Corse-matin
le lundi 04 novembre 2013
Me
Jean-Sébastien de Casalta : « C'est très certainement une autre vie, très
aventureuse, qui se profile pour le repenti car il va lui falloir basculer dans
l'exil et dans l'ombre ».
Ce
nouveau statut de «collaborateur de justice» entrera en vigueur en Corse le 1er
janvier 2014. Me Jean-Sébastien de Casalta, avocat pénaliste bastiais, pose la
question de la crédibilité du repenti
Marseille
et la Corse sont dans le viseur du décret d'application de la loi Perben 2 qui
introduit dans le code pénal le fameux statut du repenti. Depuis 2004, faute de
financement, les textes traînaient dans les tiroirs. L'impact des règlements de
compte à répétition a sauvé d'une mort probable, au mieux d'un sommeil éternel,
ces dispositions censées combattre la grande criminalité.
Et
c'est l'Agrasc (Agence de gestion et de recouvrement des avoirs criminels
saisis et confisqués) qui prendra en charge le coût des compensations octroyées
aux repentis. Autrement dit, les biens saisis sur les grands bandits. Juste
retour des choses.
Déjà en
place dans de nombreux pays avec succès, notamment en Italie depuis les années
quatre-vingt, et aux États-Unis le statut de « collaborateur de justice » entre
donc en vigueur le 1er janvier 2004 : identité d'emprunt, réduction ou
exemption de peine, protection, aide à la réinsertion par le biais
d'allocations financières, autant de mesures incitatives dont certaines
pourront aussi bénéficier aux proches qui se verraient aussi menacés par la
démarche du repenti.
Quel
peut-être le profil du « collaborateur de justice » ? Les acteurs du crime
organisé sont, pour la plupart des professionnels qui n'ont aucune envie de
sortir du système, déclarait récemment le procureur général près la cour
d'appel de Bastia, Marc Désert. Mais à la marge, certains criminels peuvent
ressentir, à un moment donné de leur parcours, le besoin de rompre avec ce
milieu. Le statut de repenti serait le moyen de s'extraire sans trop de casse
de l'engrenage du banditisme, il pourrait même dans certains cas, constituer la
seule issue, voire une aubaine : la grande criminalité n'offre pas, en interne,
d'échappatoires très sécurisantes. On en est ou plus du tout, à ses risques et
très grands périls. C'est souvent la solution radicale qui l'emporte.
Nous
avons demandé à Me Jean-Sébastien de Casalta, avocat pénaliste et membre de la Ligue des droits de l'homme, son sentiment sur la
mise en œuvre de ces mesures en Corse.
Que
vous inspire ce statut de repenti ?
Le
statut de repenti, au-delà des questions morales qu'il fait surgir, favorise
l'émergence d'une justice qui encourage la délation. Cet appel à l'aide du
judiciaire au délinquant, sous prétexte d'endiguer le phénomène de la
criminalité organisée, ne peut qu'inquiéter car il met les libertés en danger,
même s'il est légitime de protéger une personne collaborant avec la justice,
dès lors qu'elle est menacée.
Quelle
valeur accorder au témoignage d'un repenti ?
Qui
pourrait déclarer, sans risque de se tromper, qu'un repenti puisse confisquer
la vérité dans sa seule parole ? La tentation de nuire à d'anciens « associés »
et de prendre une distance intéressée avec la réalité n'est pas à négliger. Les
trahisons et les mensonges ont toujours jalonné l'histoire du crime organisé.
Les manipulations de toutes sortes ne sont pas à exclure. Aussi, la justice,
devant la nécessité de sauvegarder la présomption d'innocence, se devra
d'exercer un contrôle approfondi de la crédibilité du « repenti ».
La cour
de justice des communautés européennes a rappelé récemment que la nécessité de
respecter les droits fondamentaux prévaut sur les exigences répressives liées
au maintien de la sécurité collective, même en matière de lutte contre la
criminalité organisée.
Enfin,
comment ne pas être indisposé devant le « spectacle » d'un délinquant
récompensé par une exemption ou une réduction de peine et l'offre d'une
nouvelle vie, en contrepartie d'informations dont la fiabilité est incertaine.
Peut-on
en attendre des résultats significatifs ? Y aura-t-il des candidats selon vous
?
Je
doute que ce dispositif qui ne pourra être mis en œuvre que dans les dossiers
d'instruction de criminalité organisée apporte une plus value réelle à
l'enquête. La situation de la Corse ne saurait être comparée à celle de la
France ou à d'autres îles de la Méditerranée. Notre île est très faiblement
peuplée et la société corse est bâtie sur des liens familiaux, amicaux et
personnels. Cette proximité relationnelle tisse un lien social très étroit
entre les individus. Aussi, je ne crois pas que ce statut suscite des
vocations, ce d'autant que l'absence d'élucidation de très nombreux crimes est
susceptible d'inciter les éventuels candidats à la prudence.
Quel
sera le rôle de l'avocat dans ce cadre ? Dans quelle mesure pourra-t-il
négocier les compensations ?
Lorsque
la personne poursuivie aura fait le choix de revendiquer le statut de repenti,
qui doit demeurer une décision personnelle dans laquelle l'avocat n'a pas à
s'immiscer, il appartiendra à ce dernier d'exercer son devoir de conseil et de
défense jusqu'au terme de ce processus. Ce qui peut le conduire bien évidemment
à discuter des mesures de protection et de réinsertion proposées au repenti.
J'imagine que peu de confrères se retrouveront confrontés à une situation aussi
exceptionnelle.
Pensez-vous
que l'anonymat pourra effectivement être respecté dans un territoire aussi
limité que celui de la Corse alors qu'il demeure aléatoire dans le cadre du
témoignage sous X ?
La loi
préserve l'anonymat du témoin sous X même si les informations qu'il livre
peuvent être de nature à permettre son identification, surtout dans une société
aussi cloisonnée que celle de la Corse. Quant à la loi Perben 2 du 9 mars 2004
qui a introduit le statut de repenti, le nouveau système permettra au parquet
ou au juge d'instruction de saisir, à l'occasion d'une enquête, une «
commission nationale de protection et de réinsertion » pour faire bénéficier le
repenti - et éventuellement sa famille - du programme, notamment de mesures de
protection pouvant aller jusqu'à des identités d'emprunt.
Le
repenti pourra obtenir une identité d'emprunt mais il semble évident qu'il
devra s'expatrier. Au final, n'est-ce pas un changement total de vie qui
l'attend ?
Côtoyer le crime et ses acteurs et décider ensuite de
s'en détacher est un véritable défi. C'est très certainement une autre vie,
très aventureuse, qui se profile pour le repenti et sa famille car il va lui
falloir basculer dans l'exil et l'ombre pour protéger sa vie.