POUR UNE RESPONSABILITE PARTAGEE
MANIFESTE
POUR LES TEMPS D’AVENIR *
Tribune signée
par les membres du bureau de la section, publiée dans le Settimana du 2 mars 2018
Ces dernières semaines, ce qui devait être les
prémices d’un dialogue s’est transformé en tensions. D’autres conflits
pourraient survenir. Devant ces incertitudes, rappelons avec force qu’une
majorité de Corses, au travers de plusieurs élections, ont fait le choix d’une
autre relation entre la Corse et l’Etat, celle d’une responsabilité partagée.
Nous pouvons mettre fin à une tutelle synonyme d’humiliation autrement que dans
un face-à-face, en déployant un art nécessairement politique par lequel le
peuple corse continue à s’inventer.
Dans l’immédiat, la revendication du rapprochement
des prisonniers politiques y compris les détenus particulièrement signalés,
demeure une condition nécessaire à l’apaisement. De même que l’inscription de
la Corse dans la Constitution. Un échéancier a enfin été précisé par le
Président de la République. Il revient au gouvernement et aux élus de trouver
les termes qui permettront non pas de banaliser la Corse parmi les régions
françaises, mais de garantir sa singularité. En ce sens, un pouvoir législatif
peut être attribué à la collectivité de Corse.
Le respect de la singularité corse passe
nécessairement par la prise en compte de la question linguistique. Affirmer
qu’on parle français en Corse comme partout ailleurs sur le territoire national
peut paraître du bon sens. C’est en fait relativiser l’existence d’un
bilinguisme historique au détriment de la langue corse aujourd’hui en danger.
En s’exprimant de la sorte, a contrario du bilinguisme qu’il entend promouvoir,
l’Etat semble méprisant. Il est temps d’ouvrir un véritable dialogue sur la
place de la langue corse en Corse et sur la reconstruction d’une société bilingue
associant corsophones et non corsophones.
La mise en œuvre de la collectivité de Corse
constitue un enjeu de première importance. La majorité territoriale
a la responsabilité première de cette installation. Mais l’Etat ne peut se
défausser. Le bon fonctionnement de l’Etat en Corse est tributaire du bon
fonctionnement de la collectivité de Corse, et inversement.
La nouvelle organisation territoriale de la Corse
interroge sur le risque d’une centralisation du pouvoir politique. Devant cette
possible dérive, le conseil économique, social, environnemental, le CESE, et la
chambre des territoires doivent jouer leur rôle de contre-pouvoirs. A l’instar
du CESE, la chambre des territoires pourrait s’autosaisir de dossiers relevant
de son champ d’intervention et contribuer ainsi à la délibération au-delà d’un
simple avis.
Mais surtout, la mise en œuvre de la collectivité de
Corse, au travers de la définition de ses politiques publiques, est l’affaire
de tous les citoyens. Une démocratie délibérative reste à inventer. Avec la
perspective d’un transfert d’une compétence législative à la collectivité de
Corse, l’association des citoyens à la délibération sonne comme une évidence
démocratique.
Face aux attaques qui se multiplient contre le
PADDUC, il y aussi urgence à mettre en œuvre cette nouvelle démocratie. Le
PADDUC n’est pas un « super PLU ». Il est un projet de société qui
s’est construit à l’origine sur une forte mobilisation de la société civile
contre la désanctuarisation de la Corse. Alors que se développent les
inégalités sociales et territoriales, certains rêvent de davantage
d’enrichissement personnel et d’un modèle entrepreneurial hégémonique, celui de
la compétition et de l’efficacité dans la conquête des marchés, au détriment
des solidarités et des protections pour tous.
Par leur vote, les citoyen-ne-s ont fait le choix de
plus de droits et de libertés pour davantage de responsabilité. Mais il faut
s’entendre sur le sens des mots. Plus de droits et de libertés ne signifient
pas plus de pouvoir donné aux plus forts mais davantage de responsabilité
collective.
Le droit au logement qui n’est pas le droit de
propriété constitue de toute évidence une priorité. Il pourrait être une
compétence de la collectivité de Corse, en cohérence avec ses compétences en
matière d’aménagement et de développement économique. Le droit à la santé,
l’accès aux soins pour tous, à juste titre régulièrement revendiqués par les
syndicats et des collectifs de citoyens et d’élus sont une autre priorité.
L’artificialisation accélérée des sols constitue un
défi majeur pour l’environnement, pour la préservation des terres agricoles et
pour un équilibre entre les territoires. Il faut ici agir au plus vite. Plus
généralement, il nous faut nous mobiliser contre les inégalités et pour un
développement durable. Le principe d’une responsabilité sociale et
environnementale doit être au fondement de l’action publique en tous domaines.
Nous vivons dans un monde mondialisé et
interdépendant. Et dans ce monde-là, l’émergence de nouveaux espaces politiques
infra et supra-étatiques ainsi que la constitution de firmes transnationales
réduisent la vision d’un Etat seul souverain dans son palais à un mirage.
Doit-on pour autant constater les migrations dangereuses pour les victimes de
la guerre et de la misère, le saccage de notre environnement, le recul de la
diversité culturelle et linguistique comme autant de fatalités ? Ce serait
ignorer les résistances et les transformations à l’œuvre. Ce serait abdiquer
toute citoyenneté et démissionner de nos responsabilités envers les générations
futures. Le débat sur la Corse relève de cette dimension.
Le bureau de la LDH Corsica : Jean-Claude
ACQUAVIVA, Marie-Anne ACQUAVIVA, Antonin BRETEL, Frédérique CAMPANA,
Jean-François CASALTA, Jean-Sébastien de CASALTA, Francine DEMICHEL, Christine
MATTEI-PACCOU, Ibtissam MAYSSOUR-STALLA, Gérard MORTREUIL, André PACCOU, Elsa
RENAUT, Dumé RENUCCI, Sampiero SANGUINETTI
"Construire des temps d’avenir en
Corse"
Tribune d'André PACCOU publiée
dans Hommes &
Libertés n°181 de mars 2018
Pour un projet de
transformation démocratique et sociale en Corse.
En obtenant la majorité absolue à l’élection
territoriale de décembre dernier - 56,5% des suffrages exprimés - les
nationalistes confirment leurs résultats à l‘élection municipale de mars 2014,
avec la conquête de plusieurs dizaines de municipalités dont la ville de
Bastia, ainsi que leur première victoire à la territoriale de 2015 et leurs
résultats à la législative de juin 2017 avec l’élection de trois députés sur
quatre.
2014-2017 :
un tournant historique
Certains
relativisent cette nouvelle progression en arguant d’un taux d’abstention élevé
au second tour de l’élection territoriale, 47,4%. Mais contestent-ils la
légitimité de la majorité présidentielle à l’Assemblée nationale, issue d’un
scrutin marqué au second tour par une abstention nationale supérieure de dix
points à celle observée au second tour de l’élection corse.
La période
2014-2017 constitue un tournant dans l’histoire contemporaine de la Corse. Elle
assoit l’implantation électorale des nationalistes et confirme le déclin des
clans qui structuraient la scène politique insulaire depuis plusieurs
décennies. A gauche, le clan Zuccarelli battu à Bastia lors de la municipale de
2014 par la liste de Gilles Simeoni et le clan Giacobbi désormais absent
de l’Assemblée nationale et de l’Assemblée de Corse. A droite, le clan de Rocca
de Serra défait à l’élection cantonale de 2011 dans son fief historique de
Porto-Vecchio par le nationaliste Jean-Christophe Angelini. A nouveau battu
lors de la législative de 2017 par un nationaliste, Paul-André Colombani.
Enfin
félicitons-nous de l’échec de l’extrême-droite lors de cette dernière
territoriale. Quelle que soit sa version, jacobine avec le FN, ou se
revendiquant du peuple corse et particulièrement impliquée dans les récentes
agitations racistes et xénophobes, l’extrême- droite ne sera plus représentée à
l’Assemblée de Corse.
Le cercle
vertueux de la démocratie
En annonçant la
fin des attentats en juin 2014, le FLNC a contribué à cette évolution. Mais il
ne faudrait pas pour autant sous-estimer l’engagement nationaliste dans le
combat démocratique bien avant cette annonce. Durant ces cinquante
dernières années, les nationalistes ont participé régulièrement à des
élections. Ils se sont fortement investis dans le mouvement civique et social.
Au sortir des
décolonisations, le nationalisme inspire les jeunes générations. Il se déploie
dans tous les domaines. Sa dénonciation du clanisme et de ses perversions
rappelle que le droit de vote et d’être élu demeure une conquête des citoyens.
Son implication dans le riacquistu (1) ou pour la
réouverture d’une université en Corse porte l’espoir d’une identité ouverte,
fondée sur un nouveau droit linguistique, le développement culturel et le droit
à l’éducation. Sa contribution aux luttes sociales, avec le syndicat des
travailleurs corses devenu le premier syndicat de salariés dans l’île,
accompagne l’émergence d’un salariat urbain… Au fil du temps, le nationalisme
étend progressivement son hégémonie politique et culturelle sur la société
corse. Ne pas prendre en compte cette influence sur le développement
démocratique à l’œuvre depuis les années 1970, c’est ne pas voir un des
fondements de la question corse : l’affirmation progressive d’une nouvelle
société politique.
La fabrication
d’un nouvel imaginaire politique
En effet depuis
la fin des années 60, un renouveau démocratique travaille la société corse. De
même, une succession d’évènements de nature diverse s’entremêlent ; d’une
part des attentats mais aussi des assassinats, d’autre part des manifestations
de rue, des actions devant la justice, des grèves, des débats publics... Hors
de l’île, la représentation d’une société chaotique, désordonnée, violente
domine, conséquence selon un rapport parlementaire établi au lendemain de
l’assassinat du préfet Erignac, de « l’attitude ambigüe que les Corses
observent à l’égard du droit et, plus généralement, à l’égard des règles
d’organisation d’une société démocratique moderne. » (2) On
sait ce qu’il adviendra de cette caricature et de la restauration de l’état de
droit préconisée dans ce rapport puis confiée à un préfet, Bernard Bonnet,
visant par tous les moyens à déstabiliser la société corse pour mieux la
soumettre au droit exclusif de l’Etat.
Durant cette
période, un demi-siècle, la société politique corse qui émerge n’est pas
prisonnière des agitations. Elle s’émancipe. Elle se réapproprie une histoire
plus lointaine. Elle met en scène les révolutions démocratiques corses du
dix-huitième siècle, la Constitution de Pascal Paoli, la conquête française… La
citation de Jean-Jacques Rousseau « J’ai le sentiment qu’un jour, cette
petite île étonnera l’Europe » devient une référence (3).
Dans les consciences, un nouveau temps historique se déploie. Une continuité
s’établit entre le temps présent, celui d’un bouillonnement démocratique, et
une histoire plus lointaine. La certitude de partager un destin commun dans la
longue durée devient une conviction partagée au-delà du nationalisme :
« La Corse fabrique des Corses ».
Pendant un
temps, la gauche comprend ces évolutions. Le 12 avril 1989, devant l’Assemblée
nationale, Michel Rocard, premier ministre, déclare : « Votre question me
permet d'exprimer aujourd'hui mon sentiment profond… sur ce que l'on a appelé
ici ou là le problème corse… Le mal… vient de loin. Il est donc nécessaire de
rappeler les raisons de la situation actuelle. La France a acheté les droits de
suzeraineté sur la Corse à la République de Gênes, mais il a fallu une guerre
pour les traduire dans les faits. ». Et d’ajouter : « Pendant
que nous construisions, sous la Ill e République, notre démocratie locale, nos
conseils généraux, nos libertés communales, la Corse était sous gouvernement
militaire. » (4). Le 2 mai 1990, l’article 1er du
projet de loi du ministre de l’intérieur Pierre Joxe reconnaît « le peuple
corse, composante du peuple français » (5). Le Conseil
constitutionnel (6) censurera cette formule symbolique.
Mais peu importe
cette décision face à « un peuple...qui malgré les incertitudes et les
doutes, s’invente dans de nouvelles conditions de lutte auxquelles un art
nécessairement politique doit contribuer » (7). Trente
années ont passé. Le peuple corse demeure un projet de société.
Il faut savoir
raison garder
Aujourd’hui, la
situation corse lorsqu’elle est perçue comme un syndrome catalan désoriente
bien des esprits. Les amalgames l’emportent alors sur la capacité à distinguer
des situations différentes. La capacité à agir sur le réel est aussi atteinte.
Pour la Corse, l’Etat va-t-il se laisser gagner par cette mauvaise
fièvre ?
Certains tenants
de l’ordre établi tirent en arrière en s’appuyant sur quelques relais
politiques locaux afin de diviser pour mieux régner. A la veille des élections
territoriales, ils procèdent au transfert autoritaire d’une compétence sur le
logement social à la Communauté de communes du pays ajaccien au détriment de la
Collectivité de Corse. Le clanisme est sur le déclin mais les candidatures à un
néo-clanisme ne manquent pas. Les mêmes veulent maintenir une tutelle de l’Etat
sur la Corse : le décret instaurant une Chambre des territoires de Corse
dans le cadre de la création de la Collectivité unique ne prend en compte aucun
des avis émis par l’Assemblée de Corse même lorsqu’il s’agit simplement
d’améliorer la parité hommes femmes au sein de cette institution. Ce sont toujours
les mêmes qui parient sur un échec de la majorité nationaliste dans la mise en
œuvre de la nouvelle collectivité unique.
Dans le même
temps, l’Etat annonce une possible inscription de la Corse dans la Constitution
et un droit de différenciation dans l’application de la loi pour toutes les
régions, semblant hésiter entre une reconnaissance de la singularité corse au
plus haut niveau de la loi et une banalisation de la question corse, une région
comme les autres. Il rappelle systématiquement des lignes rouges à ne pas
dépasser.
« Gouverner,
c’est prévoir » dit-on. Que ceux qui ont en responsabilité la conduite de
l’Etat fassent leur cette devise. Ou bien ils considèrent la Corse comme une
ligne Maginot et les Corses comme des ennemis intérieurs. Ou bien ils entendent
les aspirations des Corses à plus de droit, plus de responsabilité et davantage
de maîtrise de leur destin.
Construire des
temps d’avenir
L’Etat peut
changer rapidement de trajectoire. En contribuant à l’apaisement par la simple
application de la loi en matière de liberté conditionnelle, de fin de peine de
sûreté et de transfèrement en Corse pour tous les prisonniers politiques. En
décidant d’engager un dialogue sans tabou avec l’Assemblée de Corse. Dès lors,
chaque partie devra avoir en conscience sa part de responsabilité dans le
devenir de ce dialogue. Répondre à la fois à un impératif démocratique - à
terme, renoncer à la clandestinité et en finir avec la répression politique et
l’antiterrorisme. Répondre également à un impératif de
solidarité - rétablir au plus vite une situation sociale
normale, l’accès aux droits pour des dizaines de milliers de personnes victimes
de la précarité voire de la grande pauvreté pour un Corse sur cinq.
Nous vivons dans
un monde mondialisé et interdépendant. Et dans ce monde-là, l’émergence de
nouveaux espaces politiques infra et supra-étatiques ainsi que la constitution
de firmes transnationales réduisent la vision d’un Etat seul souverain dans son
palais à un mirage. Doit-on pour autant constater les migrations dangereuses
pour les victimes de la guerre et de la misère, le saccage de notre
environnement, le recul de la diversité culturelle et linguistique comme autant
de fatalités ? Ce serait ignorer les résistances et les transformations à
l’œuvre. Ce serait abdiquer toute citoyenneté et démissionner de nos
responsabilités envers les générations futures. Le débat sur la Corse relève de
cette dimension.
La Corse est à un tournant historique, écrivons-nous
plus haut. La question de la société politique corse, à la fois la citoyenneté
en Corse et celle son déploiement institutionnel, doit être abordée
clairement. Dans notre monde, poser la question d’une
responsabilité partagée avec l’Etat, c’est vouloir répondre à la nécessité de
nouvelles régulations démocratiques au niveau local. En ce sens, un pouvoir
législatif peut être attribué à la Collectivité unique en relation par exemple,
avec les compétences d’aménagement et de développement de l’institution.
Si ce pouvoir est attribué à l’Assemblée de
Corse, alors il faudra en tirer toutes les conséquences en termes de
citoyenneté, et donner le droit de vote et d’être élu à celles et ceux qui sont
installé-e-s durablement dans l’île, quel que soit leur lieu de naissance ou
leur lignage.
Mais l’impératif
démocratique est indissociable de l’impératif de solidarité. Ici comme
ailleurs, l’abstention s’explique principalement par le désengagement de
citoyens victimes de la raison économique. La Collectivité de Corse peut être
mise au service d’un projet de transformation démocratique et sociale. La
citoyenneté sociale n’aura d’existence que si elle se traduit par une
participation effective de tous les citoyens à la définition, au suivi et à
l’évaluation des politiques publiques mises en œuvre par cette Collectivité.
Dans le prolongement du développement démocratique à l’œuvre depuis cinquante
ans, il s’agit d’organiser l’agora du XXIe siècle,
« l’agir ensemble » qui permettra de réinventer le rôle des
institutions de la République afin de mieux lutter contre les inégalités et de
promouvoir la diversité culturelle et linguistique.
« Lorsqu’on
veut changer les choses et innover dans une république, c’est moins les choses
que le temps que l’on considère » Faisons nôtre cette réflexion de La
Bruyère (8). Considérons que des temps nouveaux, des temps
d’avenir sont plus que jamais à l’ordre du jour. Mais dans l’immédiat, il
revient au gouvernement de répondre à la main qui lui est tendue.
(1) En français, la « réacquisition ».
Important mouvement social de réappropriation de la culture et de la langue
corse (création de chants et de groupes polyphoniques, de pièces et de troupes
de théâtre, multiplication de publications, universités d’été pour la
réouverture de l’université de Corse…)
(2) « Corse, l’indispensable sursaut » (rapport fait sur
l’utilisation des fonds publics et la gestion des services publics en Corse
adopté par l’Assemblée nationale le 2/9/2018)
(3) « Le contrat social » de Jean-Jacques Rousseau
(4) Journal officiel de la République française – débats parlementaires –
Assemblée nationale (Année 1989. N° 7A.N. (C.R.) – Jeudi 13 avril 1989)
(5) Projet de loi portant statut de la collectivité territoriale de Corse.
(7) « L'image-temps » de Gilles Deleuze (Extrait repris dans l'introduction
du « Manifeste pour les produits de haute nécessité » d’Ernest Breleur, Patrick
Chamoiseau, Serge Domi, Gérard Delver, Edouard Glissant, Guillaume Pigeard de
Guibert, Olivier Portecop, Olivier Pulvar, Jean Caide William)
(8) « Les caractères » de Jean de La
Bruyère
"Pour un nouveau droit linguistique en Corse
" Contribution d'André PACCOU, publiée dans la revue Hommes & Libertés
n°179 d'octobre 2017
Le conflit entre la langue française et la langue corse, qui s’est
particulièrement affirmé depuis le « riacquistu » (1) des années
1970, demeure un enjeu politique majeur de la « question corse ».
Genèse.
De part et d’autre, le lien
systématiquement revendiqué entre langue et identité tend à figer les
positions. Soit il fait craindre une dérive communautariste, voire une atteinte
à la souveraineté nationale. Soit le lien est associé à un délitement social
irrémédiable, à la disparition à terme du peuple corse. Comment dépasser cet
antagonisme et progresser vers un projet de société où le français et le corse
se développeraient sans vouloir s’exclure ? L’Unesco classe le corse parmi
les langues en danger dans le monde (2). Ce constat est établi à partir d’une
grille de neuf critères de vitalité d’une langue. Il s’inscrit dans une
mobilisation de l’institution internationale, dont les objectifs sont la prise
de conscience des menaces qui pèsent sur les langues et la sauvegarde de la
diversité linguistique mondiale.
En France, l’Unesco recense vingt-six
langues non officielles, dont vingt-trois « en danger » (elles ne
sont plus enseignées aux enfants comme langues maternelles à la maison) ou
« sérieusement en danger » (elles sont seulement parlées par les grands-parents
et les générations les plus âgées.). Cette situation inquiétante interroge
notre modèle républicain et sa capacité à garantir la diversité linguistique.
Elle fait écho au refus obstiné que la France oppose à la ratification de la
Charte européenne des langues régionales et minoritaires.
Le Conseil constitutionnel motive ce refus
par les atteintes que la Charte porterait aux principes constitutionnels
d’indivisibilité de la République et d’unicité du peuple français (3).
L’attribution de « droits spécifiques à des"groupes" de
locuteurs de langues régionales ou minoritaires, à l'intérieur de "territoires" dans
lesquels ces langues sont parlées » est particulièrement ciblée.
Le français au service d’un Etat unitaire
Comment, à la lecture de cette décision,
ne pas entendre comme un bruit de fond les propos de l’abbé Grégoire dans
son « Rapport sur la nécessité et les moyens d’anéantir les patois et
d’universaliser la langue française » (juin 1794) ? « On
peut assurer sans exagération qu’au moins six millions de Français […] ignorent
la langue nationale. […] Avec trente patois différents, nous
sommes encore, pour le langage, à la tour de Babel, tandis que, pour la
liberté, nous formons l’avant-garde des nations. […] On peut
uniformiser le langage d’une grande nation, de manière que tous les citoyens
qui la composent puissent sans obstacle se communiquer leurs pensées. Cette
entreprise, qui ne fut pleinement exécutée chez aucun peuple, est digne du
peuple français, qui centralise toutes les branches de l’organisation sociale
et qui doit être jaloux de consacrer au plus tôt, dans une République une et
indivisible, l’usage unique et invariable de la liberté. »
Le linguiste Alain Rey rappelle que « le
mythe de Babel, connu à l'intérieur des croyances judéo-chrétiennes, était
fondé sur l'idée que les réalités observables de la parole humaine, en matière
de communication, étaient le résultat de l'orgueil humain, destructeur de la
parole unique de Dieu, le Verbum latin. L'existence de nombreuses langues différentes
bloquant l'harmonie universelle de l'humanité reflétait alors l'imperfection
humaine face à la perfection unitaire du Dieu monothéiste ».
Le monolinguisme, passion qui vient de
loin
Le rapport de l’abbé Grégoire, document de
référence, s’inscrit dans la continuité du projet politique de la monarchie
absolue dont l’acte fondateur fut l’ordonnance de Villers-Cotterêts. L’objectif
de l’ordonnance signée en 1539 par François 1er est de
substituer l’ordre royal à l’ordre ecclésiastique et aux ordres coutumiers, et
le français au latin et aux langues locales. Le français, plus
précisément la langue d’oïl, devient langue du royaume.
Pour augmenter l’emprise du pouvoir
politique sur la langue, Louis XIV crée l'Académie française en 1635.
L’Académie a pour mission d’unifier le français, notamment afin d’en faire
une norme pour les rédacteurs de lois et de documents administratifs. L’écrit
est au cœur de ce processus de normalisation et de centralisation. « La
perfection du pouvoir passe par le contrôle de la coutume… contrôle que l’écrit
permet enfin aux lettrés de réaliser. Simultanément, la classe juridique
s’assure le monopole des sources du droit puisque aussi bien la masse du peuple
est illettrée. » (4)
De nos jours, le rôle de gardienne du
temple de l’Académie ne se dément pas. En 2008, celle-ci s’oppose à la mention
des langues régionales dans la Constitution, adoptée par les députés (5).
Jaurès plutôt que l’abbé Grégoire
Jean Jaurès ne craignait pas les langues
régionales, fussent-elles parlées par des groupes de locuteurs à l’intérieur de
territoires. Son article « Méthode comparée » de 1911 (6) en
atteste : « Il y a quelques semaines, j’ai eu l’occasion d’admirer
en pays basque comment un antique langage … avait disparu. Dans les rues de
Saint-Jean-de-Luz on n’entendait guère parler que le basque, par la bourgeoisie
comme par le peuple. […] Quand j’ai voulu me rendre
compte de son mécanisme … aucune indication. Pas une grammaire basque, pas un
lexique basque dans Saint-Jean-de-Luz où il y a pourtant de bonnes librairies.
Quand j’interrogeais les enfants basques, […] ils avaient le
plus grand plaisir à me nommer dans leur langue le ciel, la mer, le sable, les
parties du corps humain, les objets familiers ! Mais ils n’avaient pas la
moindre idée de sa structure, […] ils n’avaient jamais songé à
appliquer au langage … qu’ils parlaient dès l’enfance, les procédés d’analyse
qu’ils sont habitués à appliquer à la langue française. […] Les
maîtres ne les y avaient point invités. […] D’où vient ce
délaissement ? Puisque ces enfants parlent deux langues, pourquoi ne pas
leur apprendre à les comparer et à se rendre compte de l’une et de
l’autre ? Ce qui est vrai du basque est vrai du breton. […] Cela
est plus vrai encore et plus frappant pour nos langues méridionales ! Ce
sont, comme le français, des langues d’origine latine. […] Sans
étudier le latin, les enfants verraient apparaître sous la langue française et
sous celle du Midi, et dans la lumière même de la comparaison, le fonds commun
de latinité.[…] J’ai été frappé de voir, au cours de mon voyage à
travers les pays latins, que, en combinant le français et le languedocien, et
par une certaine habitude des analogies, je comprenais en très peu de jours le
portugais et l’espagnol.[…] Si, par la comparaison du français et
du languedocien, ou du provençal, les enfants du peuple, dans tout le Midi de
la France, apprenaient à retrouver le même mot sous deux formes un peu
différentes, ils auraient bientôt en main la clef qui leur ouvrirait, sans
grands efforts, l’italien, le catalan, l’espagnol, le portugais. »
Précurseur, Jaurès met en perspective un
enseignement bilingue français-langue régionale, qu’il considère comme une
ressource pour l’apprentissage des langues et pour l’ouverture au monde. Il
faudra attendre 1951 et la loi Deixonne pour assister aux premiers
balbutiements législatifs d’un enseignement des langues régionales (7).
Le français et le corse, une histoire
singulière
La Corse n’a pas vécu la montée en
puissance de la monarchie absolue depuis la fin du XVIe siècle,
et les conséquences de son acte fondateur, l’ordonnance de Villers-Cotterêts,
qui officialise le français. De la fin du XIIesiècle au début du
XVIIIe siècle, l’île est occupée par Gênes. Le toscan, devenu
au fil du temps l’italien officiel, est alors la langue écrite des occupants et
des élites corses. De son côté, le corse constitue le socle linguistique de la
société agro-pastorale insulaire.
En 1769, après la défaite de la Corse
indépendante de Pascal Paoli et l’annexion de l’île par la France monarchique,
la Corse est rattrapée par l’histoire de France et son Etat centralisé.
Toutefois, le français, que les Corses ignorent généralement, ne peut être
imposé comme langue officielle unique.
Jusqu’à la veille de la Révolution
française de 1789, le Code corse, qui renferme les documents relatifs à la vie
publique publiés dans l’île, continue à être traduit en français et en italien.
Les autorités administratives et judiciaires, les administrés et les
justiciables peuvent utiliser les deux langues. Le 20 juillet 1794, un décret
de la Convention nationale précise que « nul acte public ne
pourra, dans quelque partie que ce soit du territoire français, être écrit qu’en
langue française ». En Corse, le décret est suspendu jusqu’en
1806. Il faut attendre 1852 pour que l’italien disparaisse dans les
actes de l’état civil, plus lentement dans les actes notariés.
L’italien définitivement écarté, la
francisation se poursuit avec pour objectif d’effacer également le corse
populaire. Elle s’appuie à la fois sur l’instruction publique obligatoire et la
prohibition de l’usage du corse dans le cadre scolaire. Comme d’autres langues
régionales qui subissent le même sort, le corse résiste. Selon une enquête
statistique de 1864, la Corse « se trouve en compagnie de quatre
départements occitans, dans le groupe où le pourcentage de la population ne
parlant pas le français est le plus élevé : plus de 90 % ». (8)
En 1896, la publication du premier journal
en corse (9) marque un tournant. Ce passage à l’écrit permet au corse de
s’affirmer comme langue à part entière. En 1915, le premier dictionnaire de la
langue corse est publié. Le corse écrit se diffuse au travers de journaux, de
revues, de recueils de poésie... La guerre 39-45 et certains ralliements à
l’irrédentisme du fascisme italien vont marginaliser la revendication
linguistique pendant des années. Aucune protestation ne s’élève lorsque le
corse est écarté du champ d’application de la loi Deixonne en 1951.
Fin des années 1950, des revendications
pour un enseignement du corse se font à nouveau entendre. Puis le « riacquistu » ancre
la revendication linguistique dans un projet de société fondée sur l’existence
du peuple corse. Il enregistre un succès symbolique, avec l’intégration du
corse dans la loi Deixonne. Il ouvre la voie à d’autres mobilisations et à
d’autres succès.
Sortir du désordre linguistique
Aujourd’hui, la situation est paradoxale.
Le corse a fait son entrée dans des domaines où il était exclu : création,
enseignement, médias… Mais son usage quotidien continue à diminuer (10).
De son côté, l’Etat semble vouloir
s’engager dans une politique volontariste de promotion du corse. Il va jusqu’à
tolérer une certaine officialisation de la langue corse, en acceptant son usage
dans des collectivités territoriales. En fait, confronté depuis plusieurs
décennies aux mobilisations de la société corse et à des sollicitations
européennes, l’Etat s’adapte sans autre vision que celle d’un modèle
républicain fondé sur le monolinguisme et concevant la liberté d’expression
comme un exercice individuel. Pourtant, la liberté d’expression s’exerce aussi
au sein de groupes.
Le corse est en danger. L’urgence est
d’abattre le mur de l’uni-cité et d’ériger un nouveau droit linguistique en
lieu et place d’une politique bricolée, opportuniste, contingente, aléatoire.
Désormais, le temps est venu de construire une société bilingue. Il revient à
l’Etat, dans un dialogue avec la Corse, de définir les conditions qui
permettent l’exercice de la liberté d’expression en corse dans tous les
domaines de la vie sociale insulaire. Y compris au sein des collectivités
territoriales de la République et plus largement dans le cadre d’un processus
d’officialisation, tout en garantissant l’accès aux droits pour tous.
Il y a vingt-cinq ans déjà, le rapport
explicatif de la Charte européenne des langues régionales et minoritaires
rappelait cette exigence démocratique d’un exercice desdites langues dans toute
la société, enseignement, médias, monde judiciaire et administratif, vie
économique et sociale, secteur culturel, pour compenser les conditions
défavorables qui leur ont été réservées dans le passé et pour leur donner la
possibilité de se maintenir, de se développer (11).
(1) En français, la
« réacquisition ». Important mouvement social de réappropriation de
la culture et de la langue corse (création de chants et de groupes
polyphoniques, de pièces et de troupes de théâtre, multiplication de
publications, universités d’été pour la réouverture de l’université de Corse…).
(2) Unesco, Atlas des langues en
danger dans le monde, 2009.
(3) Conseil Constitutionnel, DC du 15 juin
1999.
(4) Norbert Rouland, L’Etat
français et le pluralisme, histoire politique des institutions publiques de 476
à 1792, Odile Jacob, 1995.
(5) « Le 22 mai dernier, les
députés ont voté un texte dont les conséquences portent atteinte à l’identité
nationale. Ils ont souhaité que soit ajoutée dans la Constitution :
‘Les langues régionales appartiennent à son patrimoine’. […] L’Académie française […] demande
le retrait de ce texte […] qui n’a pas sa place dans la
Constitution », extraits de la déclaration du 12 juin 2008.
(6) Revue de l’Enseignement
primaire du 15 octobre 1911.
(7) Tout enseignant du primaire peut se
référer à la langue locale, dans le cadre d'un enseignement facultatif.
(8) Pascal Marchetti, La
Corsophonie, un idiome à la mer, Ed. Albatros, 1989.
(9) Le journal A tramuntana, fondé
par Santu Casanova et destiné à un large public.
(10) Pour exemple, entre 1915 et 1919, son
« taux de transmission » comme « langue habituelle » aux enfants de 5 ans était
de près de 85 % ; entre 1985 et 1986, il est sous les 10 % (Population &
Sociétés, 2002).
(11) Rapport explicatif de la Charte
européenne des langues régionales ou minoritaires, 1992, paragraphe 10
(https://rm.coe.int/16800cb620).
Contribution aux débats précédant les élections territoriales de décembre 2017
Accidents
nucléaires, pollutions de l’air, de l’eau, des sols, conflits armés, crises
économiques, dérégulations …. Nombre d’évènements qui se produisent localement
ont désormais des répercussions immédiates sur le reste de l’humanité. Nous vivons
dans un monde mondialisé où chaque société est plus que jamais interdépendante
des autres, où « chacun est seul responsable
de tous ». La définition de nouvelles relations entre le global et le
local s’impose comme une nécessité. Dans ce monde recomposé, la Corse est un
morceau du ciel de l’humanité.
Nous,
signataires, n’oublions pas ce que nous sommes pour ne pas être simplement
emportés dans ce monde nouveau. Nous voulons y maîtriser notre destin.
Nous
sommes de la Corse de Pascal PAOLI et des libertés à conquérir, de celle de
Jean NICOLI et de la résistance aux oppressions. Nous sommes de la Corse des
révoltes et des émancipations d’après-guerre, du Riacquistu et des identités métissées, de la Corse de la justice
sociale et des grandes grèves de 1989 et de 1995, des mouvements de femmes
contre les violences, des mobilisations contre le racisme, pour la fraternité.
Nous
sommes de la Corse de l’Aïutu et des Consulte, et nous avançons dans ce monde
nouveau avec les femmes et les hommes qui revendiquent la force du droit contre
le droit de la force. Nous n’oublions pas que la misère, la terreur et la
guerre ont toujours constitué les premiers malheurs de l’humanité.
Les
inégalités ne cessent d’augmenter et dans le même temps, la solitude se fait
plus menaçante pour les plus pauvres et les plus âgé(e)s. Nous entendons le
désarroi qui peut s’exprimer au travers de colères parfois mauvaises, avec des
renoncements à la fraternité. Mais tant de chantiers sont à explorer : le
partage des richesses, une autre façon de concevoir la propriété, la définition
de biens communs, les engagements associatifs et la solidarité, les protections
sociales pour tous, une société bilingue où le corse et le français
s’épanouissent, se confortent sans vouloir s’exclure… Et l’accès au savoir qui permet à chacun de
se libérer des idoles et des vérités toutes faites.
Chaque
femme, chaque homme qui réside durablement ici doit pouvoir participer aux
affaires de la Cité quelle que soit sa nationalité. Les pauvres sont des
acteurs essentiels pour construire une société de l’égalité et de la
solidarité. Ni l’origine, ni la fortune ne sont des frontières. Nous
revendiquons une Corse du contrat social et nous pouvons toujours étonner le
monde.
Nous
sommes des artisans de la paix. Nous ne croyons pas à cette fable sécuritaire
et autoritaire qui nous protègerait des désordres du monde et qui fait de
chaque citoyen un individu à surveiller, et de certains d’entre nous un ennemi
intérieur en raison de son origine ou de sa croyance. Devant les actes de
barbarie qui atteignent les sociétés partout dans le monde, nous ne voulons pas
abdiquer de nos libertés et de notre fraternité.
Nous
voulons accueillir des enfants, des femmes et des hommes qui fuient la guerre
et la misère. Nous dénonçons et refusons la préparation et l’entretien d’activités
hégémoniques sur notre sol, à Solenzara et ailleurs, à quelques dizaines de
kilomètres de là où se noient tous les jours des personnes qui tentent de
traverser la Méditerranée. Nous voulons que soit mis un terme à cette part de
guerre qui se fabrique en Corse.
Nous
revendiquons un avenir méditerranéen libéré des conservatismes, de la
dictature, de la barbarie, de l’empire des puissants de ce monde. Par notre
engagement citoyen, ici et maintenant, pour la paix, l’égalité, la dignité,
nous rendons possible cet avenir.
« Chacun est seul responsable
de tous », écrivons-nous au début de ce texte, y
compris les candidat(e)s aux élections territoriales. Nous les interpellons par
ce manifeste. Nous sommes aussi tous responsables de chacun. Et nous nous
adressons aux citoyennes et aux citoyens, y compris à celles et ceux qui n’ont
pas le droit de vote ou d’être élu(e)s, en espérant que notre contribution sera
utile pour le débat qui s’annonce.
*A l’initiative de la ligue des droits de l’Homme
CUSTRUÌ
I TEMPI À VENE
Accidenti
nucleari, pulluzione di l’aria, di l’acqua, di e tarre ; guerre, crise
economiche, disordini varii… sò numarosi l’evenimenti à pruduce si lucalamente
chì anu cunseguenze subitanie nant’à l’umanità sana. Campemu ind’un mondu
apartu induve chì ogni sucetà hè più cà mai dipendente di l’altre, induve
ognunu di noi hè rispunsevule di l’altri tutti. A definizione di leie nove trà
glubale è lucale da necessaria ch’ella hè, si impone. In stu mondu riassestatu,
a Corsica ci hà a so striscia di celu.
Noi
signatarii, tinimu à mente ciò ch’è no semu da ùn esse parati da a piena di stu
mondu novu ; inseme, ci vulemu ammaistrà u nostru destinu.
Semu
di a Corsica di Pasquale Paoli, è di e libertà da cunquistà ; quella di
Jean Nicoli è di a resistenza à l’oppressioni. Semu di l’emancipazioni di u
dopu guerra, di u Riacquistu è di e indentità misticciate ; a Corsica di a
ghjustizia suciale è di e greve maiò di u 1989 è di u 95, di u muvimentu di e
donne contru à e viulenze, di e mosse contr’à u razzisimu, pè a fratillanza.
Semu
di a Corsica di l’Aiutu è di e cunsulte è andemu avanti in ‘ssu mondu novu cun
omi è donne chì rivindicheghjanu a forza di u dirittu contr’à u dirittu di a
forza. Ùn ci scurdemu chì a miseria, u tarrore è a guerra sempre anu custituitu
e prime disgrazie di l’umanità.
E
disuguaglianze crescenu è crescenu torna è a sulitutine hè l’ancisa fatta à i
più povari è à a ghjente attimpata. Sigura chì u sintimu u scumpigliu chì
spessu si veste di collara gattiva è chì ingabbia a fratillanza. Ma sò tante
l’oparate dà visticà : a spartera di e ricchezze, un antru versu di
cuncepì a prupietà, a definizione di ciò ch’hè bè cumunu, l’impegni assuciativi
è a sulidarità, u prutegge suciale per ognunu, una sucetà bislingua induv’è
corsu è francese si possinu spannà, è rispittà… è l’accessu à u sapè chì
permette à ognunu di
libarà si di l’iduli è di e verità troppu semplice…
Ogni
donna, ogn’omu chì sceglie, campendu quì, un’arradichera prufonda, deve pudè
cuntribuì à e faccende publiche qualsiasi a so naziunalità. I puvarelli sò
attori fundii di u custruì d’una sucetà di l’uguaglianza è di a sulidarità. Nè
l’origini nè a ricchezza ùn ponu cunstituì fruntiere. Rivindichemu una Corsica
di u pattu suciale, sempre pronta à stunà u mondu.
Artisgiani
di a pace semu. Ùn cridimu manc’à pena à sta favula securitaria è autoritaria
chì ci prutegeria da i disordini di u mondu è chì face d’ogni citatinu un
suspettu da spià, è di certi, nemichi in grembiu pè via di a s’origine o di e
so cridenze. Di pettu à l’atti barbari chì culpiscenu e sucetà in lu mondu
interu, ùn vulemu cuncede nè libertà, nè fratillanza.
Vulemu
accoglie zitelli, donne è omi minacciati da a guerra è a miseria. Dinunziemu,
ricusemu ch’omu appronti annant’à a nostra tarra, in Sulinzara è altrò, azzioni
da sottumette altri populi, da impatrunisce si di e so loche, è quessa, à poca
distanza di ‘ssi mari duv’elli s’anneganu ogni ghjornu persone chì provanu à
franca u mediterraniu. Vulemu fà lu finitu stu principiu di guerra chì nasce
quì.
Abbramemu
un avvene mediterraneu francatu si da i
cunservatisimi, a dittatura, l’imperu di i preputenti di stu mondu. Per via di
u nostru impegnu citatinu à prò di a pace, di l’uguaglianza, di a dignità,
rindimu pussibule un avvene simule.
« Ognunu,
hè rispunsevule di tutti » emu scrittu in cima di sta dichjarazione ;
ognunu è tutti, ancu puru i candidati à l’alizzioni tarrituriali à vene ed hè
per quessa ch’è no li lampemu sta chjama. Semu dinù rispunsevuli d’ognunu è ci
addirizzemu à citatini è citatine, ancu a quelli ch’ùn anu u dirittu di vutà o
d’esse eletti incù a spiranza chì sta ghjunta nostra pudarà esse utule à u
dibattitu chì prestu prestu vinarà à gallu.
Publié le 20 octobre 2017 dans le supplément de Corse-Matin SETTIMANA
Les signataires :
Antoine
ACQUAVIVA, Jean-Claude ACQUAVIVA, Marie-Anne ACQUAVIVA, Michèle
ACQUAVIVA-PACHE, Jean-Charles ADAMI, Vincent ANDRIUZZI, François-Aimé ARRIGHI,
Jean-Marie ARRIGHI, Jean-Pierre ARRIGHI, Pascal ARROYO, François BERLINGHI,
Pierre BERTONI, Dominique BIANCONI, Laurent BILLARD, Antonin BRETEL, Frédérique
CAMPANA, François CANAVA, Gigi CASABIANCA, Jean François CASALTA, Guy CIMINO, Mathéa
COMELLI, Vincente CUCCHI, Jean Sébastien DE CASALTA, Francine DEMICHEL, Alain
DI MEGLIO, Orlando FORIOSO, Patrizia GATTACECA, Francis MARCANTEI, Francine
MASSIANI, Dominique MATTEI, Christine MATTEI-PACCOU, Ibtissam MAYSSOUR-STALLA,
Séverin MEDORI, Miloud MESGHATI, Jean-René MORACCHINI, Gérard MORTREUIL,
Marie-Jeanne NICOLI, André PACCOU, Gaston PIETRI, Roger POGGI, Lydia POLI,
Patrizia POLI, Elsa RENAUT, Dominique RENUCCI, Didier REY, Cathy ROCCHI,
Valérie SALDUCCI, Sampiero SANGUINETTI, Ghjacumu THIERS, Pascal VIVARELLI.
- RESOLUTION adoptée au Congrès de Niort - 2013 : République, diversité territoriale et universalité des droits.
"La République n’existe pleinement que dans le respect des libertés, de l’égalité et de l’universalité des droits. Toute discrimination, toute assignation des êtres humains en fonction de leurs origines, de leur couleur de peau, de leurs choix de vie ou de leurs opinions la défigure. Aucune singularité, aucun particularisme n’autorise à déroger à ces exigences.
Pour autant, confondre égalité et uniformité, en appeler à l’universalité pour refuser la diversité, c’est combattre ce que l’on prétend défendre, c’est refuser l’égale liberté d’être soi-même qui fonde toute citoyenneté vivante. Parce que l’universel se construit aussi à partir du singulier, parce que les voies vers l’universalité sont multiples, seule la reconnaissance de la diversité permet d’éviter les tentations relativistes et les enfermements identitaires.
Or l’Europe tout entière vit à l’heure d’une crise qui n’est pas que financière et sociale mais aussi politique, démocratique et « identitaire ». Les Etats-Nations semblent à la fois trop petits pour être économiquement efficaces et trop grands pour considérer les demandes de reconnaissance des singularités territorialisées. De surcroît, dans le marché unique, la richesse se concentre là où les productions sont les plus rentables, mais les politiques de solidarité et de redistribution sociale restent menées à l’échelle des Etats et varient donc selon leur richesse. Se développent alors des tentations de replis nationaux ou infra-nationaux, de refus de continuer à partager avec les Etats, territoires ou populations les plus pauvres, ce qui renforce xénophobie, racisme et discriminations.
Le contrat social, la démocratie et le vivre ensemble s’en trouvent écartelés entre d’une part des logiques de « gouvernance » globale à visée « post-démocratique », qui font régresser les droits et privent le citoyen de maîtrise réelle de son avenir, d’autre part des logiques de fragmentation politique croissante qui encouragent de fait les replis identitaires et xénophobes.
Face à ce couple infernal de l’uniformité et de l’ethnicisation, nous défendons à la fois l’universalité des droits, comme condition de l’égalité en dignité et en droits, et la reconnaissance des identités multiples qui font l’humanité ainsi que les singularités territoriales qui font les sociétés. Sans cette double reconnaissance, il n’y a ni liberté authentique, ni égalité réelle, ni respect des peuples, des langues et des cultures.
Tenir les deux bouts de cette chaîne suppose que soit repensée l’articulation des appartenances et des champs de citoyenneté. La citoyenneté, comme la liberté, doit être pensée à la fois comme un tout indivisible et comme un ensemble de droits qui se vivent et se déploient au pluriel : citoyenneté politique mais aussi citoyenneté sociale ; citoyenneté nationale mais aussi citoyenneté européenne, et citoyenneté « territoriale » à chaque niveau d’expression du suffrage universel. Dans la réalité du monde contemporain, la citoyenneté doit se décliner à tous les niveaux d’appartenance à des communautés politiques démocratiquement légitimes. Il lui faut se fonder non plus sur une conception absolue, « exclusive », de la souveraineté des Etats mais sur le droit fondamental, universel et « inclusif », de tout être humain à exercer la citoyenneté là où il réside durablement.
C’est ce qui inspire notre combat pour la « citoyenneté de résidence », au nom de laquelle nous réclamons depuis plus de trente ans, prenant notamment en compte la réalité des migrations et des transformations du monde, le droit de vote et d’éligibilité pour tous les étrangers aux élections locales : on peut être citoyen sans être « national » de l’Etat sur le territoire duquel on réside.
C’est aussi au nom de cette « citoyenneté de résidence » que nous affirmons, plus que jamais, la nécessité de penser l’articulation territoriale de citoyennetés non « exclusives ». Une certaine « tradition républicaine » française de « citoyenneté par arrachement » a trop longtemps refusé de regarder en face la dialectique du singulier et de l’universel. La démocratie ne peut se passer d’expressions collectives des citoyens, de niveaux « intermédiaires » d’exercice de la citoyenneté et de reconnaissance de la diversité des appartenances citoyennes et des communautés citoyennes. Mieux encore, elle en a besoin pour son renouveau.
Au-delà d’une actualité parfois tragique, la Corse témoigne aujourd’hui de cette nécessité, non comme un cas d’espèce mais comme l’un des laboratoires où se joue notre avenir.
En 1991, le Conseil constitutionnel a refusé d’admettre que l’on puisse penser un « peuple corse, composante du peuple français », selon la formule qui avait été choisie par le Parlement de l’époque. Et pourtant, la Corse a constamment été placée en-dehors du droit commun de la République dans des domaines essentiels soumis, sur son territoire, à des régimes d’exception, comme en témoigne notamment le traitement judiciaire qui lui est encore souvent réservé.
En 1991, le Conseil constitutionnel a refusé d’admettre que l’on puisse penser un « peuple corse, composante du peuple français », selon la formule qui avait été choisie par le Parlement de l’époque. Et pourtant, la Corse a constamment été placée en-dehors du droit commun de la République dans des domaines essentiels soumis, sur son territoire, à des régimes d’exception, comme en témoigne notamment le traitement judiciaire qui lui est encore souvent réservé.
En 2003, une révision constitutionnelle a commencé à reconnaître la diversité constitutionnelle des territoires, notamment en créant la catégorie constitutionnelle des « collectivités à statut particulier », dont relèvent depuis lors la Corse et d’autres territoires longtemps situés aux marges de la République. L’échec du référendum du 7 avril 2013, proposant de fusionner région et départements en Alsace, a sanctionné non pas le principe de cette adaptation aux réalités territoriales mais son instrumentalisation idéologique bien loin des aspirations réelles des citoyens. A l’inverse, en affirmant que « La République reconnaît, au sein du peuple français, les populations d’outre-mer, dans un idéal commun de liberté, d’égalité et de fraternité », l’article 72-3 de la Constitution, comme l’évolution des législations applicables outre-mer, témoigne d’une prise de conscience des réalités politiques et culturelles indispensable pour rendre plus effective la démocratie territoriale.
De nouvelles avancées, constitutionnelles et législatives, sont aujourd’hui envisagées dans le cadre de l’« acte III » annoncé de la décentralisation, qui permettraient notamment à la société politique corse de vivre mieux sa singularité au sein de la République. Elles doivent impliquer une définition de l’exercice de la citoyenneté et de certains droits sur la base de la « citoyenneté de résidence », c’est-à-dire de la construction d’une « communauté de destin » par les êtres humains qui y résident durablement, quel que soit leur lieu de naissance ou leur lignage.
Le développement des « communautés de destin » à tous les niveaux de démocratie vivante, du local au planétaire, suppose à la fois la mémoire du passé et la capacité de le dépasser, l’expression des singularités et l’ouverture au monde, la reconnaissance de la liberté d’être soi-même et celle de l’altérité qui nous inscrit ensemble, solidaires, dans l’humanité. A défaut, chaque collectivité, chaque peuple est renvoyé à l’inégalité des ressources, aux logiques d’externalité, de domination et de dépendance mais aussi aux discriminations territoriales (en particulier en matière de droits sociaux et d’accès effectif aux services publics) qui accentuent la fragmentation sociale.
La réussite de ce processus ne va pas de soi ; il se heurte à des pesanteurs historiques, qu’il s’agit d’identifier puis de surmonter et à des injustices qu’il faut combattre. L’égalité, comme le reconnaissent déjà les plus hautes juridictions françaises et européennes, consiste à traiter identiquement les situations identiques mais tout autant à traiter spécifiquement les situations spécifiques. La démocratie – y compris dans ses dimensions conflictuelles – vit de citoyenneté partagée, et la citoyenneté se partage d’abord là où l’on vit.
Certains droits sont d’ores et déjà conditionnés dans leur exercice par la prise en compte du lien entre résidence et citoyenneté, notamment dans le déploiement de la décentralisation (droit de vote lié au domicile, régimes fiscaux différents entre résidences principales et résidences secondaires, etc.). Mais cette prise en compte est insuffisamment assumée et organisée.
Asseoir sur la résidence les conditions d’exercice de certains droits fondamentaux, c’est agir pour une démocratie plus vivante, plus effective, pleinement respectueuse de l’égalité en droits et de la protection des individus et groupes minoritaires, et qui travaille à s’enrichir de la diversité des sociétés, des langues, des cultures et des territoires dans laquelle se déploie la dimension politique de l’humanité. La LDH, attentive à la conciliation de l’universalité des droits et de l’expression légitime des identités démocratiques, considère comme indispensable la reconnaissance du lien entre citoyenneté et résidence et affirme la nécessité de penser l’égalité autrement que dans l’uniformité."
- Intervention
de Jean-Pierre Dubois, Président d’honneur de la Ligue des droits de l’Homme et
professeur de droit constitutionnel à l’Université de Paris Sud, devant la
Commission des compétences législatives et réglementaires de l’Assemblée de
Corse, le 29 novembre 2012.
Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs,
Je souhaite préciser liminairement que, tout en assumant la double
qualité en laquelle vous m’avez invité à m’exprimer devant vous, je parlerai
ici à titre personnel, sauf à mentionner explicitement les points sur lesquels
mes propos s’appuient sur des positions prises par la Ligue des droits de
l’Homme, et que je le ferai en pleine solidarité avec la Section de Corse de la
LDH qui fait vivre nos idées sur le terrain et me préservera ainsi des effets
néfastes du « syndrome de l’avion ».
J’interviendrai d’abord sur les questions relatives au lien entre
démocratie et citoyenneté, puis sur l’organisation institutionnelle en débat,
en insistant davantage sur le premier point parce qu’il tient tout particulièrement
à cœur à la LDH et parce qu’on ne peut ignorer le contexte actuel de crise
démocratique, à la fois en Europe où le sentiment de dépossession gagne un
nombre croissant de citoyens, en France où l’état des partis politiques ne peut
rassurer sur l’image de la représentation et plus particulièrement en Corse où
la recrudescence d’événements tragiques me paraît témoigner de la persistance
d’un certain nombre d’impasses.
1. Démocratie et citoyenneté
Depuis 114 ans, la LDH n’a jamais séparé la défense des droits de
l’Homme de l’exercice actif de la citoyenneté ni de cette condition d’exercice
des droits et de la citoyenneté qu’est l’effectivité démocratique.
De ce point de vue, la situation de la Corse pose la question du
rapport entre universalité et singularités dans une République qui a longtemps
nié les secondes au nom de la première et qui n’a admis que récemment la
nécessité d’une diversification constitutionnelle des statuts des territoires
qui la composent.
L’universel et le singulier
La « question politique corse » me paraît emblématique d’un
des plus grands enjeux démocratiques de l’époque actuelle, celui de la
dialectique de l’universel et du singulier, de l’universalité des droits et de
la diversité culturelle, de l’égalité des droits civils et politiques et de la
diversité des « communautés de destin ».
On sait que la France a longtemps invoqué une « tradition
républicaine » de « citoyenneté par arrachement », selon le mot
de Dominique Schnapper, pour refuser de regarder en face la nécessité de cette
dialectique et de gérer les contradictions et tensions qui en résultent. La
déclaration faite en 1999 par le gouvernement français concernant la Charte
européenne des langues régionales ou minoritaires[1],
et la non-ratification ultérieure de cette Charte par la France, comme la
non-signature par la France, depuis 1995, de la Convention-cadre du Conseil de
l’Europe pour la protection des minorités nationales[2],
en témoignent tout particulièrement si on la compare à nombre d’autres grands
pays à régime pluraliste.
Il y a là un indice de crispations devant les mutations des sociétés
contemporaines, qui font courir le risque de figer la République dans une sorte
de musée intemporel au lieu de faire vivre tout ce qu’elle a porté et continue
de porter d’émancipation et d’exigence démocratique. On pense à Hegel
critiquant les « hommes à principes » qui ignorent que l’universel ne
peut s’atteindre qu’à partir du singulier…
Ces crispations sont repérables dans bien des champs du débat public
de ces dernières années, mais le sujet qui nous occupe ici les illustre depuis
longtemps.
La gravité de la situation
« singulière » de la Corse
Sans prétendre bien sûr porter ici un regard plus sûr et plus lucide
que celui des Corses eux-mêmes, il me paraît difficilement contestable que
cette situation est doublement singulière.
D’une part, et de longue date, les difficultés économiques, sociales
et institutionnelles rencontrées témoignent de ce qu’aucune plante ne peut se
développer sans racines et que le poids du « hors-sol » lié au
tourisme de masse et aux perfusions budgétaires ne peut tenir lieu de
développement soutenable.
D’autre part, les événements dramatiques de ces dernières semaines,
faisant écho à tant d’autres moins récents, non seulement signalent l’urgence
de sortir des impasses déjà évoquées mais me semblent illustrer l’aphorisme de
Pascal selon lequel « qui veut faire l’ange fait la bête ». Car à
obstruer les issues démocratiques et à traiter toute une société en suspects
relevant de régimes d’exception, on court le risque d’encourager ce que l’on
dit combattre : la violence physique s’attaquant à des civils désarmés, la
mainmise de gangs affairistes sur une partie non négligeable de la vie
économique, et le repli dans une peur qui serait contagieuse si rien de
fondamental ne devait changer.
La reconnaissance inachevée de
la singularité
L’idée, si anciennement française, d’une « exclusivité » de
la souveraineté, d’une « souveraineté absolue » de l’Etat-Nation, est
aujourd’hui moins tenable que jamais : le souverainisme historique est à
la fois débordé par les flux transnationaux (que peuvent aujourd’hui, non loin
de la Corse en Méditerranée, les citoyens grecs, espagnols ou italiens face aux
forces qui contrôlent les marchés financiers et à la « gouvernance par la
troïka » ?) et déconstruit par la diversité politico-culturelle… qui
est fortement territorialisée.
Faut-il attirer ici l’attention sur le fait que que se tiendront en
2013 un référendum sur l’indépendance de l’Ecosse, accepté par le Premier
Ministre conservateur britannique, et peut-être un autre sur l’indépendance de
la Catalogne ? Faut-il rappeler quel est le statut de la Sardaigne et de
la Sicile (mais aussi du Val d’Aoste, du Trentin-Haute Adige et du
Frioul-Vénétie julienne) ou encore celui des îles Aland en Finlande, pour ne
rien dire de l’évolution de la Belgique depuis quarante ans ? A la vérité,
tous les grands Etats d’Europe occidentale sauf la France sont aujourd’hui des
« Etats composés », qu’ils soient « fédéraux » (Allemagne,
Autriche, Belgique), « autonomiques » (Espagne),
« régionaux » (Italie) ou à « dévolution » (Royaume-Uni).
La France elle-même a commencé à se mettre en mouvement,
législativement à partir de 1982 (et 1991 pour la Corse) et même
constitutionnellement en 2003, notamment « outre-mer » (si l’on
prend, comme c’est le remarquable usage, cette expression en son sens non pas
géographique mais post-colonial) mais aussi en « métropole » (même
remarque…), avec la création de la catégorie des « collectivités à statut
particulier » qui rompt avec la règle d’homogénéité catégorielle (lui-même
issu du principe d’uniformité). La Corse est donc depuis presque une décennie
une de ces « collectivités à statut particulier »
constitutionnellement garanti, avec une singularité d’organisation législative
(surtout depuis 1991) assez forte, tant pour les institutions que pour les
compétences.
Mais on sait que le Conseil constitutionnel a censuré en 1991 la
reconnaissance de l’existence d’un « peuple corse, composante du peuple
français », considérant soit qu’un tel niveau de reconnaissance de
spécificité exigeait une révision constitutionnelle, soit qu’il y avait là une
sorte d’hérésie au regard du dogme républicain.
La Corse est ainsi restée « au milieu du gué », et pas seulement
du fait de la disparition de cette formule symbolique, en ce sens que n’a
toujours pas été abordée clairement la question de la société politique corse,
c’est-à-dire à la fois de la citoyenneté en Corse et de son déploiement
institutionnel… qui sont précisément les deux objets de la présente
intervention. C’est pourtant seulement en posant cette question et en y
apportant réponse que l’on peut espérer alléger les pesanteurs internes
(clanisme, « sur-institutionnalisation ») et externes (politiques étatiques
fondées sur la méfiance, la surveillance et les régimes d’exception et
d’externalisation des pouvoirs réels).
A beaucoup de ces égards, on pourrait dire sans exagération que la
Corse est considérée comme se situant « quelque part entre Paris et Nouméa »…
y compris dans les esprits de nombre de gouvernants. C’est de ces ambiguïtés et
contradictions qu’il est urgent de sortir.
La nécessaire articulation des
appartenances et des citoyennetés
La mondialisation est faite d’échanges, de mutations et d’interdépendances…
qui brouillent les identités : elle mélange mais aussi divise, elle
rapproche mais peut aussi séparer. Car elle peut opposer d’un côté les
« déracinés » migrants par nécessité, de l’autre des
« sédentaires » craignant pour leur singularité. Il ne s’agit pas là
d’une question purement spéculative : la Corse est la « région »
française qui compte le pourcentage le plus élevé d’immigrés, et n’est pas plus
que les autres à l’abri du racisme et de la xénophobie. Nos amis ligueurs
corses en savent quelque chose…
La LDH, dans ce monde de mobilités et de migrations, milite de longue
date pour la reconnaissance d’un droit fondamental, universel, à la
citoyenneté : parce que les êtres humains sont bien ces « animaux
politiques » caractérisés par Aristote, tout être humain qui réside
durablement sur un territoire doit pouvoir y être reconnu comme citoyen et
participer à la construction de l’avenir commun. Car il n’y a pas de
citoyenneté effective sans base sociétale : c’est entre
« résidents durables » que peut se passer le contrat social. Or la
première fonction d’une Constitution est précisément de donner à ce contrat
social une expression juridique.
Nous estimons d’ailleurs que le principe démocratique s’accommode mal
d’un système dans lequel les gouvernants « choisissent » (par la
clôture nationale de la citoyenneté et le malthusianisme de la politique de
naturalisations) qui peut être citoyen, alors que c’est à l’évidence aux
citoyens qu’il appartient de pouvoir « choisir » qui peut être
gouvernant. En d’autres termes, à nos yeux la citoyenneté ne peut être
octroyée, mais bien reconnue… comme droit fondamental. La République française
devrait pouvoir le comprendre puisqu’elle est issue du lien fondateur de 1789
entre « droits de l’Homme » et « droits du citoyen », les
premiers n’étant garantis que par l’exercice des seconds.
Mais dans la « tradition républicaine », en 1789 comme
encore près d’un siècle plus tard lorsque Renan pose la question
« Qu’est-ce qu’une Nation ? », la souveraineté est pensée comme
exclusivement nationale, le peuple français comme « un et
indivisible », et la seule « communauté des citoyens » jugée
légitime est la Nation vue comme unique « communauté de destin ».
C’était déjà là une amère fiction il y a un siècle pour les peuples
colonisés et aussi pour les cultures minoritaires souvent niées dans leur
existence même. Mais dans le monde de ce début de XXIème siècle, on
l’a dit, le souverainisme n’est plus qu’un mirage : les « communautés
de destin » sont d’ores et déjà plurielles et en quelque sorte emboîtées,
de l’« infra-national » au « supra-national », la diversité
des origines et des cultures se répand, au point que la question qui se pose à
tout démocrate, et ce à court terme, est de savoir comment échapper à l’alternative
mortifère de la dépossession anomique et de l’enfermement identitaire.
Or la seule échappatoire humainement viable est bien l’articulation
des appartenances (ce qu’avait parfaitement compris le législateur de 1991
avec la reconnaissance, hélas avortée, du « peuple corse, composante du
peuple français ») et des citoyennetés, lesquelles doivent être, au
moins pour partie, découplées de la nationalité. Car la réalité citoyenne
(civique, sociale, culturelle, politique) montre chaque jour qu’il n’est pas nécessaire
d’être un « national » pour être citoyen, et limiter la
reconnaissance de cette évidence à une partie des étrangers est tout simplement
discriminatoire (d’où le combat mené depuis plus de trente ans par la LDH pour
le droit de vote et d’éligibilité de tous les étrangers aux élections
locales). Mais cette même réalité montre aussi qu’il n’est pas toujours
suffisant d’être un « national » pour exercer tous les droits du
citoyen, en particulier lorsque l’exercice de ces droits s’applique à la représentation
d’un territoire.
La loi française le reconnaît d’ailleurs d’ores et déjà : non
seulement, aux élections locales, il va de soi que seuls les électeurs inscrits
sur le territoire en cause peuvent voter, mais l’article L.228 du code
électoral prévoit que dans les communes peu peuplées la proportion de
« non résidents » dans la commune au sein du Conseil municipal ne
peut dépasser 25% (pour les communes de moins de 500 habitants) ou 40 à 45%
(pour les communes dans lesquelles le Conseil municipal compte 9 à 11 membres).
On comprend que le législateur entend ainsi prévenir les risques d’une
inflation de « conseillers fantômes » ou d’une administration
« de l’extérieur ». Tant il est vrai que l’on ne peut représenter
réellement que celles et ceux dont on partage la vie. Il est à peine besoin de
souligner le caractère topique de ces raisonnements…
Diversification
constitutionnelle des territoires et droits fondamentaux
Il s’agit aujourd’hui d’approfondir la dissociation constitutionnelle,
amorcée en 2003, entre égalité et uniformité, c’est-à-dire de poursuivre la
diversification constitutionnelle des territoires, en accompagnant la
diversification institutionnelle d’une diversification des cadres d’exercice de
la citoyenneté : ces cadres ne doivent plus dépendre essentiellement de la
seule nationalité mais, au moins pour partie, également de la résidence.
Si l’on adopte cette perspective, s’agissant de cette
« collectivité à statut particulier » qu’est constitutionnellement la
Corse depuis presque dix années, se posent un certain nombre de questions
touchant l’égalité des citoyens dans l’exercice de deux droits
fondamentaux : le droit de vote et d’éligibilité et le droit de propriété.
Le droit de vote peut-il être réservé à une catégorie de
citoyens ? La question serait sacrilège au regard de tant de combats pour
le suffrage universel s’il s’agissait de rétablir je ne sais quel suffrage
censitaire, mais il n’en est bien sûr rien : il s’agit de savoir dans
quelle mesure le corps électoral peut varier selon le niveau territorial
d’exercice de la citoyenneté.
C’est déjà le cas, on l’a vu, y compris « en métropole »,
s’agissant du droit de vote (seuls les électeurs inscrits sur le territoire
concerné peuvent l’exercer) et de l’éligibilité (quant au poids des « non
résidents » dans les conseils municipaux des communes faiblement
peuplées).
« Outre-mer », le constituant est allé beaucoup plus loin en
réservant, par application des « Accords de Nouméa », le droit de
vote en Nouvelle-Calédonie aux électeurs résidant depuis au moins vingt ans sur
l’archipel en ce qui concerne la participation au scrutin à venir (en principe
en 2014) sur la « pleine accession à la souveraineté ». Si l’on
persiste à considérer que la Corse est de longue date pensée comme « entre
Paris et Nouméa », quel enseignement tirer de ce rappel ? Que rien
n’interdit au constituant de moduler la composition du corps électoral (et la
définition des conditions d’éligibilité) selon la spécificité des territoires à
représenter, dès lors que le Conseil constitutionnel n’exerce aucun contrôle
sur le contenu des révisions constitutionnelles. Mais que sont certainement en
cause ici, dans leur principe, l’éthique démocratique et la dialectique du
singulier et de l’universel.
De ce point de vue, la LDH a toujours considéré le peuple comme
« démos », communauté de destin fondée sur l’usage partagé de la
raison et sur le respect égal des droits de tous, et non comme un
« ethnos » ne regroupant que les descendants des mêmes ancêtres et
dans lequel es données ethnoculturelles primeraient la liberté individuelle de
choisir ses appartenances et ses non-appartenances. C’est dire que le peuple
corse est fait pour nous de toutes celles et de tous ceux qui, soit issus de
familles corses de longue date soit installés durablement en Corse,
construisent ensemble quotidiennement son avenir et doivent dès lors être
reconnus comme faisant également partie, « Corses d’origine » comme
« Corses d’adoption », de la société politique corse qui nous occupe
aujourd’hui.
Cette conception « ouverte » du peuple corse nous conduit à
exclure que le droit de vote soit limité aux « Corses d’origine ».
Elle n’est en revanche pas incompatible avec l’institution d’une durée de
résidence éclairant la notion de « Corses d’adoption », durée qui pourrait
conditionner soit le droit de vote aux élections territoriales et
« locales », soit seulement l’éligibilité pour ces scrutins, et dans
ce dernier cas soit en conditionnant l’éligibilité à la résidence, soit en
fixant, comme pour les communes faiblement peuplées, un plafond de
« conseillers non résidents » si l’on entend à la fois lier présence
et représentation et ne pas mettre à l’écart la « diaspora ».
S’agissant ensuite du droit de propriété, me paraissent être
pour l’essentiel en cause d’une part le droit à construire, d’autre part le
régime fiscal des biens immobiliers. On sait que le Conseil constitutionnel,
face à des lois, est attentif à ce que les limitations du droit de propriété ne
soient pas discriminatoires et répondent à des « nécessités d’intérêt
général ». Mais, on l’a dit, le Conseil ne contrôle pas en revanche le
contenu d’une révision constitutionnelle. Il en résulte la nécessité d’une part
de « monter » à ce niveau normatif à partir d’une certaine intensité
de modulation, d’autre part de discuter alors en termes non de droit positif
mais, là encore, d’éthique démocratique.
La LDH est profondément attachée au principe d’égalité. Mais elle ne
le confond pas avec les fantasmes d’uniformité. Au demeurant, les hautes
juridictions européennes et françaises définissent le principe d’égalité comme
excluant tout traitement différent de situations identiques mais permettant, et
même, dans la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne,
imposant, le traitement différencié de situations différentes, dès lors que les
différences de traitement sont en rapport avec l’objet de la norme à appliquer.
On peut donc envisager que le droit à construire découlant du droit de
propriété soit conditionné par des normes tenant compte de considérations
d’intérêt général portant sur des différences objectives de situations entre
propriétaires : une résidence secondaire n’est pas une résidence
principale (laquelle constitue le domicile qui est indissociable de la liberté
individuelle) ; les « résidents durables » ne sont pas dans la
même situation que les « touristes saisonniers » ; etc.
Et la même interprétation du principe d’égalité, constitutionnellement
éclairée, peut sans doute justifier des modulations de la fiscalité foncière et
immobilière (le droit fiscal connaissant déjà la notion de
« résidents »…). Mais dans ce cas comme dans le précédent il est
essentiel de veiller à la précision rédactionnelle des propositions dès lors
qu’est en cause la légitimité des politiques territoriales à venir et qu’il
serait très dommageable de nourrir des malentendus voire des procès
d’intention.
2. Organisation
institutionnelle
Je me bornerai ici à de plus brèves observations, qui visent pour
l’essentiel à tirer en la matière les conséquences des principes ci-dessus
évoqués.
J’ai déjà eu, non loin d’ici, l’occasion d’affirmer publiquement qu’il
existe une « société politique corse » et qu’il importe de la
reconnaître pleinement pour ce qu’elle est. Cela ne signifie en rien à mes yeux
que son existence soit incompatible avec le cadre constitutionnel de la
République française, qu’elle ne menace pas et qui ne doit pas non plus en
ignorer la légitimité.
C’est dire que je perçois vos réflexions comme visant à l’écriture
institutionnelle de ce que j’appellerais volontiers un « contrat social
corse, composante du contrat social français ». Ce qui suppose, me
semble-t-il, d’identifier comme base de réflexion des spécificités objectives
et subjectives, afin de se prémunir contre certaines transpositions abusives ou
simplifications irréalistes.
Spécificités objectives
Je n’en donnerai ici que deux exemples, concernant l’un et l’autre les
données géographiques voire géopolitiques.
La Corse, chacun le sait, est une « montagne dans la
mer », d’où la multiplicité de « pays » façonnés par
l’orographie et des contraintes de communications matérielles beaucoup plus
fortes que ce que connaît par exemple la proche Sardaigne. Cela suffit à
empêcher de traiter l’« inflation d’élus » liée au grand nombre de
communes en s’inspirant de l’exemple allemand de l’après-guerre, c’est-à-dire
en procédant à une réduction drastique et autoritaire du nombre de communes
sans autre forme de procès. Et cela me paraît rendre tout aussi irréaliste
l’éventuelle création d’une collectivité territoriale « unique et non
déconcentrée » à l’échelle de l’ensemble de la Corse, qui s’appuierait sur
la seule donnée de la population totale de l’île pour faire disparaître toute
institutionnalisation de l’échelon territorial qui est actuellement celui des
deux départements : la démographie ne peut faire oublier les effets de
l’orographie.
La Corse, qui peut l’ignorer en réfléchissant à son avenir
institutionnel, est une île au cœur de la Méditerranée, ce qui explique
notamment qu’elle soit, on l’a rappelé, la « région » de France
connaissant le plus fort pourcentage d’étrangers dans la population
territoriale. Il en résulte que la tentation de la « fermeture » ou
du « repli identitaire » serait non seulement éthiquement inacceptable
à nos yeux mais aussi, en vérité, purement fantasmatique. Là encore, il ne
s’agit pas de considérations de pur principe sans portée ni enjeux
concrets : deux événements récents en témoignent à des égards très
différents mais également éclairants.
Lorsque le 22 janvier 2010, un bateau dépose sur une plage proche de
Bonifacio 140 réfugiés kurdes fuyant la Syrie de Bachar El Assad, les
conditions de leur « accueil » illustrent remarquablement la
rencontre, dans la société civile corse (élus locaux, associations, etc.), de
l’universalisme et de l’hospitalité… en dépit des effets inhumains de
l’application de politiques de suspicion et de rejet.
L’année suivante, lorsque des avions militaires français vont
bombarder les chars de l’armée libyenne qui vont réprimer le soulèvement de Benghazi,
c’est de la base de Solenzara qu’ils décollent.
Ainsi la société corse ne peut-elle raisonnablement être considérée
comme identique, dans son insertion géopolitique et dans les effets de cette
insertion sur sa composition et ses évolutions, à celles de l’Auvergne ou du
Limousin par exemple…
Spécificités subjectives
Je me bornerai ici à remarquer que la société politique corse, comme
toute société politique, est « travaillée » à la fois par des
héritages et par des mutations.
Les héritages sont faits, ici comme ailleurs, d’ombres et de
lumières. Je rangerais dans les « ombres » à la fois la tradition
claniste et la soumission par l’Etat, depuis des siècles, à des régimes
d’exception, d’où une sorte de dialectique de l’enfermement qui a produit, de manière
récurrente, l’enlisement de bien des volontés réformatrices. Et je compterais
dans les « lumières » l’attachement particulièrement fort à une
culture vivante, et ce goût affirmé du politique que l’on retrouve, depuis la
Grèce antique jusqu’au Maghreb du temps présent, dans d’autres sociétés
méditerranéennes et qui alimente un légitime désir de « citoyenneté
territorialisée ».
Les mutations me semblent repérables notamment sur trois plans.
Il s’agit d’abord de la prise de conscience croissante, dans la
société civile corse, à la fois du caractère insupportable de la dépendance
économique (en raison des effets cumulatifs du tourisme de masse, de la
spéculation immobilière et des logiques de « perfusion budgétaire »),
du maintien des régimes d’exception (avec des logiques
« dépossédantes », qu’il s’agisse de justice, de police ou
d’administration pénitentiaire) et des menaces croissantes sur l’avenir
écologique de la Corse.
Il s’agit ensuite du poids, lui aussi croissant, des logiques de
mondialisation et d’européanisation des enjeux et des pouvoirs réels, qui
rompent d’ores et déjà de facto le
face-à-face historique « exclusif » entre Ajaccio et Paris.
Il s’agit enfin de l’évolution d’un certain nombre de comportements
politiques, en lien manifeste avec l’émergence d’une société civile plus active
(syndicats, associations, acteurs culturels ; je mentionnerai notamment
ici le soutien de la section de Corse de la LDH aux grandes orientations du
PADDUC, opposant les logiques de Riacquistu
à celles d’économie de la rente). En témoignent tout particulièrement d’une
part la rupture avec le clanisme dans une nouvelle génération d’élus, d’autre
part le choix, par de nombreux acteurs historiques du mouvement nationaliste,
du débat démocratique et non plus de la violence physique, pour débattre des
questions de souveraineté et du statut de la singularité corse.
Equilibres des pouvoirs
C’est dans le contexte qui vient d’être décrit, et à la lumière de mes
observations précédentes relatives à la citoyenneté, que se pose à mes yeux
aujourd’hui la question institutionnelle en Corse, en termes moins de
« séparation » (le mot est si ambigu…) que d’équilibres des
pouvoirs. Faire vivre ces équilibres en n’ignorant ni les principes
démocratiques ni les contraintes du réel suppose la prise en compte des
dimensions « horizontale » (à une échelle territoriale donnée) et
« verticale » (entre échelons de territorialisation du politique) de
la répartition des pouvoirs.
Sur le plan « horizontal », je crois préférable de
prendre comme « modèle de référence » non pas le présidentialisme qui
a conduit la Vème République jusqu’à la « monarchie
élective », mais plutôt ce que j’appellerais la norme statistiquement
dominante en Europe, c’est-à-dire le « gouvernement collégial responsable »,
à la fois plus conforme à la nécessité d’une « éthique de la
communication » (au sens où l’entend Jürgen Habermas), organisant le
contradictoire et garantissant le pluralisme, et plus adéquate à la prise en
compte réaliste de la diversité dans la société politique corse.
Cette même diversité, et la complexité du paysage partidaire qui
l’illustre, n’en rend pas moins nécessaires un certain nombre de
« stabilisateurs » tels que le maintien du mécanisme de la
« défiance constructive » ou la modulation par une « prime
majoritaire »… non excessive… des effets « dispersants » de la
représentation proportionnelle.
Sur le plan « vertical », l’enjeu essentiel me paraît
être de construire une double articulation : entre les échelons
territoriaux de « ce qui est aujourd’hui la collectivité territoriale de
Corse » et de « ce que sont aujourd’hui les deux départements »,
et aussi entre les intercommunalités (indispensables à l’efficacité des actions
porteuses d’effectivité du politique) et les communes (incarnant des identités
dont on ne peut méconnaître l’importance notamment sur le plan du symbolique,
qui n’est jamais sans importance dans l’expression politique des réalités
humaines).
Je partage pleinement l’opinion de votre rapporteur sur l’irréalisme
des démarches autoritaires que seraient des « fusions imposées » à
chacun de ces deux niveaux d’articulation. Mais il en résulte à mes yeux la
forte nécessité d’une part d’une définition claire des articulations (notamment
dans la première des deux articulations précitées), d’autre part d’une
« sécurisation » des garanties démocratiques à tous les échelons
(c’est-à-dire que tous les pouvoirs délibérants des différents échelons doivent
émaner du suffrage universel direct), et enfin de l’existence de moyens « incitatifs »
substantiels pour rendre attractives les « communautés de projet »
porteuses de véritables logiques de développement, tant il est vrai que la plus
sage construction institutionnelle ne peut prendre vie ni dans la dépendance ni
dans la pénurie.
Jean-Pierre
Dubois
[1] Déclaration
consignée dans les pleins pouvoirs remis au Secrétaire Général lors de la
signature de l'instrument, le 7 mai 1999
La République française
envisage de formuler dans son instrument de ratification de la Charte
européenne des langues régionales ou minoritaires la déclaration
suivante :
1. Dans la mesure où
elle ne vise pas à la reconnaissance et la protection de minorités, mais à
promouvoir le patrimoine linguistique européen, et que l'emploi du terme de
«groupes» de locuteurs ne confère pas de droits collectifs pour les locuteurs
des langues régionales ou minoritaires, le Gouvernement de la République
interprète la Charte dans un sens compatible avec le Préambule de la
Constitution, qui assure l'égalité de tous les citoyens devant la loi et ne
connaît que le peuple français, composé de tous les citoyens sans distinction
d'origine, de race ou de religion.
2. Le Gouvernement de la
République interprète l'article 7-1, paragraphe d, et les articles 9 et 10
comme posant un principe général n'allant pas à l'encontre de l'article 2 de la
Constitution selon lequel l'usage du français s'impose aux personnes morales de
droit public et aux personnes de droit privé dans l'exercice d'une mission de
service public, ainsi qu'aux usagers dans leurs relations avec les
administrations et services publics.
3. Le Gouvernement de la
République interprète l'article 7-1, paragraphe f, et l'article 8 en ce sens
qu'ils préservent le caractère facultatif de l'enseignement et de l'étude des
langues régionales ou minoritaires, ainsi que de l'histoire et de la culture
dont elles sont l'expression, et que cet enseignement n'a pas pour objet de
soustraire les élèves scolarisés dans les établissements du territoire aux
droits et obligations applicables à l'ensemble des usagers des établissements
qui assurent le service public de l'enseignement ou sont associés à celui-ci.
4. Le Gouvernement de la
République interprète l'article 9-3 comme ne s'opposant pas à ce que seule la
version officielle en langue française, qui fait juridiquement foi, des textes
législatifs qui sont rendus accessibles dans les langues régionales ou
minoritaires puisse être utilisée par les personnes morales de droit public et
les personnes privées dans l'exercice d'une mission de service public, ainsi
que par les usagers dans leurs relations avec les administrations et services
publics.
- ANTOINE SOLLACARO, un homme révolté contre toute forme d'injustice. Tribune parue dans le Monde du 17 octobre 2012.
"Quinze morts depuis le début de l'année. Plus d'un par mois. Antoine Sollacaro est le dernier de cette liste. Il fut un extraordinaire avocat, un militant de la LDH et derrière "sa véhémence" s'exprimait avant tout sa révolte contre toute forme d'injustice. N'est-ce pas lui qui, bâtonnier en exercice, provoqua l'ire d'un préfet dont les errements finirent par une pantalonnade dévastatrice pour l'autorité de l'Etat.
A la peine s'ajoute la sidération que provoque cet assassinat. Le président de l'Assemblée territoriale corse en appelle à l'action du gouvernement. Mais, l'autorité publique ne cesse, depuis des décennies, de mettre en œuvre tous les moyens d'exception à sa disposition : législation antiterroriste, Jirs, services de police spécialisés entretenant, parfois, des liens surprenants avec les personnes qu'ils sont censés surveiller,etc. La Corse vit sous un droit d'exception permanent sans que l'on sache que cela y ait changé quelque chose.
Non, la faute des autorités publiques n'est pas d'être inactive : c'est d'avoir confondu, depuis des décennies, le maintien de l'ordre et la paix publique, d'avoir cru que les rodomontades autoritaires pourraient pallier le sous-développement économique, le tourisme de carte postale ou les petits arrangements entre amis érigés en mode de vie. Au point où, maintenant depuis trop longtemps, les frontières deviennent floues entre l'action politique de certains, les intérêts d'autres et le souci des pouvoirs publics que tout cela reste un folklore à dominante locale, faisant de la Corse et de ses habitants, les pensionnaires d'un vaste zoo à ciel ouvert que les vacanciers viennent regarder vivre avec leurs drôles de mœurs et de coutumes.
Faire reproche à l'Etat de son inactivité, c'est se tromper de diagnostic, c'est croire que, depuis la fusillade d'Aléria à aujourd'hui, l'Etat n'a jamais fait autre chose, à une ou deux exceptions près, que gérer la situation sans jamais vouloir contribuer à sa solution. Ce n'est pas de l'inaction de l'Etat dont il faut se plaindre mais de son incompétence. S'en tenir là serait participer de la même erreur.
On ne peut, en effet, s'en prendre aux carences de l'Etat sans en même temps interpeller la société corse sur ses ressorts et ce qui fait qu'il est possible qu'une communauté de 300 000 personnes tolère que les cadavres parsèment ses rues et ses chemins. Cette espèce d'hymne à la mort qui est fredonné depuis des décennies par les milieux les plus divers n'a pas encore trouvé son frein naturel, c'est-à-dire son rejet par la communauté elle-même. Non que l'indignation ne soit pas sincère, comme elle le fut à d'autres occasions, mais plus simplement l'acceptation tacite d'une sorte de rite qui va de pair avec d'autres stigmates.
Poser ces questions, ce n'est pas montrer du doigt "les Corses", c'est rappeler à chacun que l'exercice de la citoyenneté n'est pas de la seule responsabilité de l'Etat, elle est aussi celle de la société elle-même. Beaucoup pensent déjà que l'on ne retrouvera pas les assassins et les commanditaires de l'assassinat d'Antoine Sollacaro ; les services de police et la justice feront, on veut le croire, leur devoir. A la société corse de montrer qu'elle ne reconnaît pas le droit d'abattre quiconque comme un chien. C'est bien le moins que l'on doit à la mémoire d'un homme qui aima son pays et la liberté."
Michel Tubiana, président d'honneur de la Ligue des droits de l'homme (LDH), et André Paccou, membre du Comité central de la LDH.
Le texte publié sur le lien suivant : Antoine Sollacaro
Le texte publié sur le lien suivant : Antoine Sollacaro
- Pour une citoyenneté locale de résidence - Septembre 2012 Article publié dans La lettre d'information de la LDH.
"Actuellement, l’Assemblée de Corse élabore le plan d’aménagement et de développement durable de la Corse, le PADDUC. Ce document définit un projet économique, social et environnemental valable jusqu’à l’horizon 2030. Il suppose une vision politique forte, un projet de société.
Dans le même temps, l’Assemblée de Corse se mobilise autour d’un projet de réforme constitutionnelle qui sera proposé au gouvernement dans le cadre du débat à venir sur la décentralisation. L’objectif est de préciser la place de la Corse dans l’organisation fondamentale de la République en demandant un pouvoir normatif et fiscal, et la co-officialité des langues française et corse. Ni plus ni moins une porte ouverte à l’autonomie.
La section de Corse de la LDH s’investit beaucoup dans ces débats car les enjeux en termes de droits de l’Homme, de démocratie et de citoyenneté sont essentiels.
Dans ce bouillonnement politique, il ne faut surtout pas perdre de vue l’état réel de la société corse ; une île marquée par un sous-développement chronique et une exacerbation des conflits autour des ressources que dégage la rente touristique, notamment pour le contrôle des terres littorales. La spéculation et la dérégulation sont à l’ordre du jour, et les droits dans un état préoccupant. La Corse est un territoire pauvre peuplé par de plus en plus de pauvres où le banditisme tente d’imposer sa loi à coups d’assassinats. Le travail actuel de l’Assemblée de Corse signifie le refus d’une fatalité. En juillet dernier, les élus ont adopté un texte sur les grandes orientations du PADDUC. Ils ont affirmé leur volonté de rompre avec le système rentier et la loi du plus fort. Ils ont fait le choix d’une autre trajectoire, celle d’une société de la solidarité et d’une économie de production. Au profit, ont-ils précisé, du peuple corse, composé des Corses d’origine et des Corses d’adoption, en référence à un autre texte essentiel adopté il y a 25 ans par cette même institution. Le vote de juillet est prometteur. Toutefois, beaucoup reste à accomplir pour définir les conditions de l’égalité réelle entre les individus et entre les différents territoires insulaires. Sans participation des citoyens, une transformation sociale de la Corse vers plus droits et d’égalité n’est pas envisageable.
En préalable à l’élaboration du PADDUC, les élus ont proposé des Assises du foncier et du logement. La LDH a dit son adhésion à cette méthode qui permettait d’associer la société civile à la délibération. Elle a participé aux travaux en versant à la réflexion collective un manifeste pour le droit au logement digne, co-rédigé avec le Secours populaire et la Confédération nationale du logement et soutenu par 50 associations et l’ensemble des syndicats.
Il est nécessaire aujourd’hui de renouer avec cette ambition démocratique, d’imaginer d’autres procédures qui feront vivre la démocratie délibérative. Par exemple en élaborant des indicateurs de développement humain et de la biodiversité qui pourront être régulièrement mobilisés pour voir comment le PADDUC transforme la réalité. Et qu’à chacune de ces mesures, on réorganise un débat avec la société civile afin que le PADDUC soit l’affaire de tous. Plus généralement, la démocratie délibérative a besoin d’instances où les individus s’expliquent entre eux, se contredisent, partagent, élaborent des réflexions et des propositions. C’est un travail de la société sur elle-même.
Pour la LDH, construire la société politique nécessite aussi de dire une nouvelle citoyenneté, une citoyenneté fondée sur la résidence, qui inclut les personnes installées durablement en Corse, quelle que soit leur origine.
L’économie fondée sur la rente touristique incite à une installation de plus en plus nombreuse de résidents temporaires. Les transports, les investissements en traitement des eaux usés, l’utilisation des sols, l’aménagement des routes…. l’économie dans son fonctionnement général n’a qu’un objectif : répondre à leur demande, y répondre en étant toujours plus compétitif pour attirer d’autres résidents temporaires au détriment d’une économie fondée sur les besoins des résidents installés durablement.
Il faut ici insister sur le désordre démocratique que génère cette évolution et sur le sentiment de dépossession qui gagne la société corse. La tentation xénophobe n’est jamais loin. La définition d’un nouveau droit politique par la citoyenneté de résidence est une réponse à la hauteur de cet enjeu démocratique. Elle redonne sens à la communauté de destin, à la possibilité de refaire société ensemble ici et durablement. Elle n’est pas le complément d’une démocratie délibérative, elle en est la substance."
27 septembre 2012 Auteur de l'article :
- "Pour un nouveau Riacquistu"- juin 2012
- "Rumeur et Justice" par Frédérique Campana,avocate au barreau d'Ajaccio, membre de la LDH - Débat public, juin 2011
Suivre le lien :
Rumeur et justice
Rumeur et justice
- "Eviter le piège des mots"- Débat public juin 2011
Suivre le lien :
- Construire la société politique corse - 2010
"La question corse est souvent présentée comme
incompréhensible, inextricable, exaspérante.
Aujourd'hui encore, la Corse est renvoyée sans autre
forme de procès à cette image invraisemblable d'une violence endémique, d'un
paradis qui se perd à cause des femmes et des hommes qui y vivent.
Il ne s'agit pas de nier certaines réalités. Encore
faut-il ne pas amalgamer des violences qui n’ont rien à voir entre elles et
faire ainsi des Corses une population dangereuse qu'il faut contrôler.
Pour les violences politiques qui nous intéressent
particulièrement, force est de constater qu’il existe ici une crise permanente
d’une certaine conception de la République ; celle fondée, au nom de l’universel,
sur une vision uniforme de la France, et s’affrontant à une communauté humaine
dont il est difficile de nier le caractère singulier. Il émerge de ce conflit
dans sa dimension contemporaine, mais également sous l’effet de la mondialisation
qui redessine les territoires, une nouvelle scène politique qu’il est temps de
vouloir consolider en sortant définitivement des logiques d’affrontement.
Certes, les choses auraient pu évoluer différemment
bien avant. Mais hélas, il a fallu faire avec la décision irresponsable d’un
Conseil Constitutionnel refusant d’inscrire la reconnaissance du ”peuple corse,
composante du peuple français” dans la loi fondamentale. C’était le 09 mai
1991.
Evidemment, cette barrière de papier n’a pas tenu
face à la réalité, face à “un peuple...qui malgré les incertitudes et les
doutes, s’invente dans de nouvelles conditions de lutte auxquelles un art nécessairement
politique doit contribuer”*
Depuis ce refus, la revendication d’une
reconnaissance n’a cessé de se décomposer en de multiples doléances,
culturelles, institutionnelles, économiques, fiscales, parfois sociales, que
des esprits belliqueux présentent comme les caprices d’un enfant gâté, paresseux,
irascible, demandant à la République toujours plus de privilèges voire de
passe-droits…"
Suivre le lien :
- Pour la solidarité - 2007
Première édition des "huit heures pour la Solidarité"
Suivre le lien : "Intervention pour la solidarité..."+ (Voir la page : Huit heures ...)
- Manifeste pour un développement durable, solidaire, démocratique de la Corse Contribution pour un Padduc solidaire et démocratique - juillet 2007
- Le PADDUC ? Il faut en débattre - 2007
"Dans le contexte actuel de
pré-campagne électorale, vouloir débattre du plan d'aménagement et de développement
durable de la Corse (PADDUC), apparaît comme une gageure. Il faudra donc jouer des
coudes pour disposer d'un peu d'espace public et réfléchir ensemble sur ce
plan, plus précisément sur le projet de PADDUC remis récemment aux élus de
l'Assemblée de Corse.
Il s'agit d'un document
politique important. Comme le rappelait l'un des participants à la conférence organisée
sur ce thème par les organisations signataires de la Charte
de la société civile corse2, le PADDUC se situe au
premier rang dans la hiérarchie des normes qui doivent organiser le développement
économique, social et culturel de la Corse ainsi que la préservation de son environnement.
Même si certains, tentent,
notamment au travers de plans locaux d'urbanisme ou de la suppression de la
taxe des transports, d'influer sur son contenu avant qu'il ne soit voté, et
que, de son côté, l'Assemblée de Corse, en rajoute, adoptant dès aujourd'hui
d'autres plans, comme avec la filière nautique, la ruralité, l'énergie, qui constitueront des
chapitres importants du PADDUC à venir.
Un
véritable casse-tête.
Evidemment, nous savons que
la démocratie ne se confond pas avec une marche militaire, où chacun attend que
le chef de file donne la mesure pour enfin régler son pas. Nous savons qu'elle
est un équilibre subtil sans cesse travaillé par les contradictions. Entre élus
de différentes assemblées, entre intérêts privés, et biens communs.
Toutefois, à force de
désordre, elle est devenue un véritable casse-tête pour les citoyens qui ne savent
plus « qui fait quoi et jusqu'où ». L'élaboration du PADDUC peut être un moment
opportun pour vouloir un nouveau développement démocratique. En faisant en
sorte que les citoyens s'occupent de leurs affaires, pas simplement parce
qu'ils sont informés et débattent, mais surtout parce qu'ils participent au
processus de délibération ..."Suivre le lien :
Le Padduc ? Il faut en débattre.
- Appel "Notre droit à la santé nous appartient"
- Charte de la société civile corse - 2006
"La société civile corse est l'expression la plus accomplie
de la diversité et de la complexité de notre société.
Elle exprime également un
besoin de citoyenneté qui va au-delà des échéances électorales.
En effet, le citoyen ne
doit pas seulement être appelé à exercer son droit de vote à intervalles réguliers.
Il veut également participer de manière permanente aux processus décisionnels.
La non participation crée
des sentiments de déception et d'impuissance. Elle laisse le citoyen seul face
à des mutations qui bouleversent son quotidien. Elle autorise les tentations
démagogiques et incite à la recherche de boucs émissaires…"
31
organisations signataires
- Proposition de pacte "pour un nouveau développement démocratique"- octobre 2005
- Au cri de "solidarité", 2000 personnes manifestent à Ajaccio contre la multiplication des actes racistes qui défrayent la chronique - Interview d' André Paccou, président de la LDH en Corse : "La ligue doit occuper toute sa place" paru dans "Corsica – Dossier Racisme" en janvier 2005.
"COMMENT EXPLIQUEZ-VOUS LE MANQUE DE SUCCES DE LA
MANIFESTATION ANTIRACISTE DU 23 OCTOBRE A AJACCIO ?
La
Ligue des Droits de l'Homme (LDH) tire un bilan raisonnable de cette
manifestation, aboutissement d'une campagne antiraciste marquée également par
un rassemblement à Corte le 18 septembre. Si l'on met en parallèle le nombre de
manifestants à Ajaccio, deux mille personnes, avec le nombre d'appels à
manifester, il y a incontestablement un décalage quant à la participation. La
présence d'un certain nombre de responsables, élus ou syndicalistes, ne doit
pas cacher la faiblesse des mobilisations dans les partis et les syndicats. Par
contre, les prises de position de la quasi-totalité des forces démocratiques,
l'implication des représentants des cultes, les motions des assemblées départementales
et au sein de l'Assemblée de Corse, les rassemblements immédiats de solidarité
à Sartène et en Balagne désenclavent la parole anti-raciste, au- delà des
associations, considérées à tort comme des spécialistes de la question. A
l'issue de cette campagne nous avons aussi quelques satisfactions.
QUE RÉPONDEZ VOUS AUX NOMBREUX CORSES QUI ESTIMENT
QU'ILS N'ONT PAS A JUSTIFIER LEUR ANTi-RACISME, ET DONC A DEFILER CONTRE LE
RACISME ?
Manifester
ne veut pas dire justifier. Lorsque l'on manifeste pour l'emploi, doit-on
justifier un engagement contre le chômage ? Ou bien utilise-t-on une liberté
fondamentale pour affirmer son refus de I’injustice sociale ?
Manifester
n'est pas l'arme absolue, mais un moment dans un combat démocratique. Que ceux
qui estiment si inapproprié d'utiliser la manifestation pour riposter dans l'urgence
aux attentats racistes actuels nous fassent part également de leurs
propositions !
QU'ON LE VEUILLE OU NON BEAUCOUP PERÇOIVENT ICI
TOUTE MANIFESTATION ANTIRACISTE,
NOTAMMENT D'AVA BASTA ET DE LA LDH COMME DES PHENOMENES D'ALLEGEANCE AU «
POLITIQUEMENT CORRECT» CONTINENTAL VOIRE COMME UN PHÉNOMÈNE DE COLONISES
VOULANT SE JUSTIFIER AUX YEUX DES COLONISATEURS.PIRE, COMME DES INITIATIVES
POUVANT AGGRAVER LA SITUATION. QU'EN PENSEZ-VOUS ?
Ne
faudrait-il pas mieux s'interroger sur une dénonciation du racisme demeurée
trop longtemps politiquement incorrecte et donc marginale. Mais aujourd'hui,
cette parole se libère. Quant aux rapports « colonisés colonisateurs ≫, je n'en saisis pas le sens. A travers le combat
antiraciste, il y a l'affirmation d'un choix de société fondé sur les principes
universels de dignité et d'égalité. Ce combat passe par une vigilance constante
mais aussi par des moments
de mobilisation plus affirmés. La lutte que doit mener le peuple corse contre
le racisme s'inscrit dans d'autres luttes visant à l'émancipation de tous les
individus qui composent notre communauté. L'objectif est de ne pas tomber dans
le piège du bouc émissaire pour être en mesure de répondre aux enjeux actuels
et se donner les moyens de maitriser notre destin collectif.
Je
veux aussi dire mon étonnement devant certains propos entendus après la
manifestation du 23 octobre nous incitant à plus de discrétion face aux
attentats racistes en nous accusant d'exciter la bête. En quelque sorte,
l'antiracisme responsable de ces violences, et les racistes victimes de l'antiracisme
!
Nous
sommes conscients que le combat contre le racisme, comme tous les autres
combats, signifie une réflexion sur les moyens les plus appropriés pour être efficace. Les appels à manifester doivent
s'inscrire dans des stratégies raisonnables. Aujourd'hui, la ligue constate que
des individus ou des groupuscules essaient de nous entraîner dans une spirale infernale,
avec toujours plus de dramatisation et de médiatisation. Nous n'allons certainement
pas subir cette logique de l'affrontement, sans pour autant renoncer au combat
antiraciste. A propos de médiatisation, rappelons une autre évidence. Ce sont
les auteurs de ces actes qui bafouent notre identité et salissent la Corse à
l'extérieur. Chez nous, ils sont responsables d'un climat de violence
antimaghrébines. A l'extérieur, ils sont co-responsables d'une campagne
anti-corse qui, nous le savons bien, est un fonds de commerce pour certains politiques
et certains medias français, toujours prompts à nous caricaturer. Ce sont eux qui déshonorent
la Corse.
PENSEZ-VOUS QUE LES NATIONALISTES, INVOLONTAIREMENT,
EN UTILISANT
CERTAINS MOTS D'ORDRE (« FRANCESI FORA »), EN TENANT
CERTAINS DISCOURS IDENTITAIRES ET, POUR D'AUTRES, EN SOUTENANT DES OPERATIONS
VIOLENTES, N'ONT PAS CONTRIBUE AU DEVELOPPEMENT DU RACISME EN CORSE ? ET A SON EXPRESSION
TERRORISTE ?
Le
profil des membres présumés appartenir à ≪ i clandestini corsi ≫ est suffisant pour répondre en partie à votre question.
Des jeunes en déshérence, sans véritable engagement politique, qui s'érigent en
milice pour imposer leur loi raciste en empruntant au mythe du clandestin. Ce
mimétisme démontre, une fois de plus, que la clandestinité est un monde où
toutes les aventures sont possibles. Quant au mot d'ordre ≪Francesi fora≫, il est sans doute xénophobe,
il est aujourd'hui abandonné par le mouvement nationaliste qui, a notre avis,
devrait réexpliquer les raisons de cet
abandon. Il est aussi inscrit en permanence sur de nombreux murs ou panneaux
sans que les différents pouvoirs publics responsables de son effacement ne réagissent.
La question de l'identité corse mérite une attention particulière. Chacun peut
observer que désormais elle intéresse particulièrement le Front national. Elle
n'est donc pas ce thème fédérateur qui transcende les idéologies et rassemble
au-delà de toute contradiction. Derrière les discours d'identité, il y a des
projets de société antagoniques. Par exemple, exalter l'identité, et rejeter la
communauté de destin revient à définir un espace idéologique d'extrême droite,
au-delà, il y a le projet d'une société repliée sur elle-même et agressive.
Dans
le débat sur l'identité corse, les nationalises sont des acteurs essentiels
simplement parce qu'ils en ont fait un enjeu politique central. Mais toutes les
forces démocratiques sont responsables de ce débat. Toutes doivent être
conscientes que les souffrances sociales et identitaires se confondent, alors
vient le temps où le racisme peut s'enraciner, quelle que soit la société.
COMMENT ANALYSEZ-VOUS LA RECRUDESCENCE, EN CORSE DES
ACTES RACISTES ?
D'abord,
en partant de ce triste constat qui s'impose à tous : ce sont des jeunes qui
sont au centre des violences racistes actuelles. Cela ne résulte pas d'un
phénomène de génération spontanée. Depuis plusieurs années, il y a une
banalisation du racisme qui s'inscrit dans une histoire récente que nous,
adultes, avons laissé filer parce que nous n'avons pas pris le temps de
comprendre et d'agir. Désormais, nos enfants sont confrontés quotidiennement au
désordre et aux violences du monde par media interposés, à coup de raccourcis
et de caricatures. Tout aussi quotidiennement, ils subissent la perte de
certains fondements de notre société qui étaient source d'intégration en
particulier pour la jeunesse. Aux solidarités familiales, et villageoises, par
certains aspects contestables se sont substitué un bonheur en kit et le consumérisme,
des angoisses identitaires, et une concurrence exacerbée entre des individus
pour réussir sa vie. Nous savons bien que le sous-développement et la pauvreté
accentuent le désarroi parfois jusqu'aux mauvaises colères tel que le racisme.
La Corse est pauvre et sous-développée.
QUE FAUT-IL FAIRE FACE À CETTE SITUATION POUR ÊTRE «
COMPRIS » DE LA
POPULATION ?
Surtout
ne pas s'enfermer dans la protestation. Aujourd'hui, il est urgent de
construire le temps des débats sans tabou, mais dans les limites de la démocratie.
La haine de l'autre et les incitations à la haine sortent de ces limites.
Débattre
donc avec la population ou plutôt avec les citoyens, des questions de société
qui sont restées en jachère. Certaines de ces questions doivent être abordées
au plus vite. Celles qui touchent au quotidien: chômage, précarité, exclusion,
logement, santé, cherté de la vie et insuffisance des salaires, ici plus
qu'ailleurs; mais aussi la langue corse dont il faut désormais garantir le
devenir par le droit. Oui, il faut débattre au plus vite de toutes ces
souffrances sociales et identitaires que tentent d'exploiter, à la moindre
occasion, quelques idéologues du pire.
LA LIGUE DES DROITS DE L'HOMME, EST-ELLE, EN CORSE,
L'ORGANISATION LA MIEUX PLACEE POUR MENER UN COMBAT ANTI-RACISTE ?
La
ligue doit occuper sa place, rien que sa place, toute sa place.
De
par son histoire et sa culture militante, elle est bien placée pour observer et
dénoncer le racisme. En tant qu'association généraliste, s'intéressant, à tous
les droits, elle est bien placée pour dire que le combat contre le racisme, s’il
a sa spécificité, ne doit pas être isolé des autres combats visant à
l'émancipation de l'homme. Le citoyen, pas plus que l'humanité et les sociétés
qui la composent, ne se découpe en tranches. Les droits politiques, civiques et
économiques, sociaux culturels sont indivisibles. Evidemment la LDH n'a pas à
se substituer aux autres engagements : partis, syndicats, associations,
comités... que se donnent les citoyens mais son ambition, je dirais même son
obsession, est de chercher à rassembler toujours plus simplement parce que le
combat contre le racisme est la face non éclairée du combat pour la liberté et
l'égalité en droit et en dignité des hommes." ■
- "Si proches et si lointaines" Editorial de Michel Tubiana, président de la LDH dans LDH INFO de Novembre 2004
Leurs représentants étaient
tous deux présents à la dernière réunion du Comité central.
Au-delà de l'insularité qui
est leur est commune, les situations ne sont pas les mêmes et la comparaison trouverait vite
ses limites.
Pourtant, malgré ces
distances tant géographiques que contingentes, on y retrouve les mêmes préoccupations
et les mêmes réponses de la LDH. La démocratie y fonctionne mal.
Le clientélisme tourne à
plein régime et les scrutins n'ont pas la sincérité que l'on serait en droit d'attendre.
L'État de droit n'est pas respecté. La Corse balance entre la
section antiterroriste et une violence, de droit commun ou politique que rien
ne peut justifier. La Polynésie voit s'étaler sous l'œil complaisant des
différents gouvernements français tous les stigmates d'une république bananière;
milice privée de M. Flosse, corruption érigée en norme ou achat des votes. La
religion, facteur si important dans la vie quotidienne des polynésiens est
d'autant plus facilement instrumentalisée que la loi de 1905 n'est pas
applicable.
Dans les deux cas, le travail
des militants de la LDH est de raviver le fonctionnement démocratique de leur
société et de maintenir une démarche citoyenne. Ceci suppose un investissement
au quotidien qui ne va pas sans déranger les intérêts les plus divers, ce qui
ne manque pas de provoquer l'ire de certains. Si la question du racisme n'a pas
la même prégnance en Corse ou en Polynésie, dans un contexte ou la question des
identités de ces deux territoires est posée, le rejet de l'Autre n'est jamais
très loin. Sans que la Corse soit une particularité dans la France d'aujourd'hui
(le racisme n'est pas une affaire Corse !) relevons qu'un certain discours
conduit à l'enfermement et à nier la diversité légitime de ceux qui vivent en
Corse. Que ceci amène à se livrer à des exactions, puis à menacer les militants
de la LDH et à s'en prendre physiquement à son délégué régional André Paccou
est proprement intolérable. C'est la solidarité de la LDH tout entière que
j'exprime ici.
Enfin, la Polynésie et la
Corse ont une existence culturelle qui s'inscrit mal dans les canons d'une
République qui n'a toujours pas compris que l'universalité de ses valeurs n'est
en rien contradictoire avec des
identités culturelles multiples. Plus encore qu'en Corse, la
Polynésie
connaît une situation
caricaturale. On y parle Polynésien, ce qui est la langue pratiquée par la grande
majorité de la population mais le français continue à être enseigné comme la
langue maternelle. La séance du conseil municipal se déroule en Polynésien mais
le procès-verbal est rédigé en français. Il s'en suit un échec scolaire
important ainsi qu'un sentiment de mépris à l'égard des polynésiens. La langue
Corse, dans un autre contexte puisque le français a acquis la dimension d'une
langue véhiculaire est tout aussi ignorée. Au point qu'elle devient un facteur
de ségrégation. Reconnaître ces réalités, ce n'est pas porter atteinte aux
valeurs de la République, c'est admettre que ses principes s'appliquent à tous
et qu'ils s'enrichissent du respect des identités de chacun. Là
réside le véritable universalisme.
En Corse ou en Polynésie, ce
sont les mêmes principes qui valent et qui permettent à la LDH de défendre les
mêmes droits pour tous."
Suivre le lien : Si proches, si lointaines- Racisme - Interview de Jean-Claude Acquaviva dans le quotidien "Libération" - 30 Novembre 2004
"Jean-Claude Acquaviva est le chanteur et l'un des fondateurs d'A Filetta, un des groupes musicaux corses les plus connus sur l'île. Il est aussi l'un des animateurs de la Ligue des droits de l'homme et participe depuis toujours à l'activité culturelle de sa région. Dans sa ville de Calvi (Haute-Corse), samedi dernier, quelques heures après l'attentat contre l'imam de Sartène (Corse-du-Sud), une manifestation a réuni 200 personnes. Quelles sont selon vous les racines de cette violence ciblée contre la communauté maghrébine ? J’en vois trois qui se conjuguent. Il y a d'abord cette communication déferlante qui favorise, ici comme ailleurs, certains amalgames. Ces décapitations en Irak, presque en direct à la télévision, les attentats sans fin au Moyen-Orient... Sur des esprits un peu faibles, qui prennent facilement des raccourcis, les conséquences sont catastrophiques. Elles le sont d'autant plus dans notre région, qu'un problème identitaire très vif est source d'une grande angoisse. Enfin, et c'est lié à cette perte d'identité, la société corse a perdu certains fondements qui étaient source d'intégration. Un exemple : quand j'étais gamin, sur la place de L'Ile-Rousse, j'étais l'enfant de tout le monde. Il y avait une vraie solidarité. Maintenant, en Corse comme ailleurs, beaucoup de jeunes enfants ont plutôt tendance à se sentir les enfants de personne. Mais est-ce que cela excuse ces actes ? Bien sûr que non ! Ils bafouent complètement le sens qu'on essaie de donner à notre histoire et à notre identité. Nous sommes nés d'un métissage, aussi, cette vision d'une identité propre et vierge, c'est une véritable barbarie. La réaction de la société vous paraît-elle suffisante ? A Ajaccio, près de 2000 personnes ont manifesté contre le racisme il y a un mois. A l'échelle de la population insulaire, ce n'est pas si mal. Mais ce n'est pas facile de mobiliser, car en même temps, la Corse est systématiquement montrée du doigt, objet de tous les amalgames. Un attentat. Raciste survient en Corse, et aussitôt, on dit, la Corse est raciste. Ce qui nous met, nous les antiracistes, dans une position difficile. Des gens nous disent : je suis d'accord avec vous, mais je ne veux pas faire le jeu du racisme anticorse. Si des milliers de Corses se mobilisaient contre les attentats racistes, cela lèverait les ambiguïtés... Je crois qu'il faut arrêter de dire, à l'extérieur, que les Corses sont racistes, et en même temps, arrêter de dire ici que les Corses ne sont pas racistes ! Et les politiques ? Ils s'indignent, ils condamnent... Mais quand commenceront-ils à régler les questions économiques. Quand on laisse s'entasser des familles en difficulté dans des taudis, quand les enfants se retrouvent dans des classes ghettos, quelle possibilité d'intégration y a-t-il ? Et lorsqu'on laisse des patrons exploiter impunément les travailleurs sans papiers, n'est-on pas ; aussi responsable de cette situation ? J'attends de nos élus à l'Assemblée de Corse qu'ils s'emparent de ces réalités. Comment combattre cette dérive... L'Etat jacobin a sa responsabilité. La langue corse doit faire l'objet de mesures fortes, être reconnue dans les faits. Il faut décrisper le mal-être des Corses, répondre à cette peur panique de l'identité qui fout le camp, même s'il s'agit parfois d'une conception figée de l'identité. L'école aussi doit jouer son rôle éducatif. Il faut aussi rappeler aux enfants que le racisme et l'exclusion ne sont pas des opinions, mais des délits." PIVOIS Marc Suivre le lien : Ces actes bafouent notre identité
- L'hospitalité n'est ni un crime ni un délit - Tribune parue dans Le Monde - juillet 2003
Suivre le lien : L'hospitalité
- Rassemblement de Baléone lundi 28 avril 2003
Déclaration d’André PACCOU - Délégué de Corse LDH
"L’Union des Marocains de la Corse-du-Sud et la Ligue des Droits de l’Homme ont voulu organiser un rassemblement près du local visé la semaine dernière par un attentat, pour affirmer que ce lieu n’est pas à l’écart de la société corse, que les hommes qui le font vivre sont de notre communauté et que ce qui s’est passé ici nous concerne tous.
Les nombreux appels à participer à ce rassemblement, votre présence ce soir, montrent que nous avions raison de penser que notre demande serait largement entendue, que nous avions raison d’estimer que les volontés de vivre ensemble étaient largement partagées, quelles que soient les opinions de chacun d’entre nous.
Aujourd’hui, un nouveau groupuscule « armata christiana corsa », vient de revendiquer l’attentat de la semaine dernière au nom d’une Corse chrétienne et d’une exclusion de l’islam. Quelques individus malades de l’extrémisme ont donc décidé de dévoyer l’esprit du christianisme, fondé sur la tolérance et la fraternité, pour tenter de masquer leur haine de l’autre.
Je dis « quelques individus » parce que nous savons bien que les Eglises et les chrétiens de Corse sont très solidement attachés aux valeurs humanistes. Je voudrais d’ailleurs vous faire part, Monsieur le président de l’Union des Marocains, du message de solidarité que Monseigneur Lacrampe, dans l’impossibilité d’être avec nous ce soir, m’a demandé de vous transmettre. Je voudrais également saluer l’importante délégation de l’Eglise catholique de Corse présente parmi nous.
Je dis « quelques individus » mais je ne veux pas sous estimer le danger qu’il représente lorsqu’ils portent atteinte au droit à la sûreté, lorsqu’ils s’en prennent également à d’autres libertés fondamentales, la liberté de s’associer puisque nous sommes ici dans une enceinte associative, ou à la liberté d’opinion, cette liberté qui signifie que « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre établi par la loi pour reprendre les termes de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen en son article 10.
Mais qui donc oserait affirmer qu’en ce lieu, on trouble l’ordre établi par la loi, alors que tout respire la tranquillité et la paix, que tout invite à la fraternité.
Depuis plusieurs mois maintenant, certains semblent vouloir surfer sur l’émergence d’un vote lepéniste lors des élections présidentielles. Nous sommes convaincus qu’il n’y a pas en Corse 20% de racistes, simplement beaucoup de gens qui se trompent de colère dans une société en mal de repères.
Dans ce contexte, certains attisent les haines. On mitraille le local de Baléone, on tente d’incendier un lieu de culte musulman à Sartène puis à Propriano. Une « organisation secrète corse » balance quelques centaines de tracts en fantasmant sur « une invasion arabo-musulmane », mais aussi en se livrant à des menaces par l’annonce « d’affrontements inéluctables et plus graves dans les mois à venir ».
Autant d’agressions répétées pour faire croire à un engrenage de la haine et de la violence.
Soyons vigilants, et sans exprimer le moindre mépris sur le débat institutionnel en cours, constatons que celui-ci peut nous éloigner de cette nécessaire vigilance.
D’autres enjeux doivent être abordés.
Il y a la question de l’identité qui ne doit pas être une obsession mais un projet de société fondé sur cette conception d’une communauté à la fois singulière et intégrante, composé de Corses de filiation, vivant dans et hors de l’île , et de Corses d’adoption, d’origine bretonne, sarde, portugaise, marocaine…D’individus ayant fait le choix de s’installer ou premières générations nées en Corse.
Il y a la question sociale, toujours sous estimée, alors que ce sont les inégalités et les exclusions qui sapent notre capacité à vivre ensemble et qui alimentent les mauvaises colères. Je voudrais insister plus particulièrement sur l’importance de la présence d’organisations syndicales et d’associations parmi nous ce soir ; des syndicats et des associations dont le travail quotidien et justement de combattre les inégalités et de promouvoir les droits sociaux. Je voudrai dire l’importance que la LDH attache à cette présence dès qu’il est nécessaire de se mobiliser contre des agressions racistes. La dimension sociale de ce combat est essentielle.
Oui, soyons vigilants. Que chacun d’entre nous soit attentif à une certaine banalisation du racisme au travers de ces inscriptions insupportables « arabi fora » que l’on trouve jusqu’aux portes des établissements scolaires, là où se regroupent quotidiennement des centaines de collégiens et de lycéens. Une vigilance nécessaire également contre ces discriminations que subissent les immigrés lorsque par exemple, on refuse de les servir à la terrasse d’un café.
Mal vivre, inégalités, exclusions, discriminations, tout cela finit par faire système pour une partie de la communauté corse.
Pour mieux exprimer ce que je pense être la responsabilité de chacun devant ces réalités, permettez-moi de vous soumettre cette réflexion de Dostoïesky « Nous sommes tous coupables de tout et de tous devant tous, et moi plus que les autres ».
Mais les violences racistes actuelles ne nous cachent pas ce qui se construit. C’est ensemble, Corses de filiation et Corses d’adoption, que nous avons manifesté « pour une paix juste et durable au Proche Orient » et pour dire « Non à la guerre en Irak ».
C’est ensemble que nous nous mobilisons ce soir pour dire « Non au racisme ».
C’est ensemble que nous travaillons quotidiennement dans les syndicats et les associations pour faire vivre nos droits et nos libertés.
C’est ensemble que nous travaillons au développement de relations avec les pays de la rive sud de la Méditerranée, que soit au travers d’échanges universitaires, culturels ou économiques.
C’est ensemble que nous participons quotidiennement au développement démocratique, économique, social, culturel de la Corse.
Et nous continuerons d’avancer parce que notre volonté de vivre ensemble est plus forte que le racisme et le rejet de l’autre.
Votre présence ce soir en est la preuve."
Suivre le lien : Discours de Baléone
- Chantier républicain - Opara ripublicana 2002
Emu
cambiatu di seculi,bisogna avà a cambià d'epica.Tocca à noi tuttu à sunnià à una
altra ripublica più ricca dia varietà di i populi; tocca ànoi à sunnià una Auropa
sbarrazzata di i lutti viulenti trà i populi, cù statu o senza; adimetta chi a
«quistioni corsa» hè, UN' OPARA RIPUBLICANA."
Suivre le lien : Chantier républicain
Suivre le lien : Chantier républicain
- La Corse en mouvement : colloque national de la LDH-Ajaccio, les 27 et 28 octobre 2001 - Discours de clôture de Michel TUBIANA; président de la LDH.
- LDH - Tribune « Le Monde » – avril 2000
Corse, une passion française - Des attentes légitimes -
Respecter l'identité corse
"Ultimatum du ministre de l'intérieur, remise en question de la République, élus pris en otage par les poseurs de bombes... les déclarations alarmistes se multiplient, qui appellent à la mobilisation sur le front Corse. Il faut dire que la Corse a souvent subi soit le bruit les passions françaises, soit les silences de la raison d'état.
Sommes-nous sur les chemins de la sécession, à la veille de livrer l'île aux bandes maffieuses ?
Force est de constater que la situation est plutôt calme, d'un calme qui étonne toujours le visiteur.
Evidemment, il ne s'agit pas de parler du calme fabriqué par quelques-uns, le temps d'une saison, pour ne pas effrayer le touriste, ni de ce calme imaginé par d'autres et qui serait la conséquence d'une loi du silence imposée à chacun d'entre nous. Non, il y a simplement le calme des citoyens qui attendent une vie meilleure, ceux qui doutent et ceux qui espèrent, ceux qui ne sont pas d'accord ou ceux qui ne se sentent pas concernés, d'autres qui s'engagent, et ceux qui sont un peu tout cela à la fois.
Que veulent précisément les Corses ? Ils demandent la prise en compte de leur identité, la possibilité de rattraper des retards de développement et celui de participer davantage à la maîtrise des choix qui les concernent directement, des aspirations somme toute très citoyennes, qui relèvent du pluralisme culturel, de l'égalité des chances et de la démocratie locale. Certains objecteront que les réponses politiques actuellement disponibles sont suffisantes pour pouvoir satisfaire ces attentes, mais que les perspectives désormais à l'ordre du jour menacent l'unité nationale, qu'elles sont le résultat de pressions des clandestins.
Observons tout d'abord que la plupart de ces contradicteurs étaient déjà, il y a une vingtaine d'années, parmi les plus farouches adversaires du statut actuel. Mais surtout ne quittons pas la réalité des yeux. Que s'est-il passé en Corse depuis que le premier ministre a ouvert un dialogue sans préalable ?
Sept mois de débats se sont écoulés, qui ont généré de très nombreuses prises de parole et recréé de l'espace public. Sept mois d'activités fébriles qui ont mis à l'écart les logiques d'affrontement et permis une véritable promotion de la démocratie représentative.
La Corse peut raisonnablement espérer se libérer d'une histoire rythmée par les inquiétudes et les incertitudes. Elle peut espérer vivre le temps de la démocratie.
Entre partisans de la décentralisation et ceux de l'autonomie interne, des concessions ont été faites sans lesquelles rien n'aurait été possible. Désormais, des perspectives sont tracées, qui traduisent également les attentes manifestées par de nombreux acteurs de la société civile lors des consultations organisées par le Conseil économique, social et culturel de la Corse.
Ces perspectives indiquent notamment la nécessité d'une implication de l'organisation politico-administrative de l'île.
Ces mêmes perspectives dessinent un avenir avec plus de responsabilités pour les citoyens et leurs représentants, qui auront le pouvoir d'adapter certaines lois de la République a la réalité insulaire."
André Paccou
Président de la section d'Ajaccio de la Ligue des droits de l'homme.
4 avril 2000
Suivre le lien : Corse : une passion française
- Appel pour la reconnaissance du peuple corse - Paru dans Corse Matin le 17 février 2000 "Depuis l'invitation au dialogue lancée par le 1er Ministre, la Corse peut espérer en un futur dynamique basé sur l'imagination qui pourrait permettre une intégration de la communauté insulaire dans une Europe moderne et ouverte sur le monde. Ce souci est présent de manière plus ou moins confuse dans la majorité des esprits. Le débat est là, enfin là, provoqué par le bénéfique changement d'attitude du Premier Ministre. Il faut le laisser s'organiser, ne rien taire, aider à ce qu'éclosent les questions de fond et ne pas craindre la contradiction et la polémique. Ainsi avancent, en démocratie, le pluralisme et la prise de décision. Depuis un quart de siècle, voire depuis plusieurs siècles, la question d'une reconnaissance en droit du peuple corse occupe une place centrale dans l'espace politique insulaire. Qu'on le veuille ou non, elle apparaît aujourd'hui comme le passage obligé pour que s'ouvrent devant nous les portes de l'avenir. Et qu'importe la vigueur des débats! Pour notre part, nous aspirons à une citoyenneté nouvelle, capable de dépasser les archaïsmes et les discours belliqueux, de faire barrage aux idéologies racistes et xénophobes et de s'opposer aux pouvoirs de caciques ainsi qu'à une Raison d'Etat sans d'autre raison que l'intérêt d'un État qui va devoir s'adapter au monde environnant. Nous affirmons que la reconnaissance d'un peuple corse, inscrite dans la loi fondamentale française, est une condition essentielle pour refonder la démocratie et pour reconstruire l'espace public insulaire. Il est temps pour la République de s'interroger sur son propre modèle. La République n’a pas à craindre l'organisation de droits collectifs en son sein pas plus que le citoyen dès lors que les droits de l'Homme restent prépondérants sur ceux de toute communauté qu'elle soit corse ou française, tout simplement parce que ces droits sont à la dimension de l'humanité et à l'échelle des individus. La France n'a rien à craindre de la reconnaissance du peuple corse dès lors qu'elle accepte l'idée d'un État de droit qui ne saurait être confondu avec les droits de l'Etat. Elle a tout à gagner à laisser émerger les richesses de ses différences plutôt qu'à éradiquer celles-ci au profit d'une uniformité nécessairement inégalitaire. Nous affirmons aussi que la reconnaissance d'une communauté de destin regroupant des Corses d'origine comme des Corses d'adoption, enfin responsable de son destin, répond à un besoin moderne d'identification politique. Dans un monde où les centres de décision s'éloignent de plus en plus du citoyen, nous affirmons que le meilleur moyen d'échapper à la dissolution promise par l'ultra libéralisme, à la mutation en individus microsoftés ou macdonatisés est à la fois la référence éthique à l'humanité en même temps que la prise de responsabilité au sein de sa propre communauté. Nous ne voulons pas laisser s'installer un monde fondé sur la solitude dans une foule innommable pas plus que sur la seule recherche du profit, ce profit qui arase les différences, détruit l'esprit et fonde le malheur sur la seule puissance d'un matérialisme annihilant. Parce que l'homme pensant est l'avenir de l'homme, les peuples doivent s'assumer en toute maturité. En reconnaissant le peuple corse, la République française contribuerait à la construction d'un espace de citoyenneté conforme aux enjeux du siècle qui vient. Une telle reconnaissance exige une réforme de la Constitution. C'est ce que nous espérons de tous nos vœux pour la Corse pour la France mais surtout pour les générations à venir."
1er
signataires :
Jean Claude ACQUAVIVA (artiste
chanteur), Toni CASALONGA (plasticien), Pierre CERVETTÏ (syndicaliste),
Xavier Gabriel CULIOLI
(écrivain militant anti-raciste), Alain DI MEGLIO (enseignant université de
Corse),
Antoine Marie GRAZZIANI
(enseignant IUFM de Corse), Petru GUELFUCCI (artiste chanteur), André PACCOU
(militant des droits de l'homme), Xavier PIERI (enseignant université de
Corse), Jean Claude ROGLIANO (écrivain), Etienne SANTUCCÏ (syndicaliste),
Antoine SOLLACARO (avocat ancien bâtonnier), Ghjacumu THIERS (enseignant
université de Corse), Dumenica VERDONI (enseignante université de Corse),
Noëlle VINCENSINI (déportée résistante militante humaniste).
Suivre le lien :
Peuple corse
Peuple corse
- « SORTIR DE L'EXCEPTION » mai 1999
"Une fois de plus, l'histoire
s'accélère brutalement en Corse. En quelques jours, ce qui
constituait le socle de la
stratégie de l'Etat avec « un exécutif local » aux pouvoirs
d'exception, en quelques jours,
ce socle s'est effondré.
Il faut rendre hommage à
l'action de la justice actuellement en cours dans l'affaire de
Cala d'Orzu. En affirmant
leur autonomie, les magistrats sont en train d'écrire une belle
page de l'Etat de droit.
Remarquons ici qu'il n'est
pas nécessaire de recourir à quelques exceptions judiciaires
pour faire avancer une
instruction aux implications politiques nationales. Remarquons
également que l'action
judiciaire trouve toute sa raison d'être en Corse au plus près des
citoyens. Point n'est besoin
de recourir au dépaysement.
De fait, la justice se
constitue en contrepouvoir. Face à la gravité de l'événement, elle
contribue à créer les
conditions d'un processus de démocratisation dont la Corse a
grand besoin.
Toutefois, les choses ne
peuvent rester en l'état. Nous faisons confiance à la justice
pour que la vérité soit faite
non seulement sur les faits qui nous inquiètent aujourd'hui
avec la mise à jour de toutes
les responsabilités mais aussi sut l'ensemble des pratiques
et des comportements de la
préfecture de Corse et du G.P.S. depuis un an.
Au-delà de toute question
politique ou judiciaire, se pose celle des libertés
fondamentales dont les
principes doivent présider à toute forme de gouvernement
démocratique. Sur ce plan,
nous sommes contraints de constater que certains ont cru
possible de mettre entre
parenthèses les Droits de l'Homme, le temps d'une remise en
ordre.
Ils ont oublié cette leçon de
l'histoire qui nous rappelle que le pouvoir prend goût à
l'exception, au point pour
certains de violer la loi. Ceux-là ont fait passer le droit de l'Etat
avant le droit des personnes
: terrible tentation autoritaire et sécuritaire qui institue
l'arbitraire.
Pour notre part, nous nous
devons de rappeler un principe essentiel selon lequel, dans
un Etat de droit, la Loi, et
elle seule, en dehors de tout régime exceptionnel, par
l'intermédiaire d'une
application sereine et indépendante des tribunaux, doit réprimer
tous les crimes ou délits
portant atteintes à la vie ou à l'intégrité des personnes ou
encore exercés dans le domaine
économique et financier.
Aujourd'hui, l'urgence démocratique impose de sortir de
l'exception.
Il faut
exiger :
● Le respect des Droits de l'Homme par un
retour au droit commun ;
● L'équilibre des pouvoirs qui garantit
l'autonomie de la justice ;
● Le refus de toute régression centralisatrice
et autoritaire ;
● La recherche des solutions politiques à la
question corse par le
débat démocratique.
Dans la
période actuelle, ces enjeux conditionnent, pour la Ligue des Droits de
l'Homme, l'inscription de la Corse dans un processus démocratique."
Fait à
Ajaccio, le 12 Mai 1999
Texte signé par :
A.N.C. -
C.F.D.T. - Comité Anti-Répression - Cuncolta Indépendentista -
Corse
Nouvelle - Corsica Nazione - C.S.C.- Ghjuventu Paolina - I Verdi Corsi
- Le
Rassemblement (à l'Assemblée de Corse) - Mouvement pour la Corse -
P.P.I. - Mouvement
des Citoyens - Scelta Nova - Rinnovu Naziunale - S.T.C. -
U.P.C. -
Soutenu en préfecture par :
Jean
Pierre ARRIGHl (Comité de Parrainage), Paul Joseph CAITUCOLI (Militant
du
développement identitaire), Paul GUIDICELLI (Maire), André PACCOU (Ligue
des Droits
de l'Homme), Michèle SALOTTI (Militante de l'environnement),
Antoine
SOLLACARO (Avocat et Conseiller juridique L.D.H.) et Alain SPADONI (Notaire).
Suivre le lien : Sortir de l'exception- Paru dans « La Corse » le 28/06/1996 – Interview d’Henri Leclerc.
Le président de la Ligue des Droits de l'Homme en Corse aujourd'hui
Henri Leclerc : «Au-delà du bruit des bombes»
"Le président de la Ligue des Droits de l'Homme sera aujourd'hui à Bastia et demain à Ajaccio. Deux Journées riches en rencontres et se voulant autant d'espaces de dialogue dans une collectivité territoriale ayant perdu ses repères, en proie à la violence et prise dans un climat délétère.
Henri Leclerc est avocat depuis une trentaine d'années, Il a su allier sa profession à un engagement au service de l'équité. Aussi a-t-il défendu des Indépendantistes algériens ou guadeloupéens. Mais aussi des autonomistes bretons, des objecteurs de conscience, des syndicalistes ouvriers. Cet inlassable défenseur du concept de citoyenneté est également intervenu dans des affaires particulièrement médiatisées tels le procès de Knobels-piess. Il affirme que la parole et la dialectique valent mieux que des armes pour interroger les consciences. Une thèse renvoyant au concept "Liberté, Egalité, Fraternité" dont il croit le retour possible. Ici et maintenant.
– Eu égard à vos fonctions, une question s'impose d'emblée : que pensez-vous de l'Etat de droit en Corse ?
Henri Leclerc. L'Etat de droit fait passer la force du droit avant le droit de la force. Il respecte et fait respecter les droits de l'homme. Il fonde sa légitimité sur la reconnaissance des droits du citoyen. Il assure la sûreté individuelle de chacun par le fonctionnement des institutions établies par la loi dans l'intérêt de tous. Toute personne a également droit à la protection de sa vie et à la présomption d'innocence qui veut que nul ne soit condamné qu'après avoir été déclaré coupable par un tribunal légal indépendant et impartial, statuant publiquement et contradictoirement.
L'Etat garantit-il en Corse le respect des droits fondamentaux ? Qu'en est-il de la liberté de
conscience, de la liberté d'expression, mais aussi du droit de chacun à avoir un emploi, du droit à un niveau de vie suffisant, des droits des étrangers, des libertés syndicales ? Il n'y a pas qu'en Corse que chacun doit s'interroger sur cet Etat de droit dont, en tant que citoyen, il est aussi responsable.
– Quelle peut être l'efficacité de l'arme de la non-violence dans une société ayant perdu ses repères et foulant au pied les concepts de tolérance et de dialogue ?
H.L. La vraie question serait de savoir si la violence est efficace dans une telle société ? Elle
donne de faux repères, selon lesquels le plus juste serait le plus fort. Est-il certain que la société corse a perdu ses repères? Qu'elle a oublié son histoire, sa culture ? Je ne crois pas que les concepts de tolérance et de dialogue aient disparu dans un pays qui sut être républicain bien avant 1792. On ne peut opposer à la violence minoritaire que la force civique. Elle seule peut lui résister. Et elle est donc efficace. Elle permet justement de dialoguer et de trouver les moyens pour combattre l'injustice et pour construire, une société réellement démocratique et respectueuse des droits de chacun. Ce sont là des repères vivants qui existent, puisqu'on entend l'écho par-delà le bruit des bombes et des coups de feu.
Interroger les consciences
– Pensez-vous que dans l'île mais aussi ailleurs la trilogie Liberté-Egalité-Fraternité, qui est le socle de la République, soit toujours d'actualité ?
H.L. Au XVIIIème siècle, la République corse connaissait déjà les concepts de liberté et d'égalité. L'enthousiasme révolutionnaire y a ajouté la force émotionnelle du mot fraternité. L'idéal républicain est universel. La République, c'est d'abord la volonté de ceux qui la composent de vouloir vivre ensemble avec leurs différences. La liberté, l'égalité, la fraternité, c'est d'abord le respect de l'autre. La liberté consiste à faire tout ce qui ne nuit pas à autrui. L'égalité n'est pas l'identité, elle est le fondement de la justice. Quant à la fraternité, que d'autres appellent la solidarité, c'est celle de "la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine", dont parle la Déclaration universelle des droits de l'homme. Tout cela me paraît être d'une brûlante actualité.
– Vous êtes avocat, pensez-vous que la parole et la dialectique suffisent à sensibiliser les consciences, ou bien est-il nécessaire de mettre son argumentation au service d'un courant politique ?
H.L. La parole et la dialectique valent mieux que les armes pour interroger les consciences. Les courants politiques sont nécessaires parce qu'ils permettent au citoyen d'agir, d'organiser l'action collective, de dialoguer, de faire jouer les mécanismes de la démocratie dans la mise en oeuvre, voire d'affrontement des projets, des idées, des concepts d'organisation sociale. Ils fondent la démocratie sur la vie civique, et non sur l'affrontement des clans au service des intérêts particuliers. Mais la politique, ce n'est pas seulement les courants. C'est aussi le mouvement social, les organisations civiques, les syndicats, les associations. C'est tout ce qui fait vivre la démocratie, au-delà même des processus électoraux par la participation de chacun à la vie de lacité. Ce sont les relais de la parole et de la dialectique.
Non aux clans et à ceux qui font parler les armes.
– Quelle est votre position sur la laïcité ?
H.L. Depuis la loi de séparation des églises et de l'Etat, la société s'est malheureusement
sécularisée. Mais la laïcité n'est jamais acquise. C'est un combat permanent. Les conditions de célébration du baptême de Clovis (que pensent donc les corses de cette paternité ?), ou
l'invocation de ses croyances religieuses par un préfet pour justifier une mesure de censure
culturelle, sont des signes préoccupants. Bien sûr, la laïcité c'est d'abord le respect des croyances et des consciences, mais c'est aussi la neutralité de l'Etat et il faut rester vigilant, notamment quant à la laïcité des institutions et du système scolaire. Et ce d'autant plus que nous avons besoin de la laïcité pour répondre aux problèmes d'aujourd'hui, notamment au pluralisme culturel et religieux.
Comment éviter de sombrer dans le communautarisme ou dans des attitudes discriminatoires ?
Comment définir aujourd'hui ce qui relève de la spécificité de chacun et doit être respecté, et ce socle commun auquel il ne peut et il ne doit pas être dérogé ? Pour nous, la laïcité est un concept vivant et nécessaire.
– Si vous deviez délivrer un message aux corses, quel en serait la teneur ?
H.L Je n'ai pas de message spécifique à délivrer aux Corses. Celui dont je suis porteur,
« le message des droits de l'homme », est universel, mais comment ne pas rappeler, ainsi que l'avaient si bien précisé les constituants de 1789, que le seul bouclier des droits de l'homme, ce sont les droits du citoyen. Je voudrais qu'on entende mieux à Paris et dans le monde ce que les corses ont à dire, non les clans ou ceux qui font parler les armes, mais les citoyens corses. Les Etats-nation s'organisent aujourd'hui en ensembles régionaux. L'Europe bien sûr, mais aussi le bassin méditerranéen qui devra bien trouver les formes pour s'unir. Comment construire cet avenir ? Quelle place les corses vont-ils y prendre ? Qu'ont-ils de spécifique à apporter à l'universel ? C'est à eux de le dire.
La démagogie de l'extrême-droite
– Ordre moral, thèses d'exclusion, remises en cause de l’ivg et de la contraception, tout cela n'est-il pas le signe que la stratégie de l'extrême droite gagne la société française ?
H.L. La société française est malade. Elle l'est d'abord de la crise économique et de la crise
sociale qui la secoue. Elle est malade du chômage, de l'exclusion, de la précarité. Les thèses démagogiques de l'extrême droite, qui désignent l'étranger comme responsable et en font un bouc émissaire provoquent des dérives intolérables. Les idées xénophobes gagnent du terrain, et souvent la classe politique croit combattre l'extrême droite; en adoptant certaines de ses thèses.
On voit effectivement ressurgir les tenants de l'ordre moral, la censure culturelle, la mise en cause violente parfois de l'I.V.G. ou de la contraception, la contestation des droits des femmes, de la liberté d'expression. A cela, nous ne pouvons répondre qu'en défendant les valeurs essentielles sur lesquelles, repose le consensus républicain, et promouvoir la démocratie qui s'exprime d'abord là où résident les citoyens qui doivent agir ensemble."
Propos recueillis par Jean Poletti.
- Charte civique pour la Corse - 1995
"La
société corse est en crise, le constat est d’évidence. Crise à la fois
politique, économique, sociale et morale. Avec son cortège de violences ;
violences multiformes, symptomatiques d’une société sous pression où les
déséquilibres s’accumulent et se chevauchent. Société où les dynamiques
communautaires sont battues en brèche par l’atomisation
et l’anomie. Société où sont remises en cause les conditions qui font que «
tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne »
(Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, art. 3) et que « toute personne…
a droit à la propriété » (DUDH, art. 17)"
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