais qui remontaient à 2014. Il n’y avait pas eu de poursuites pénales, ce qui aurait dû être le cas. Et puis, il a eu des propos tout à fait contraires à l’égalité hommes-femmes, et tout aussi inadmissibles.

Mais nous souhaitons que les poursuites se fassent dans le respect du droit. Cela remonte à l’histoire de la Ligue, une lutte de cent vingt-cinq ans contre l’injustice et l’arbitraire. Notre combat est toujours le même, pour le respect du droit à un procès équitable. Nous sommes intervenus après la première guerre mondiale sur les fusillés pour l’exemple, et on nous a accusés d’être des traîtres à la patrie.

A la Libération, alors que la Ligue avait été une des victimes de Vichy et du nazisme, nous avons contesté les modalités de l’épuration. Au moment de la guerre d’Algérie, nous avons combattu la torture. Pour les sans-papiers de l’église Saint-Bernard [à Paris, en 1996], on nous a fait ce reproche d’être pour les étrangers, pour les immigrés. Tout ce que nous faisons, c’est défendre leurs droits.

Nous assumons le fait d’être un contre-pouvoir, parce que tout pouvoir comporte sa part d’ombre en ce qui concerne le respect des droits et libertés. Mais hormis la période de l’Occupation, nous n’avons jamais été attaqués aussi frontalement par un gouvernement.

M. Darmanin a dit que la subvention que l’Etat vous accordait méritait « d’être regardée dans le cadre des actions qui ont pu être menées »…

Cela mérite d’être regardé, oui. Dans la mesure où la Ligue des droits de l’homme reçoit des subventions publiques, elle est l’objet de contrôles, en particulier de la Cour des comptes. Et nos finances sont transparentes. Il suffit d’aller sur le site de la LDH pour voir que nous avons un budget d’un peu plus de 2 millions d’euros, que les subventions en représentent à peu près le tiers. Le reste, ce sont les cotisations de nos adhérents, les dons et les legs, tout cela est parfaitement transparent.

Ce qui est plus inquiétant dans le propos du ministre, c’est la menace voilée qui suit, « dans le cadre des actions qui ont pu être menées ». Cela veut dire, semble-t-il, que l’octroi de subventions se trouvera apprécié par le regard que l’Etat portera sur nos actions. Où va-t-on ? C’est exactement ce que font Viktor Orban, Benyamin Nétanyahou ou Vladimir Poutine. Cela voudrait dire qu’on va vous accorder des subventions si votre comportement va dans le sens du pouvoir. Cette menace est-elle susceptible d’être mise à exécution ? Mme Borne semble dire le contraire dans son intervention.

Au-delà de la seule LDH, c’est la liberté associative qui est en jeu. C’est ce que nous dénonçons avec d’autres depuis plusieurs mois, en particulier depuis le vote de la « loi séparatisme » d’août 2021 et le décret du 31 décembre 2021 sur le contrat d’engagement républicain. Ce contrat, qui n’en est pas un puisqu’il est imposé par l’Etat, fait obligation aux associations qui reçoivent des subventions de respecter sept engagements, dont l’un consiste à ne pas engager des actions de caractère politique, syndical, associatif, religieux qui pourraient constituer un trouble à l’ordre public. Chacun sait à quel point cette notion est large, et peut donner lieu à de multiples interprétations, surtout si venait au pouvoir un gouvernement d’extrême droite.

La LDH, à Sainte-Soline, a été accusée de diffuser de fausses nouvelles, en assurant que les secours n’avaient pas eu l’autorisation de secourir des blessés…

J’estime que la LDH a visé très juste avec Sainte-Soline. Deux éléments se conjuguent. Il s’agit d’abord de ce qu’on a pu contester lors des manifestations qui ont suivi le 16 mars, après le vote à marche forcée de la loi retraite. On a largement constaté, documenté et contesté le recours à des méthodes de répression policière violente, un retour à des violences disproportionnées comme au moment des « gilets jaunes ». Ça a été le premier poil à gratter qui a irrité M. Darmanin.

Il y a eu ensuite Saint-Soline. Nous avions des observateurs, une équipe de vingt-deux personnes. Il se trouve qu’il y a eu d’abord des violences inouïes, c’est vrai, de la part des black blocs contre les gendarmes : c’est pleinement condamnable, c’est de la délinquance. Puis, il y a eu l’utilisation par les forces de l’ordre d’une violence tout aussi inouïe à l’encontre des manifestants ; les gendarmes ont utilisé ces grenades très dangereuses que sont les GM2L, qui sont non seulement assourdissantes, qui aveuglent, mais qui en plus dégagent des éclats qui peuvent blesser plus ou moins gravement. Il y a donc eu des blessés, et en particulier deux personnes entre la vie et la mort.

« Ce qui gêne le pouvoir, ce n’est pas la LDH, c’est le regard sur la France à l’étranger »

Il se trouve qu’il y avait des observateurs qui ont pu constater l’état extrêmement grave de Serge, l’une de celles-ci, et se sont préoccupés, en lien avec un médecin qui était dans une sorte de QG de notre équipe, d’essayer d’intervenir pour qu’il puisse être évacué et secouru. L’enregistrement qu’a publié Le Monde est quand même très révélateur : les observateurs disent au SAMU que la zone est parfaitement accessible depuis au moins une demi-heure et qu’il y a un trajet qui permet aux secours d’y accéder sans difficultés. Le SAMU répond qu’il n’a pas pour le moment l’autorisation d’accéder aux blessés. Il leur a été interdit d’y aller, c’est ce qui est dit par le représentant du SAMU dans l’enregistrement.

M. Darmanin a présenté la Ligue comme émettant des contre-vérités. Il en a en réalité pris ombrage, parce qu’il y a une véritable inquiétude du pouvoir. Cette affaire n’est pas terminée, il y a une instruction, la justice a été saisie par les familles. Ce qui gêne le pouvoir, ce n’est pas la LDH, c’est le regard sur la France à l’étranger. Tout cela l’inquiète, et il a fallu trouver une sorte de bouc émissaire, qu’on cloue au pilori.

Où en sont les libertés fondamentales dans notre pays ?

Les libertés publiques en France sont en péril. Vraiment. Depuis les attentats de New York en 2001, tous les pays, y compris démocratiques, ont adopté progressivement des législations de plus en plus répressives, des législations d’exception au nom de la lutte antiterroriste. On a rogné insidieusement les libertés, d’état d’urgence en état d’urgence. Je crois qu’il n’y a pas suffisamment de prise de conscience de ce glissement vers des pertes de libertés essentielles. Quant à nous, nous continuerons nos actions. La chaîne CNews affichait récemment : « La Ligue des droits de l’homme, ennemi de l’Etat ? » Non, la Ligue des droits de l’homme est une amie de l’Etat de droit. Franck Johannès

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Public Sénat - Emmanuel NAQUET - Propos de Darmanin sur la LDH : « Le soutien à la liberté de manifester est l’un des combats d’origine de l’association »

Le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin a créé la polémique en s’en prenant à la Ligue des droits de l’Homme, notamment pour avoir documenté le dispositif de maintien de l’ordre lors de la manifestation de Sainte-Soline. Entretien avec l’historien, Emmanuel Naquet, auteur de « Pour l’humanité : La Ligue des droits de l’homme, de l’affaire Dreyfus à la défaite de 1940 » (ed. PUR) et de « Etre dreyfusard, hier et aujourd’hui (ed. PUR)

Par Simon Barbarit Publié le Mis à jour le

Ironie du sort, c’est devant la commission des lois du Sénat que Gérald Darmanin s’en est pris ouvertement à la Ligue des droits de l’Homme (LDH) (lire notre article). L’association, vieille de 125 ans, a justement été fondée par le sénateur dreyfusard, Ludovic Trarieux qui en fut son premier président.

Interrogé dans le cadre d’une audition sur le maintien de l’ordre et les récents débordements des dernières manifestations, le ministre a été interpellé par le sénateur LR du Tarn-et-Garonne, François Bonhomme, qui s’est ému du rôle de la LDH notamment à Sainte-Soline. « La Ligue des droits de l’Homme est financée sur fonds publics. Il faut cesser de financer des associations qui mettent en cause gravement l’Etat […] Ces associations n’ont rien à voir avec l’Etat de droit quoiqu’elles en disent », a-t-il martelé.

Réponse brève mais lourde de sens du ministre. « Effectivement, ça mérite d’être regardé. Mais, je rappelle que beaucoup de collectivités locales les financent ».

L’historien Emmanuel Naquet revient sur les origines de cette association vieille de près de 120 ans.

Peut-on faire le lien entre ces propos d’un ministre de l’intérieur en exercice et l’hostilité du pouvoir de l’époque envers la LDH à sa création en 1898 ?

Emmanuel Naquet : La Ligue des droits de l’Homme et du citoyen a été créée en pleine affaire Dreyfus, au moment du procès d’Émile Zola. Il s’agissait d’apporter une forme de soutien civique, éthique et juridique contre ce que l’association considérait être un crime d’Etat. Les libertés d’association et de manifestation n’existaient pas encore, et la situation politique était dans l’impasse. On peut faire un lien avec la polémique actuelle quand le ministre de l’Intérieur s’interroge sur les subventions publiques versées à la LDH, car le président du Conseil de l’époque, Charles Dupuy, issu de la droite modérée, voulait à la fois interdire une ligue d’extrême droite et empêcher l’action de la Ligue des droits de l’Homme, en l’occurrence en la poursuivant en justice. On reproche à la LDH son soutien à la liberté de manifester et de réunion, qui sont cependant des combats fondateurs l’association. La LDH s’est aussi opposée à ce qu’on appelait à l’époque les lois scélérates, qui visaient à poursuivre les anarchistes et les socialistes pour leur action politique. Son combat originel pour le capitaine Dreyfus et contre l’antisémitisme s’est ensuite élargi ensuite à la défense de toutes les victimes de l’arbitraire.

Qui était Ludovic Trarieux, s’était-il distingué par des prises de position avant la création de la LDH ?

L’un des fondateurs et son premier président était un ancien ministre de la Justice, avocat et sénateur, venu du modérantisme et qui a été choqué par le déni de justice à l’encontre du capitaine Dreyfus. L’Affaire a été pour lui un tournant. Il a voulu faire d’une cause dreyfusarde, pour un homme, un combat contre toutes les iniquités. Il a lancé ce que les historiens appellent le dreyfusisme. Et il a réussi, puisque cette lutte perdure depuis 125 ans…

Gérald Darmanin a ciblé « l’extrême gauche » comme étant responsable des débordements des récentes manifestations et, par capillarité, a semblé considérer que la LDH avait été complice. Peut-on associer la Ligue des droits de l’Homme à un courant politique ?

La LDH a traversé des crises au début du XXe siècle, liées à des prises de position politiques, parce que la défense des libertés et droits civils sont foncièrement politiques. Avec la montée en puissance des syndicats, notamment de fonctionnaires, il y a une évolution vers une démocratie plus sociale que la LDH non seulement accompagne, mais pousse. La Ligue des droits de l’Homme se socialise alors et perd des adhérents modérés. Après la Grande Guerre, au cours de laquelle elle a défendu aussi la démocratie, elle prend position en faveur de la liberté de la presse et des assurances sociales, notamment, qui étaient les prémisses de la Sécurité sociale. Elle demande une réforme de la justice militaire, mais pas seulement, elle combat contre les totalitarismes et pour la paix – combat complexe, d’ailleurs, qui provoque des débats en son sein. Laïciste, elle a aussi défendu l’École publique. En 1932, la LDH est à son apogée avec 180 000 adhérents contre un peu moins de 9 000 aujourd’hui, mais notre paysage associatif est très différent. Après la manifestation du 6 février 1934, la Ligue des droits de l’Homme sera à l’origine d’une grande manifestation, le 14 juillet 1935, contre le fascisme. Son président de l’époque, Victor Basch était également président du Rassemblement populaire, l’ancêtre du Front populaire. Léon Blum était aussi un membre très important de la LDH. En 1937, lors du congrès de la Ligue des droits de l’Homme, il a d’ailleurs déclaré qu’elle « était un monument constitutif de la République ».

A la sortie de la Seconde Guerre mondiale, la LDH est affaiblie, nombreux de ses adhérents ont été tués ou déportés par les nazis, ses archives ont été saisies. Comment a-t-elle fait pour perdurer ?

Elle met une quinzaine d’années à se reconstruire. Elle fait alors face à la « concurrence » d’autres associations comme la Licra (Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme) et le MRAP (Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples) qui est alors plutôt proche du Parti communiste. Un parti qui représente à l’époque un quart des électeurs. La LDH va s’en sortir grâce à un prêt de la CGT et la relance de ses luttes. Puis, avec le mouvement de la décolonisation, une nouvelle génération d’adhérents arrive, des mathématiciens, des historiens mais aussi des avocats… C’est l’époque du comité Audin (du nom du mathématicien Maurice Audin, torturé puis exécuté par l’armée française en 1957 en Algérie NDLR). La LDH est en opposition à la politique de l’Algérie française du président du conseil, SFIO, Guy Mollet. La Ligue des droits de l’Homme se reconstruit donc à partir de la gauche dissidente hostile notamment à la colonisation et au colonialisme.

L’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981 a-t-elle changé le fonctionnement de la LDH ?

La LDH est estampillée à gauche mais a toujours été soucieuse de son indépendance à l’égard du pouvoir politique. Même si d’anciens ministres, comme Robert Badinter ou encore Pierre Joxe en ont fait partie. Elle a continûment souhaité exercer – non sans difficultés internes parfois, mais la dynamique l’a toujours emporté – son rôle de vigie dans la défense des réfugiés et plus largement des étrangers, du respect de la vie privée, de la liberté de la presse, des libertés publiques, du soutien aux services publics, avec également une prise en compte des urgences écologiques. Et la lutte contre l’ extrême droite reste un de ses fondamentaux.

Gérald Darmanin reproche à la Ligue des droits de l’Homme des recours en justice contre des arrêtés de la préfète des Deux-Sèvres et du préfet de la Vienne, prévoyant l’interdiction du transport « d’armes par destination » la semaine précédant la manifestation à Sainte-Soline. Il reproche également à l’association d’avoir exercé son rôle d’observateur à une manifestation qui était interdite. Là encore, ces griefs sont-ils nouveaux ?

Ce n’est pas nouveau, la ligue a traditionnellement, et dès son origine, exercé des missions d’observation, établit des rapports et a pu participer à des commissions d’enquêtes, en particulier au lendemain des manifestations du 6 février 1934. Le rapporteur de la commission d’enquête qui a suivi, Marc Rucart, était d’ailleurs dirigeant de la LDH.

Au cœur de sa pensée et ses interventions, il y a la justice, qu’elle veut indépendante. Ainsi, la Ligue des droits de l’Homme considère que les contrôles administratifs préventifs sont problématiques, singulièrement quand ils restreignent les libertés des citoyens, elle qui plaide pour une démocratie participative. A ses yeux, la République est en effet l’affaire de tous.

Par ailleurs, la LDH s’appuie sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme pour contester les décisions de l’Etat. Comme lorsqu’il s’agit de critiquer la pratique de la nasse dans le maintien de l’ordre ou les atteintes à la liberté de manifester. Elle s’appuie sur un service juridique très actif et des avocats vigilants à l’exercice des libertés.

Ces dernières années, la LDH a-t-elle déjà fait l’objet de menaces sur ses subventions par le pouvoir en place ?

Pas à ma connaissance. Sa place et son rôle sont au contraire reconnus par les républicains et la République. C’était déjà le cas dans les années trente, d’ailleurs. Plusieurs de ses anciens présidents, Henri Leclerc, Michel Tubiana ou Pierre Tartakowsky, ont siégé et siège ainsi à la Commission consultative des droits de l’Homme. Ses avis sont attendus par les autres acteurs de la société civile comme par la Défenseure des droits, que son Comité national a reçue il y a quelques jours. Et sa force, y compris financière, appartient à ses membres, même si les subventions de l’Etat et des collectivités territoriales représentent un tiers de son budget. Au demeurant, ces subventions et son budget, transparents et validées par un commissaire aux comptes, valident d’ailleurs des actions d’éducation et de protection civiques. Les réactions scandalisées sur les réseaux sociaux et dans les médias à cette éventualité signent l’exceptionnelle fonction que joue la LDH, d’hier à aujourd’hui.

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Ce qu’attaquer la Ligue des droits de l’homme veut dire

La menace à peine voilée de Gérald Darmanin à l’encontre de la LDH s’inscrit dans une lignée d’attaques qui, à chaque fois depuis 1898, signalent la déraison politique de pouvoirs à bout de principes ou en bout de course. Concentré d’intelligence collective, l’association n’a cessé de défier les aventures antidémocratiques. Antoine Perraud 6 avril 2023 à 17h16

Attaquer la LDH (Ligue des droits de l’homme), c’est viser davantage qu’un symbole : une réalité démocratique vivace au long du XXe siècle, à tous les stades où l’honneur fit défaut, où la légalité chancela, où la raison politique s’évanouit.

Pour mesurer l’importance d’un tel contre-pouvoir érigé en institution, il suffit de se souvenir qu’un ministre de l’intérieur des années 1980, le socialiste Pierre Joxe, garant d’une police républicaine digne de ce nom, était lié à la LDH.

Il suffit de se rappeler comment l’historienne Madeleine Rebérioux, qui présida la Ligue de 1991 à 1995, semblait raccord avec les combats et les engagements du passé ; au point d’être surnommée « la veuve Jaurès » par les esprits taquins ; au point d’entonner sur les antennes de Radio libertaire, a cappella et au débotté, Gloire au 17e, le chant que Montéhus composa lors de la révolte des vignerons du Languedoc en 1907. C’était hier, donc aujourd’hui…

En décembre 1963, à l'occasion du quinzième anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l'homme (1948), le journaliste de la radio-télédiffusion française Pierre Crénesse (1919-1975), celui qui avait annoncé la Libération de Paris sur les ondes nationales en août 1944, revient sur l'histoire des droits humains, avec une lecture du préambule de la Déclaration de 1948 par Jean-Louis Barrault. Autre temps, autres mœurs cathodiques... © INA Histoire

En 1898, la fondation de la Ligue des droits de l’homme répond à un événement hors norme, l’affaire Dreyfus, en faisant surgir une figure française singulière : l’intellectuel engagé, dont la fonction critique consiste à défier l’arbitraire et l’intolérance des puissances en place comme des pouvoirs établis.

Dans le sillage du « J’accuse » de Zola (L’Aurore du 13 janvier 1898), il faut un certain courage, civique, moral et politique, pour oser s’opposer à « l’arche sainte » de la République : l’armée française.

Le 4 juin 1898, date de l’assemblée générale constitutive de la Ligue, nous sommes avant les aveux du colonel Henry (auteur du faux ayant entraîné la condamnation du capitaine Dreyfus) et avant Les Preuves (le libelle irréfutable de Jean Jaurès).

L’intelligence française

Le premier président de cette Ligue nouvelle, aux antipodes de la Ligue des patriotes de Paul Déroulède, est le sénateur de la Gironde Ludovic Trarieux. Républicain de droite, il s’était opposé à Jaurès lors des grèves de Carmaux et s’était illustré comme rapporteur des « lois scélérates » de 1894, qui comprimaient les libertés publiques au nom de la lutte contre le terrorisme anarchiste.

Mais Trarieux a la sagesse audacieuse de s’entourer non pas de ses pairs politiques mais de représentants de l’intelligence française. Le monde universitaire, dreyfusard pour sa partie la plus éclairée, gravite en effet autour de la LDH dès sa fondation : de Célestin Bouglé à Émile Durkheim, de Joseph Bédier à Ferdinand Brunot, des frères Reinach aux frères Reclus, sans oublier quelques scientifiques de l’Institut Pasteur, ni le bibliothécaire socialiste de l’École normale supérieure, Lucien Herr.

Le président de la République française Jacques Chirac, à l'occasion du centenaire de la LDH : « En matière de droits de l'homme, il ne faut jamais baisser la garde, pour la simple raison que l'on recule dès que l'on n'avance pas... » © INA Politique

Dans une logique de contre-pouvoir, la Ligue, dès son premier manifeste du 4 juillet 1898, élargit son action « à toute personne dont la liberté serait menacée ou dont le droit serait violé ». Ainsi s’impose-t-elle, sans délai, en cauchemar des adeptes de tout poil de l’abus de pouvoir. Six mois après sa création, les conseils juridiques qu’elle a mis sur pied ont déjà examiné une centaine de dossiers. L’année 1899 triplera leur nombre.

Déjà fermente une dénonciation arborescente des iniquités politiques mais aussi sociales, alors que Ludovic Trarieux envisageait la Ligue comme un barrage contre le seul nationalisme, aux accents monarchistes, sapant les fondements encore mal assurés de la République.

Ne plus seulement maintenir les droits existants, mais établir des droits nouveaux. Tel est le tournant qu’assume, à partir de 1903, le deuxième président, Francis de Pressensé, journaliste entré en politique. Il élargit la lutte « pour les droits de peuples opprimés » et souligne son « attention à tous les problèmes posés par la colonisation ».

« Pour les faiblesses et contre les puissants »

Et ce, dès avant la Première Guerre mondiale. Quand Pressensé meurt brutalement au mois de janvier 1914, le philosophe Alain écrit dans La Dépêche de Rouen trois phrases qui disent tout : « Cet homme, depuis dix ans, n’a guère écrit que pour les faiblesses et contre les puissants. J’avoue qu’il m’inspira de la vénération, sentiment rare chez moi, mais délicieux. Mes amis, ne disons jamais que nous sommes moins religieux que d’autres ; nous sommes seulement plus difficiles. »

Quant à Jean Jaurès, toujours en ce mois de janvier 1914, alors que rôde la guerre, il clôt une série de discours à l'hôtel des sociétés savantes en hommage à Francis de Pressensé, par une défense et illustration de l’engagement destinées à la jeunesse, en des lignes qui n’ont pas pris une ride. Jugez-en plutôt.

« Oh ! je ne demande pas aux jeunes gens de venir à nous par mode. Ceux que la mode nous a donnés, la mode nous les a repris. Qu’elle les garde. Ils vieilliront avec elle. Mais je demande à tous ceux qui prennent au sérieux la vie, si brève même pour eux, qui nous est donnée à tous, je leur demande : qu’allez-vous faire de vos vingt ans ? Qu’allez-vous faire de vos cœurs ? Qu’allez-vous faire de vos cerveaux ? »

Et le tribun lettré de conclure : « Avec le socialisme, vous entreprenez à travers la vérité, à travers la réalité, vers la justice, vers l’harmonie souveraine, vers la beauté suprême de l’accord des volontés libres, vous entreprenez vers cet idéal admirable, le voyage le plus lointain, le plus hardi, celui qu’aucun autre voyage de l’action ou de la pensée ne dépassera, celui qui, suivant le fragment d’un grand poète grec, “vous portera à l’extrémité des vents et des flots”. C’est ce voyage vers la justice, vers la vérité qu’avec les socialistes et avec les prolétaires, Pressensé avait entrepris. Vous ne pouvez faire œuvre plus noble que de retenir son exemple et de faire passer dans votre vie la noblesse de sa vie. »

C’est ainsi que sous les présidences de Ferdinand Buisson (1914-1926) puis de Victor Basch (1926-1944), la Ligue des droits de l’homme allait épauler les syndicats dans leurs combats pour les droits des travailleurs et la justice sociale, s’élever contre sinon la colonisation, du moins ses abus, s’opposer de toutes ses forces aux fascismes fauteurs de guerre. À la fois structure et vigie, organisation et phare, ce collectif riche d’individualités aiguille, houspille, démaquille – pas toujours en ce qui concerne le stalinisme, minoré pour se concentrer sur l’hitlérisme…

Lors du congrès de 1929, après 31 ans d’existence, Victor Basch claironne : « La Ligue des droits de l’homme a réussi à imposer sa magistrature morale. Sa seule présence et existence sont efficaces. » Pour ce quatrième président, pas question de se notabiliser, de jouer le rôle d’un garde des Sceaux de quelque cabinet fantôme : « À côté de la justice juridique, il y a la justice politique, la justice fiscale, la justice sociale… »

Et Victor Basch ajoute : « La Ligue ne se borne pas à prendre en charge la portion de justice inscrite dans la loi ; elle veut inscrire dans la loi la totalité de la justice. » Si bien qu’en 1935, c’est au siège de la LDH, 27 rue Jean-Dolent (à un jet de pierre de la prison de la Santé), qu’est signé le pacte des partis de gauche, syndicats et associations antifascistes, moment fondateur du Front populaire.

(Le 10 janvier 1944, Victor Basch et son épouse Hélène étaient arrêtés à Caluire et abattus à Neyron (Ain) par la Milice. Sujet de France 3 (janvier 2014). Commémoration à la Nécropole nationale de la Doua, à Villeurbanne. Témoignages d'élèves. Intervention de Me Henri Leclerc, président de la LDH de 1995 à 2000.)

Quand s’effondre, en 1940, la moindre décence politique dans une France qui se vautre aux pieds de Pétain, lui-même aux mains de Berlin, la Ligue des droits de l’homme devient une cible de choix. Et son président, Victor Basch, juif et franc-maçon, est exécuté à 80 ans, au mois de janvier 1944, avec sa femme Hélène, par la Milice de Paul Touvier, à Neyron, commune limitrophe de l’Ain et du Rhône.

Sur son corps, un écriteau signé par un « Comité national anti-terroriste » commence par cette phrase qui signale toujours la déraison politique : « Terreur contre terreur. » C’est le cri de fureur panique qui répond, aux pires moments de l’histoire, à la ferme exigence qu’a toujours manifestée la Ligue des droits de l’homme : justice contre injustice.

Face au Lepénisme

Cette tension entre la LDH et un pouvoir déboussolé au point de s’avérer perdu pour l’intelligence, on devait la retrouver au moment de la guerre d’Algérie. Sous la présidence de Daniel Mayer, la dénonciation des camps d’internement et de la torture allait défier un pouvoir gaulliste considéré comme procédant de l’extrême droite, à la faveur d’un coup d’État légalisé.

Le 13 mai 1958, Charles de Gaulle était en effet « revenu aux affaires » en forçant la main du régime : c’est moi, ou les putschistes de l’Algérie française prêts à débarquer. Toutefois, le fondateur de la Ve République ne fut pas le suppôt fasciste annoncé, mais en définitive un brise-lames démocrate.

Soixante-cinq ans plus tard, voici donc la LDH dans le collimateur d’un pouvoir qui se présente comme une digue – mais qui se révèle passerelle – face au lepénisme. Le baromètre politique français ne se trompe jamais : quand l’exécutif s’en prend à la Ligue des droits de l’homme, l’avis de tempête politique est là.

Antoine Perraud

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Hommes & Libertés consacrés à l’histoire de la LDH : 

• celui du centenaire en 1998,« Une mémoire pour l’avenir 1898-1998 »

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Vidéos sur l'histoire de la LDH réalisées suite aux accusations du ministre de l'intérieur et de la première ministre :

Vidéo : LDH, vigie de la République ?




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Soutiens et réactions

DEFENSEURE DES DROITS : "DES RISQUES D'ATTEINTES AUX DROITS ET LIBERTES QUI FRAGILISENT LA DEMOCRATIE" 

- 14 avril 2023 -

Dans une démocratie représentative, le suffrage universel permet à tous les citoyens d’élire des représentants chargés d’exprimer la volonté générale.

Au-delà du système représentatif, la démocratie repose également sur des droits et libertés, tels que les libertés d’expression, de réunion, de manifestation et d’association, qui permettent notamment à ceux qui sont éloignés de la vie politique ou qui n’ont pas le droit de vote d’influencer la prise de décision collective.

Toute atteinte portée contre les droits et libertés, qui constituent l’un des piliers de la démocratie, peut conduire à fragiliser l’édifice.

UN MOUVEMENT DE REMISE EN CAUSE DE LA LIBERTÉ D’ASSOCIATION

Protégée par la Constitution et la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, la liberté d’association est un des principes fondamentaux d’une société démocratique. A l’instar de la liberté de communication, de réunion et de manifestation, elle permet l’expression dans l’espace public de la pluralité des opinions et des intérêts collectifs au sein de la société.

Les associations permettent à la société de rendre visible des problèmes ignorés par les institutions. En particulier, de nombreuses d’entre elles se sont structurées pour défendre et rendre audibles celles et ceux dont la voix est généralement trop faible pour être entendue.

Depuis plusieurs années, le Défenseur des droits dénonce un affaiblissement de cette liberté qui se manifeste de différentes manières, plus ou moins insidieuses.

Depuis 2016, l’institution déplore l’existence de pratiques d’intimidation des forces de l’ordre à l’encontre des associations de défense des plus précaires présentes sur le terrain lors des opérations d’expulsion des campements d’exilés[1]. Le projet de loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration comporte d’ailleurs, dans sa version issue du Sénat, un article 17 dont l’adoption aurait autorisé la fouille des véhicules des particuliers lorsqu’il existe « une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner que celui-ci transporte une personne ayant commis ou tenté de commettre une infraction relative à l’entrée et au séjour des étrangers en France ». Les critères particulièrement vagues pour mettre en œuvre une telle fouille auraient permis aux forces de l’ordre de fouiller systématiquement les personnes soupçonnées d’être des membres d’associations d’aides aux exilés.

A l’occasion de l’adoption de la loi confortant le respect des principes de la République, le Défenseur des droits a également dénoncé la restriction de la liberté d’association que constitue le conditionnement de l’attribution de subventions à la signature d’un « contrat d’engagement républicain ». Ce contrat n’exige plus seulement des associations qu’elles ne commettent pas d’infraction, mais aussi qu’elles s’engagent positivement et explicitement, dans leurs finalités comme dans leur organisation, sur des principes qui sont ceux de la puissance publique. Un tel renversement dénature en partie le statut des associations, qui ne sont pas des acteurs publics, et autorise un contrôle très poussé de l’État sur les actions des associations[2]. Sur ce fondement, dans le département de la Vienne, le Préfet a sollicité le rappel des subventions versées à l’association ALTERNATIBA Poitiers affectées à l’organisation d’un festival, pour le motif que s’y serait tenu un atelier relatif à la désobéissance civile.

Enfin, il faut rappeler que cette même loi a facilité la dissolution d’associations en permettant de leur attribuer la responsabilité d’agissements commis par un de leurs membres agissant en cette qualité, si elles en ont connaissance et se sont abstenues de les faire cesser. Ce dispositif fait peser une obligation de contrôle des membres de ses membres particulièrement lourdes pour une association petite et peu structurée[3].

UNE STIGMATISATION INQUIÉTANTE DE LA LIGUE DES DROITS DE L’HOMME

La Cour européenne des droits de l’homme estime que la stigmatisation d’associations par les autorités publiques, combinée à la menace de mesures de contrôles et de sanctions, peut porter atteinte à la liberté d’association[4]. Ces phénomènes réduisent la marge de manœuvre des associations en les intimidant, les exposent à des difficultés financières et humaines et peuvent provoquer leur dissolution.

La Ligue des droits de l’Homme, constituée en défense du capitaine Dreyfus, et qui depuis sa reconstitution après sa dissolution par le régime de Vichy a agi en faveur des droits des femmes, des peuples colonisés, des exilés ou des personnes les plus précaires, a fait l’objet d’une telle stigmatisation par des responsables politiques.

En premier lieu, la légitimité des recours formés par la Ligue des droits de l’Homme dans le cadre des manifestations à Sainte-Soline et notamment le recours formé contre l’arrêté préfectoral qui empêchait les transports d’armes en considérant que la définition retenue par l’arrêté de la notion d’arme était trop vague a été contestée car menaçant la sécurité publique. Outre le fait que dans un État de droit toute décision publique doit pouvoir être contestée devant des juridictions, estimer qu’une association de défense des libertés publiques menace la sécurité revient à la faire basculer dans le champ des associations contre lesquelles des mesures coercitives peuvent être déclenchées.

En second lieu, une suspension des subventions accordées par l’État et par les collectivités territoriales à la Ligue des droits de l’Homme a été évoquée. Ce faisant, une telle mention valide implicitement l’idée selon laquelle la Ligue des droits de l’Homme pourrait remettre en cause gravement l’État au point de pouvoir justifier la suppression de subventions, notamment par des collectivités locales.

En outre, les subventions publiques accordées à la Ligue représentent 29% de son budget : un retrait de ces subventions pourrait conduire à une réduction substantielle de son activité.

Par conséquent, le Défenseur des droits constate, à travers les réclamations qu’il reçoit, une intensification des risques d’atteintes à la liberté d’association. Une telle évolution est hautement problématique dans un État démocratique.

Le Défenseur des droits peut être saisi par une personne physique ou une personne morale, comme une association, ayant fait l’objet d’une mesure défavorable pour s’assurer, au moyen de ses pouvoirs d’instruction, que les règles de droit et les procédures ont bien été respectées.


[1] Les droits fondamentaux des étrangers en France, 2016.

[2] Avis n°21-01.

[3] Idem.

[4] Cour EDH, 14 juin 2022, Ecodefence and others v. Russia, req. n°998813 et autres.

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Journal L'HUMANITE - 12 avril 2023


  
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« Attaquer la Ligue des droits de l’homme, c’est miner notre fraternité » Le Monde Tribune

Nous n’avons pas besoin de désigner des cibles mais de retisser les fils d’un commun, soulignent, dans une tribune au « Monde », trois universitaires spécialistes de l’islam, Kahina Bahloul, Steven Duarte et Haoues Seniguer, indignés des accusations de complicité avec l’islamisme radical portées contre la Ligue de droits d’homme.

Publié le 24 avril 2023 à 15h00, modifié le 24 avril 2023 à 22h36

Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur et des cultes, puis Elisabeth Borne, première ministre, ont désormais marqué l’histoire en attaquant frontalement la Ligue des droits de l’homme (LDH). Ils l’accusent notamment de faire la courte échelle à « l’islamisme radical », ou de cultiver des « ambiguïtés » à son égard, ce qui revient insidieusement au même.

Aucun autre exécutif depuis la Libération n’avait jamais osé attaquer, en des termes aussi crus, la vigie des droits humains que représente la LDH depuis sa création à l’occasion de l’affaire Dreyfus.

En d’autres circonstances, cela aurait pu prêter à sourire mais, hélas, cette diatribe venant des plus hautes sphères de l’Etat tombe à un très mauvais moment. La ficelle est grosse. Elle est en tout cas le symptôme d’une forme de radicalisation du pouvoir en place, qui devrait plutôt s’inquiéter du fait que les informations d’Amnesty International sont de plus en plus fréquemment consacrées à l’actualité française. Surtout lorsque ce pouvoir a été en grande partie réélu pour « faire barrage » à l’extrême droite. Au vu des prétentions affichées, vérifions cependant qu’il s’agit bien d’un barrage et non d’un toboggan.

Ce n’est pas la première fois que le gouvernement flirte avec les mots au sujet de ses supposés adversaires.

Stupeur du monde universitaire

Rappelons la polémique sur le prétendu « islamo-gauchisme », devenu slogan politique pour réactionnaires de tout poil sur les plateaux de télévision. En février 2021, en pleine pandémie de Covid-19 et pendant que les enseignants et les personnels administratifs se préoccupaient de maintenir coûte que coûte la continuité pédagogique d’étudiants déjà fort éprouvés par une indécente précarité, l’ancienne ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, Frédérique Vidal, avait en effet suscité la stupeur du monde universitaire en prétendant que « l’islamo-gauchisme (…) gangrène la société dans son ensemble » et que « l’université n’est pas imperméable » à ce phénomène.

Répétons-le ici, l’« islamo-gauchisme » ne correspond à aucune réalité mesurable. C’est un mot hochet spécieux entre les mains d’esprits autoritaires, qui ne sert qu’à disqualifier.

Vint ensuite la loi contre le « séparatisme » (devenue loi confortant le respect des principes de la République) qui a consacré une politique exacerbée du soupçon envers la visibilité de l’islam pratiquant, pour de bien maigres résultats, mais au coût élevé quant à la stigmatisation d’une population lasse de voir sa religion au centre de toutes les polémiques, alors qu’elle contribue non moins que d’autres à faire vivre ce pays quotidiennement.

Sans parler des dommages collatéraux qui obligent désormais toutes les associations du pays à signer une charte des valeurs lorsqu’elles demandent une subvention. Quid d’une association royaliste pour qui l’idée de République est une aberration ? Quid d’une démocratie (nominale ?) qui ne tolère pas qu’on la remette en cause, même pacifiquement ?

Insupportable instrumentalisation

Dernier fait en date, l’amalgame suspicieux entretenu entre le phénomène de l’« islamisme radical » et une association historique de défense des droits humains. Ne nous payons pas de mots, il s’agit bien ici d’une insupportable instrumentalisation. La critique par la LDH du maintien de l’ordre lors des manifestations à Sainte-Soline (Deux-Sèvres) n’a pas plu à l’exécutif, mais celui-ci, plutôt que de s’en prendre au lanceur d’alerte, ferait mieux d’examiner l’alerte elle-même et ce qu’elle signifie.

Essayer de faire taire toute critique en criminalisant ses oppositions, en utilisant l’accusation facile de collusion avec un supposé « islamisme radical », dont les contours ne sont jamais établis, interroge sérieusement sur les fondements d’une telle attitude. En réalité, le présupposé de départ est faux. L’exécutif semble prêter une oreille attentive au point de vue de « l’école Gilles Kepel », ce chercheur postulant l’idée d’un fatal continuum entre islam politique, islamisme et djihadisme.

L’exécutif semble prêter une oreille attentive au point de vue de « l’école Gilles Kepel », ce courant de recherche postulant l’idée d’un fatal continuum entre conservatisme religieux, islamisme et djihadisme ; raison pour laquelle toute défense d’une association militante de l’islam, même parfaitement légaliste, sera taxée de complicité avec « l’islamisme radical ».

Or ces mots sont piégés et dangereux. La thèse de départ est scientifiquement fragile et les discours qui en découlent nourrissent, consciemment ou non, la stratégie des djihadistes qui ont ensanglanté notre pays : casser la société entre citoyens musulmans et non musulmans, nourrir une pseudo-guerre civilisationnelle, inciter à une guerre civile, etc.

Qu’un Eric Zemmour reprenne sciemment cette vision manichéenne et dangereuse du monde n’est guère étonnant, mais que des ministres d’un gouvernement, voire quelques universitaires se targuant de lutter contre ces extrémismes, entretiennent le poison du soupçon en désignant des ennemis intérieurs, c’est proprement glaçant. C’est de surcroît inefficace car seule l’extrême droite en tirera des bénéfices électoraux.

Poussées autoritaires

Cette pente autoritaire ne concerne d’ailleurs pas seulement la question de l’islam, elle est diffractée dans la gestion d’autres dossiers, tels que le traitement des mobilisations des « gilets jaunes » dès 2018, où la brutalité répressive fut exercée çà et là contre des manifestants loin d’être dans leur majorité des « casseurs ».

Quel que soit le lieu d’observation choisi, on constate de multiples indices concordants de poussées autoritaires venant d’un exécutif qui reste réfractaire à l’écoute empathique de secteurs significatifs du peuple sur des questions majeures de société. Dans ce contexte, écartés de l’élaboration des décisions qui les concernent, les citoyens ne peuvent se sentir à la fois « auteurs et destinataires du droit », pour reprendre les mots du philosophe allemand Jürgen Habermas.

Notre devise nationale en devient orpheline, car attaquer la LDH, c’est miner notre fraternité. Celle-ci se perd en chemin par ces attaques réitérées visant des pans entiers de notre communauté nationale : contre de simples citoyens luttant pour leur pouvoir d’achat, contre des militants associatifs musulmans aspirant à participer positivement à la collectivité au nom de leur foi (ou non), contre de futurs ou actuels retraités refusant massivement une réforme discutable.

Or nous n’avons pas besoin de désigner des cibles, mais de retisser les fils d’un commun. Nous n’avons pas besoin d’unanimisme, mais d’entretenir du lien social dans un réel esprit de concorde. Nous n’avons pas besoin d’attiser les peurs, mais de recréer les conditions de la confiance et de l’espérance. Nous n’avons pas besoin d’uniformité, mais d’accueillir la différence et l’altérité en leur reconnaissant richesse et fécondité qu’elles apportent à notre humanité.

Liste des signataires : Kahina Bahloul, Islamologue, doctorante au Laboratoire d’études sur les monothéismes (LEM), campus Condorcet, imame libérale, autrice de « Mon islam, ma liberté » (Albin Michel, 2021) ; Steven Duarte, maître de conférences en arabe et en islamologie à Sorbonne-Paris-Nord, laboratoire Pléiade, spécialiste des réformismes de l’islam ; Haoues Seniguer, maître de conférences des universités en science politique à Sciences Po Lyon, chercheur au laboratoire Triangle, Lyon.

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Atteintes aux libertés : le monde associatif pris d’effroi

Qu’elles soient mobilisées contre le racisme, la pauvreté ou pour l’écologie, les associations sont en ébullition depuis que l’exécutif s’est attaqué à la Ligue des droits de l’homme. Les restrictions aux libertés, en réalité, s’aggravent en coulisses depuis la loi « séparatisme ». Huit organisations confient leurs inquiétudes sur la dérive du pouvoir.

La rédaction de Mediapart

20 avril 2023 à 19h48

L’alerte est inédite. Depuis quelques jours, la Défenseure des droits, Claire Hédon, nommée par Emmanuel Macron, multiplie les prises de parole pour s’alarmer des « risques d’atteintes aux droits et libertés » en France, de ceux « qui fragilisent la démocratie » (elle est ce jeudi soir l’invitée spéciale de notre émission « À l’air libre »).

Après les attaques ou menaces récemment proférées par le ministre de l’intérieur contre la Ligue des droits de l’homme (LDH), les Soulèvements de la Terre, Alternatiba ou des organisations d’aide aux migrant·es, cette autorité indépendante pointe « une intensification des risques d’atteintes » à la liberté d’association et son « affaiblissement »« Une telle évolution est hautement problématique dans un État démocratique », lance-t-elle.

Dans son viseur, entre autres : la loi « séparatisme » de 2021, voulue par le chef de l’État lui-même, qui a conditionné l’attribution de subventions à la signature d’un « contrat d’engagement républicain » ou facilité les procédures de dissolution. Ce texte se révèle une arme lourde contre la société civile qui dérange le pouvoir, bien au-delà des organisations accusées de faire le jeu de l’islamisme radical. « Nous avons l’impression d’avoir été le patient zéro de cette politique », cingle aujourd’hui Marwad Muhammad, ex-président du Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF).

Mediapart donne la parole à huit associations inquiètes, qu’elles soient mobilisées contre le racisme ou la pauvreté, en défense de l’écologie ou des droits des étrangers et étrangères : comment qualifier la dérive de l’exécutif ? Se sentent-elles entravées dans leurs activités ? Voire en danger ?


 Kaltoun Gachi, vice-présidente du Mrap (Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples)

« Ce qui est arrivé à la LDH, ce que dénonce la Défenseure des droits – mais la CNCDH [Commission nationale consultative des droits de l’homme] n’est guère plus tendre –, est exceptionnel. Nous dénonçons cette remise en cause des actions et de la parole des associations qui luttent pour les libertés publiques, et nous défendons une liberté d’expression, d’opinion, qui protège les citoyens et peut-être encore plus les associations de lutte contre la violation des droits humains. Il doit régner une forme d’égalité, de transparence dans l’attribution des subventions, et pas simplement car nous serions ou non dans la ligne du pouvoir.

Cette petite incise de Gérald Darmanin [à l’encontre de la LDH – ndlr] aurait pu passer inaperçue, mais au contraire la première ministre a enfoncé le clou. C’est inquiétant d’un point de vue général, c’est évident ; mais pas pour le Mrap en lui-même, pour le moment. Bien sûr, quand on tient de tels propos, on peut s’attendre à tout...

Ce qui est arrivé a produit l’effet inverse peut-être de celui espéré : nous sommes révoltés, et ce n’est sûrement pas ces menaces aux subventions qui réussiront à nous museler. Il y a déjà des subventions que nous n’obtenons pas, pour nos prises de position internationales notamment. Sur le conflit israélo-palestinien par exemple, nous avons une position qui est celle de dénoncer les exactions commises par le gouvernement israélien. Parfois, on en paye le prix fort. C’est aussi une question d’indépendance.

La loi « séparatisme » a marqué un tournant, selon nous, et un début de chasse aux sorcières. Ce qui est assez symptomatique, c’est que dès qu’on exprime une opinion qui n’est pas celle attendue par le pouvoir, on vous qualifie d’“islamogauchiste”. Moi, je ne sais toujours pas ce que ça veut dire. Sauf à vouloir stigmatiser une personne avec laquelle on est en désaccord. »

 Marwad Muhammad, ex-président du Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF)

« Nous avons l’impression d’avoir été le patient zéro de cette politique. Celui sur lequel on expérimente tout. On l’avait d’ailleurs dit à l’époque aux autres associations : si vous ne bougez pas maintenant, vous serez les prochaines sur la liste.

Dans notre cas, comme souvent, le gouvernement a commencé par nous salir publiquement. Cela a commencé par des déclarations de Gérald Darmanin sur France Inter affirmant que le CCIF aurait participé à la campagne qui a conduit à l’assassinat de Samuel Paty. Ce n’est qu’après qu’il a demandé à ses services de rendre notre dissolution possible légalement.

Finalement, l’éléphant raciste a accouché d’une souris administrative et le motif retenu au bout du compte pour la dissolution n’avait plus rien à voir avec les accusations initiales. Il suffisait de dénoncer l’islamophobie pour devenir “séparatiste”.

Ce qui a volé en éclats pour moi, à ce moment-là, était la conviction que nous avions des institutions d’un État de droit qui ne permettraient pas notre dissolution. En fait, ces institutions, censées être les garde-fous des droits fondamentaux, étaient mises en état de choc avec ce contexte particulier de la menace terroriste.

Avec le recul, je me dis que c’était plus facile de commencer par nous que par la LDH. Nous étions une association de lutte contre l’islamophobie, avec beaucoup de Noirs, d’Arabes… Le plus frappant a été de constater le silence de ceux avec qui nous avions manifesté et qui ont soudain perdu l’usage de la parole. »

 Antoine Sueur, président d’Emmaüs

« Nous avons apporté notre soutien à la Ligue des droits de l’homme car une société a toujours besoin de gens qui nous percutent et qui nous interrogent. Symboliquement, politiquement et philosophiquement, cette attitude est très inquiétante parce que ça veut dire qu’on est prêts à toucher à ces domaines qui sont sacrés comme le respect des droits humains.

Cette menace de suspension de subventions contrevient à l’idée associative. Ce n’est pas parce qu’on est un associatif qu’on doit absolument absorber et intégrer les volontés de la politique de l’État, quelle qu’elle soit. Surtout que les associations et les réseaux de soutien solidaires remplissent des missions que l’État n’a pas du tout la capacité de faire. Il serait donc révoltant que tout le réseau associatif qui apporte ce plus soit suspendu aux bonnes volontés de l’État.

Il nous semble aussi que laisser passer ça ouvre la porte à beaucoup d’autres dérives autoritaires. Elles nous guettent déjà avec l’utilisation du 49-3 et cette radicalisation du pouvoir dans la répression des manifestations. Ce n’est plus l’apanage de la Pologne, des États-Unis, du Brésil et de tant d’autres lieux où les chefs d’État ne veulent pas s’encombrer de contre-pouvoirs. Et ça, c’est dramatique parce qu’une société saine, c’est une société qui discute et n’envisage pas le rapport entre les marges en imposant par le haut sa volonté.

Donc c’est maintenant qu’il faut tirer la sonnette d’alarme de façon vive et déterminée. »

 Rémi Donaint, porte-parole de l’association écologiste Alternatiba

« Nous avons compris que, bien qu’étant une association prônant la désobéissance civile non violente, ils trouveront toujours un moyen de nous considérer comme violents. Il semble ne pas y avoir de limite à l’arsenal répressif. Le risque de cette escalade, c’est qu’elle pèse sur l’engagement des citoyens dans des actions militantes. La bonne nouvelle, c’est que nous n’observons pas de baisse de cet engagement – au contraire.

Mais il y a la crainte que les poursuites pour un rien se multiplient. Nous avons le cas de trois décrocheuses de portraits [du président Macron dans les mairies – ndlr] dont les procès se sont tenus il y a un ou deux ans déjà, mais à qui la police est venue récemment réclamer leur ADN. Elles ont refusé et risquent un nouveau procès.

Vers fin 2023-début 2024, il y aura également le procès lié à Alternatiba-Poitiers [le préfet de la Vienne a réclamé en septembre le retrait d’une subvention au motif que l’organisation aurait violé son “Contrat d’engagement républicain” en organisant un atelier de formation à la désobéissance civile – ndlr]. Et nous avons déjà un nouveau cas, à Besançon, d’un conseiller municipal qui demande le retrait d’une subvention pour une autre formation à la désobéissance civile.

Nous sommes à la fois surpris et pas surpris par cette situation... Les mouvements de désobéissance civile comme le nôtre ont en tout cas l’habitude, dans ces contextes de répression, de rechercher la créativité, d’imaginer des actions qui se glissent dans les interstices de la réponse sécuritaire, sans trop nous exposer, ou avec le moins de risque possible. »

Jean-Baptiste Eyraud, porte-parole de l’association Droit au logement

« Au DAL, nous subissons déjà une pression policière particulièrement forte depuis un an. Nous avons fait une dizaine de recours devant les tribunaux contre des interdictions de manifestation, et à chaque fois – sauf une – nous avons gagné. Notre atout, c’est que nous ne dépendons d’aucune subvention publique, c’est un moyen de pression en moins.

En plus, on se sent visés directement par la loi dite “anti-squat”, qui crée un délit de “promotion du squat”, quel qu’en soit le mode, et est passible de 3 750 euros d’amende. Donner des informations, conseiller des personnes en situation de précarité ou qui occupent déjà un lieu, pourrait tomber sous le coup de la loi. Notre boulot au DAL consiste à aider des gens qui sont à la rue alors que les structures d’hébergement d’urgence sont saturées. Je rappelle que condamner des gens à la rue, c’est souvent les condamner à la mort...

On a vraiment l’impression que le gouvernement veut juguler les mouvements de mal-logés au moment où la crise du logement s’aggrave. Car cette loi vise aussi tout un réseau d’associations d’aide aux précaires. La manière dont le texte est rédigé pourrait également cibler les syndicats qui conseillent à leurs salariés une occupation de locaux, d’entrepôt par exemple. »

François Guennoc, membre de l’Auberge des migrants et ex-président

« Depuis 2014 déjà, on est entrés dans une phase où le dialogue est devenu impossible avec les autorités. On a fait face à des accusations multiples venant des pouvoirs publics : Gérard Collomb, ministre de l’intérieur, qui suggérait qu’on aille “exercer notre talent ailleurs” ; puis la mairie de Calais, qui nous a accusés de coopérer avec les passeurs et de fournir des armes aux exilés. On a d’ailleurs songé à porter plainte pour diffamation.

De plus en plus, on doit également faire face à des formes d’entrave visant à empêcher notre action sur le terrain, comme la série d’arrêtés préfectoraux venant interdire les distributions alimentaires au centre-ville de Calais, les verbalisations qui touchent nos salariés et bénévoles, l’interdiction de documenter les évacuations de campements… On est aussi confrontés à des contrôles d’identité incessants, pour nous intimider.

On n’est pas menacés, pour l’instant, par une dissolution ou une interdiction d’exercer nos activités, mais c’est vrai que quand on voit le contexte national, on est assez inquiets de voir que des digues sautent et que le gouvernement se montre aussi agressif à l’encontre de ses opposants. Ces pressions sur des associations sont très préoccupantes. »

Jean-François Julliard, directeur de Greenpeace-France

« On est très inquiets de ce qu’on voit, notamment de la part de Gérald Darmanin, qui vise à disqualifier l’aspect confrontatif de la société civile. C’est dangereux : le milieu associatif s’en retrouve décrédibilisé auprès du public. Je vois là une vraie tentative de le déstabiliser. Dès lors que l’on commence à contester, on sent bien que l’on n’est plus considérés comme citoyens. Pour l’instant, on reste libres, notre quotidien n’a pas changé. Mais quand le ministre de l’Intérieur nous taxe d’“écoterrorisme”, on se dit qu’on est d’autant plus surveillés.

Depuis Macron, dès qu’on sort du cadre fixé par le gouvernement, on prend par ailleurs le risque des gaz lacrymogènes et des coups de matraque. Les dernières marches du climat, qui se sont mal passées, ont tiré le trait sur la possibilité d’en faire des marches familiales et intergénérationnelles. Et depuis quelques mois, oui, le climat a encore changé. Certains parlementaires cherchent à renforcer des moyens de pression sur les associations, comme avec la tribune proposant la suspension des réductions fiscales sur les dons aux associations commettant des infractions. Une proposition refusée mais qui aurait pu mettre Greenpeace en péril.

Seul point qui me rassure dans ce climat, c’est que la justice, malgré l’augmentation de la répression, tient bon jusque-là. »

Arnaud Veïsse, directeur général du Comité pour la santé des exilé·es (Comede)

« Le Comede fait partie des nombreuses associations contraintes de signer le “contrat d’engagement républicain”, issu de la loi “séparatisme”. Si nous refusons de le signer, nous perdons toutes les subventions publiques, dont nous dépendons à 80 %. Or ce contrat n’en a que le nom, puisqu’il nous est imposé par l’autre partie, l’État. Il nous impose de respecter les principes de liberté, d’égalité et de fraternité, ce qui nous va très bien. Seulement, nous considérons que l’autre partie ne les respecte pas à l’égard des étrangers. 

Par ce contrat, nous nous engageons également à ne pas porter “atteinte à l’ordre public”. Mais ce point est sujet à interprétation : nous prodiguons des soins et défendons le droit à la santé des éxilé·es, qu’ils soient en situation régulière ou irrégulière, y compris les débouté·es du droit d’asile. Autre difficulté : nous dépendons de plus en plus de subventions qui transitent par le ministère de l’intérieur et qui sont parfois ciblées vers les seuls demandeurs et demandeuses d’asile. Or,nous refusons de faire des discriminations.»


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L’appel du monde associatif à soutenir la LDH : “Nous continuerons”

Communiqué collectif de soutien à la LDH - 12.04.2023

Auditionné par la commission des lois du Sénat sur les techniques de maintien de l’ordre à Sainte-Soline, en réponse à une intervention du sénateur Bonhomme invitant à cesser le financement des associations « qui n’ont rien à voir avec l’état de droit, quoi qu’elles en disent », le ministre de l’Intérieur a estimé que la subvention accordée à la Ligue des droits de l’Homme « méritait d’être regardée dans le cadre des actions qu’elle a pu mener ».

Les dernières digues cèdent face au tournant autoritaire emprunté par le ministre de l’intérieur.

Il n’hésite plus à s’attaquer à tous les acteurs qui remettent en cause son action, jusqu’à s’en prendre à la LDH qui, depuis des décennies, combat pour la protection des droits et libertés et des valeurs démocratiques.

La Ligue des droits de l’Homme a été créée il y a 125 ans, au lendemain de l’affaire Dreyfus, par des esprits résistants en vue de combattre l’injustice antisémite, elle a été de toutes les luttes historiques contre le fascisme, pour la laïcité, pour la garantie des libertés publiques et la reconnaissance de nouvelles. Jusqu’à ce jour, le seul régime à avoir remis en cause son existence était celui de Vichy en 1940.

L’actualité la plus récente a rappelé l’utilité de l’action de la LDH qui a, grâce à ses observateurs et observatrices, dénoncé les dérives du maintien de l’ordre et l’entrave à l’intervention des secours sur Sainte-Soline. La ligue a appelé à une désescalade de la violence, et se trouve encore à l’origine avec plusieurs organisations et syndicats, des récentes condamnations de préfectures, en raison de l’atteinte portée à la liberté de manifestation.

La LDH est à l’origine de bien des avancées du droit et des libertés avec des contentieux qu’elle a gagnés, devant le Conseil constitutionnel, la Cour de cassation et le Conseil d’Etat.

Comme à son habitude, le ministre de l’Intérieur ignore que le soutien financier aux associations n’implique pas que les collectivités soient en accord avec l’ensemble des revendications ou des positionnements politiques pris par l’association dans le débat public.

Une fois de plus, le ministre de l’intérieur fait preuve de défiance à l’égard du monde associatif, en insinuant qu’il faut réserver le bénéfice des subventions aux bons soldats, à ceux et celles qui feront acte d’allégeance à la politique du gouvernement, sans remettre en cause ses actions, sans dénoncer ses dérives, sans troubler l’ordre public.

La restriction des financements accordés aux contre-pouvoirs et aux associations de défense des droits humains est symptomatique du vacillement de l’Etat de droit. Les propos du ministre confirment non seulement la menace qui pèse sur le tissu associatif, en particulier depuis la mise en œuvre de la loi dite « séparatisme » du 24 août 2021, mais plus globalement sur les contre-pouvoirs et ceux qui prônent une certaine idée de la liberté, de la démocratie et de l’État de droit.

La rhétorique déployée par le ministre de l’Intérieur est dangereuse et témoigne du basculement de ce dernier, et du gouvernement auquel il appartient, dans l’illibéralisme autoritaire.

Le ministre sape le fondement même de l’idée politique en disqualifiant toute opposition, la faisant désormais passer pour du « terrorisme intellectuel ». Si vous n’êtes pas d’accord avec G. Darmanin, vous êtes suspect.

Mais les tentatives de bâillonnement seront vaines car, pour reprendre les termes du Président de la LDH, « nous continuerons ».

Plus que jamais nous continuerons et agirons ensemble, contre ceux et celles qui s’en prennent au modèle démocratique, contre ceux et celles qui veulent gouverner avec et par la peur, contre ceux et celles qui entendent mettre en œuvre un projet délétère et qui génèrent eux-mêmes le séparatisme contre lequel ils et elles disent lutter, contre ceux et celles qui sont à l’origine de la mise à mal du contrat social et de la République.

Organisations signataires : Alternatiba, Anticor, Anv-Cop21, Association démocratique des Tunisiens en France (ADTF), Association de travailleurs maghrébins de France (ATMF), Association des Marocains en France (AMF), Association nationale d’assistance aux frontières pour les étrangers (Anafé), ATTAC France, Confédération générale du travail (CGT), Collectif des associations citoyennes (CAC), Comede, Comité pour le respect des libertés et des droits de l’homme en Tunisie (CRLDHT), Droit au logement (DAL), Emmaüs France, Femmes Egalité, Fondation Copernic, Fédération des Tunisiens pour une citoyenneté des deux rives (FTCR), Fédération nationale de la libre pensée, Fédération syndicale unitaire (FSU), Greenpeace France, Groupe d’accueil et de solidarités (GAS), Groupe d’information et de soutien des immigré·es (Gisti), L’Assemblée citoyenne des originaires de Turquie (L’ACORT), La Cimade, Memorial 98, Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (MRAP), Réseau d’actions contre l’antisémitisme et tous les racismes (RAAR), Syndicat de la magistrature, Union nationale des étudiants de France (UNEF), Union syndicale Solidaires, Utopia 56, VoxPublic.

Paris, le 11 avril 2023 


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Politis soutient la Ligue des droits de l’Homme

Le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin s’en est pris directement à la Ligue des droits de l’Homme, évoquant ses financements publics. La pente extrémiste du protégé de Nicolas Sarkozy est de plus en plus glissante.

Politis  • 6 avril 2023

Auditionné hier au Sénat suite aux violences policières de Sainte-Soline, Gérald Darmanin – après un week-end passé à attaquer ses opposants de gauche dans le JDD – s’en est cette fois pris à un autre adversaire, un peu trop regardant sur sa féroce répression de la contestation actuelle.

S’exprimant sur la Ligue des droits de l’Homme, le ministre de l’Intérieur a expliqué qu’il s’en prendrait possiblement au financement public de l’organisme. « Je ne connais pas la subvention donnée par l’État, mais ça mérite d’être regardé dans le cadre des actions qui ont pu être menées. »

De tels propos ne peuvent que susciter craintes et indignations. Sur France Info, le président de la LDH, Patrick Baudouin, a répliqué que « jamais la Ligue des droits de l’Homme n’a été remise en cause de cette manière ». Et d’ajouter : « C’est inédit et consternant de la part du ministre d’un pays qui est encore qualifié de démocratie ».

Politis, journal humaniste, apporte donc son soutien clair et net à la Ligue des droits de l’Homme, rouage essentiel de la démocratie. La LDH fut fondée, pour rappel, en 1898 par Ludovic Trarieux, en défense du capitaine Dreyfus et n’a cessé depuis de défendre les droits humains les plus fondamentaux.

Fin 2021, Politis publiait, en collaboration avec la Ligue, un hors-série sur les libertés fondamentales, avec les plumes de François Héran, Henri Leclerc, Étienne Balibar, Alain Damasio… Ce numéro peut toujours être commandé, en version numérique ou physique, sur notre boutique.

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TRIBUNE. « Alerte sur les libertés associatives»

Plusieurs acteurs des secteurs associatifs et syndicaux, dont Claire Thoury, présidente du Mouvement associatif, Laurent Berger ou encore Patrick Baudouin, président de la Ligue des droits de l’Homme, alertent sur la remise en cause de la liberté des associations. Rédaction JDD

Voici leur tribune : « Le 5 avril, le ministre de l’Intérieur, appelé à réagir sur les critiques formulées par la Ligue des droits de l’homme quant à l’action des forces de l’ordre à Sainte-Soline, a indiqué que, dans ce contexte, les subventions accordées par l’État à la LDH devraient être examinées, avant d’enjoindre aux collectivités territoriales de faire de même.

Ces déclarations ont, à juste titre, suscité de vives réactions. Parce que l’expression du ministre de l’Intérieur ressemble à un fait du prince usant de son pouvoir pour réduire les oppositions, et parce qu’elle porte sur une association dont l’histoire est faite, depuis cent vingt-cinq ans, de combats pour protéger les droits et libertés de tous et faire vivre les valeurs de la République.

Il est évidemment normal qu’un financeur s’assure de la bonne utilisation des fonds par les associations qu’il subventionne ; mais cela sur la base des missions de l’association, pour lesquelles elle est soutenue ; et non pas conformément à ce que souhaiterait entendre le gouvernement.

 Subventionner une association ne veut pas dire la contraindre au silence 

Subventionner une association ne veut pas dire la contraindre au silence. La grandeur d’une démocratie est de savoir soutenir la diversité des approches et des points de vue qui permettent le débat et qui sont aussi des contre-pouvoirs nécessaires. Il est donc extrêmement grave qu’un ministre de la République mette ouvertement en question les financements accordés à une association parce que cette dernière, dans le respect de la loi, a une parole critique sur l’action de l’État.

Si le ministre de l’Intérieur se permet cette mise en question si directe, c’est parce que le climat aujourd’hui l’y autorise. En effet, ces déclarations interviennent dans un contexte de remise en cause de l’indépendance des associations.

La loi confortant le respect des principes de la République, dans ses différentes dispositions relatives aux associations, et notamment le contrat d’engagement républicain, en est la traduction très concrète. Une boîte de Pandore a été ouverte et met à mal la capacité d’action et d’interpellation des associations.

Cette fragilisation est dangereuse. Elle a des impacts sur ceux qui sont engagés pour l’intérêt général et qui se voient témoigner de la défiance ou opposer des pressions ; des impacts sur la transformation sociale qui est bien souvent portée par les associations ; des impacts, enfin et surtout, sur notre vitalité et notre sérénité démocratiques. La société a plus que jamais besoin de ces espaces de construction de la parole et de l’action collectives que sont les associations. Limiter et contraindre ces expressions ne peut que contribuer à exacerber des tensions déjà vives dans notre société.

La défenseure des droits, dans un communiqué du 14 avril, constate « une intensification des risques d’atteintes à la liberté d’association » et souligne qu’« une telle évolution est hautement problématique dans un État démocratique ». Plus que jamais, il est essentiel de réaffirmer collectivement notre attachement aux libertés associatives, de rendre publiques toutes les atteintes qui y seront portées et de nous mobiliser contre ces attaques.

Il est de la responsabilité du gouvernement d’affirmer haut et fort, en mots et en actes, que les libertés associatives sont au cœur de notre pacte démocratique. Nous appelons également ceux qui en savent toute l’importance, et notamment les élus territoriaux qui construisent au quotidien avec les associations, à se mobiliser pour elles. »

Les signataires

  1. Claire Thoury, Présidente, Le Mouvement associatif
  2. Thierry Abalea, Président, Le Mouvement associatif Bretagne
  3. Yoann Alba, président, Crajep Centre Val de Loire
  4. Stéphane Alexandre, Co-président, Réseau National des Juniors Associations
  5. Fanette Bardin, Arthur Moraglia, Pauline Veron, Co-président.e.s, Démocratie Ouverte
  6. Patrick Baudouin, Président, Ligue des droits de l'Homme
  7. Souâd Belhaddad, Fondatrice, Citoyenneté Possible
  8. Laurent Berger, Secrétaire général, CFDT
  9. Patrick Bertrand, Directeur exécutif, Action Santé Mondiale
  10. François BOUCHON, Président, France Bénévolat
  11. Lucie Bozonnet,  Yann Renault, Arnaud Tiercelin, coprésident.es , Cnajep
  12. Olivier Bruyeron, Président, Coordination SUD
  13. Sylvie Bukhari-De Pontual, Présidente, CCFD-Terre Solidaire
  14. Rodrigue Carbonnel, Secrétaire général, Fédération des Aroeven
  15. Marie-Pierre Cattet, Présidente, Le Mouvement associatif Bourgogne-Franche Comté
  16. Philippe Clément, Président, Le Mouvement associatif Normandie
  17. Patricia Coler, co-présidente, Mouvement pour l’Economie Solidaire
  18. Henry de Cazotte, président, GRET
  19. Leopold Dauriac, co-président, MES Occitanie
  20. Charlotte Debray, Déléguée générale, La Fonda
  21. Michelle Demessine, Présidente, Union nationale des associations de tourisme
  22. Jean-Luc Depeyris, directeur général, Sauvegarde du Val d’Oise
  23. Thierry Dereux, Président, FNE Hauts de France
  24. Sophie Descarpentries, Co-présidente, FRENE
  25. Julie Desmidt, co-présidente, UFISC
  26. Véronique Devise, Présidente, Secours Catholique – Caritas France
  27. Cécile Duflot, Directrice générale, Oxfam France
  28. Sarah DUROCHER, Présidente, Planning familial
  29. Gilles Epale, Président, Le Mouvement associatif Auvergne-Rhône-Alpes
  30. Christian Eyschen, Secrétaire général, Fédération nationale de la Libre Pensée
  31. Jean-Marie Fardeau, Délégué national, VoxPublic
  32. Beatrice Fonlupt, directrice générale, ADAES 44
  33. Françoise Fromageau, présidente, Mona Lisa
  34. Claude Garcera, Président, Union Nationale pour l'Habitat des Jeunes
  35. Christophe Gaydier, Président, Animafac
  36. Iola Gelin, directrice, CEMEA Centre Val de Loire
  37. Martine Gernez, Présidente, HAMAP
  38. Dominique Gillot, Présidente, Fédération générale des PEP
  39. Gérald Godreuil, Délégué général, Fédération Artisans du Monde
  40. Bruno Guermonprez, Président, Élevages Sans Frontières
  41. Dominique Guillien Isenmann, Présidente, Fédération Nationale solidarité femmes
  42. Dominique Hays, Président, Réseau Cocagne
  43. Michel Horn, Président, GRAPE Normandie
  44. Eric Hugentobler, directeur, Picardie Nature
  45. Didier Jacquemain, Président, Hexopée
  46. Véronique Jenn-Treyer, Directrice, Planète Enfants & Développement
  47. Michel Jezequel, Président, CRESS Bretagne
  48. Mohamed Khandriche, Président, Touiza solidarité
  49. Michel Le Direach, Président, UFCV
  50. Marion Lelouvier, Présidente, Centre français des Fonds et Fondations (CFF)
  51. Jacques Limouzin, Président, Mouvement des Régies
  52. Marie-Claire Martel, Présidente,COFAC
  53. Océane Martin, Déléguée générale, Radio Campus France
  54. Catherine Mechkour-Di Maria, Secrétaire générale, Réseau national des ressourceries et recycleries
  55. Hélène Mimar-Rangel, présidente, Radio Occitania
  56. André Molesin, Responsable régional Occitanie, ESPER
  57. Alexandre Moreau, Président, Anafé
  58. Véronique Moreira, Présidente, WECF France
  59. William Morissé, président, Office de tourisme des Portes Euréliennes d’Ile de France
  60. Judith Pavard, Présidente, Fédération nationale des arts de la rue
  61. Yvan Pavis, Délégué régional, Fédération des MJC Ile de France
  62. Valérie Pélisson-Courlieu, Directrice générale, ESPERER 95
  63. Philippe Pereira ,Délégué national, Cotravaux
  64. Guy Plassais, Président, Fédération 95 de la Ligue de l’Enseignement
  65. Jean-François Quantin, Coprésident, MRAP
  66. Marie-Noëlle Reboulet, présidente, Geres
  67. Marcel Rémon, Directeur, CERAS
  68. Tristan Rivoallan , Trésorier, Constructions Incongrues
  69. Christophe Robert, Délégué général, Fondation Abbé Pierre
  70. Jean-Marc Roirant, Président, Fédération de Paris Ligue de l’Enseignement
  71. Christine Rollard, Présidente, OPIE
  72. Michel Roy, Secrétaire général, Justice et Paix France
  73. Gilles Rouby, Président, Collectif des Associations Citoyennes
  74. Jérôme Saddier ,Président, ESS-France
  75. Nadjima Saïdou, Présidente, Engagé·e·s & Déterminé·e·s
  76. Cécile Sajas, Présidente, Crajep Ile de France
  77. Arnaud Schwartz, Président, France Nature Environnement
  78. Pierre SEGURA, Président, Fédération nationale des Francas
  79. Roger Sue, Sociologue  
  80. Antoine SUEUR, Président, Emmaüs France
  81. Françoise Sturbaut, Présidente, Ligue de l’Enseignement
  82. Julien Talpin, Chargé de recherche au CNRS, Observatoire des libertés associatives
  83. Marielle Thuau, Présidente, Fédération Citoyens & Justice
  84. Florence Thune, Directrice Générale, Sidaction
  85. José Tissier, Président, Commerce Equitable France
  86. Jérémie Torel, co-président, Bénénova
  87. Mackendie Toutpuissant, Président, FORIM
  88. Robert Turgis, Président, Le Mouvement associatif d'Ile-de-France
  89. Elise Van Beneden, Présidente, Anticor
  90. Nathalie Vandermersch, Directrice Générale, Ajhiralp
  91. Didier Vaubaillon, Président, Terre des Hommes France
  92. Françoise Vernet, Présidente, Terre&Humanisme
  93. Loreline Vidal, Administratrice référente, Réseau National des Maisons des Associations
  94. Jérôme Voiturier, Délégué général, UNIOPSS
  95. Youlie Yamamoto, Porte-Parole, Attac France