Pour un nouveau Riacquistu [1]
Pour
le Ligue des Droits de l’Homme,
Dominique
RENUCCI
présidente
de la section de Corse
Michèle
ZEVACO,
déléguée
de Corse de la LDH
André
PACCOU
membre
du Comité central
De
par son caractère stratégique et normatif, le plan d’aménagement et de
développement durable de la Corse, le PADDUC [2], constitue un outil de
régulation social et environnemental essentiel. La société civile corse a
compris cette importance. Elle s’est fortement mobilisée contre un projet qui
planifiait une dé-sanctuarisation de la Corse. Dans le même temps, elle a
revendiqué le droit de délibérer aux côtés des élus.
En
réponse à cette aspiration démocratique, la nouvelle Assemblée de Corse a
organisé des Assises du foncier et du logement. A l’issue de ces travaux, elle
a adopté le principe d’une réflexion sur le statut de résident, confirmant
qu’il ne peut y avoir de PADDUC sans une vision de la Corse qui placerait en
son centre le concept de résidence. Désormais, il faut se mettre au travail et
vite afin de définir une autre trajectoire pour la Corse qui permettra de sortir d’un mal développement chronique et
d’un état de pauvreté permanent.
Nous
sommes prisonniers d’un modèle de
société que nous avons construit autour de la rente économique liée au tourisme
et des enjeux individuels et collectifs liés aux modalités d’accès direct ou
indirect à ces ressources. En fait, d’une manière ou d’une autre, les acteurs
sociaux développent des stratégies afin de maximiser leurs avantages dans la
compétition qui se déroule autour de l’accès aux ressources rentières.
Au
bout du compte, seuls quelques-uns en profitent. Parmi les exclus, certains
développent des stratégies de survie dans le cadre d’une économie de la
« débrouille » génératrice d’autres violences. D’autres arrivent à
travailler dans le secteur formel mais ils vivent une condition de travailleur
pauvre dont les effets négatifs ne sont atténués que par le filet de la
solidarité familiale. Avec les
travailleurs immigrés, les femmes isolées, les retraités, ils forment une
société du précariat. D’autres encore, dans une situation intermédiaire, voient
leur statut social se dégrader.
Nous
ne pouvons ignorer le monde « global » dans lequel nous vivons, et la « déraison économique » qui
l’agite. L’insertion de notre modèle rentier dans une économie mondiale dominée
par la financiarisation et les dérèglements exacerbe la compétition entre les individus,
favorise les dérives spéculatives, aggrave les inégalités, dégrade l’environnement,
uniformise les comportements, détruit la diversité culturelle.
Dans
ce contexte de profonde déprime sociale et de nouvelles complexités, où se
perdent les rêves du dernier Riacquistu, un sentiment de dépossession se
propage et le rejet du « système » revient comme un leitmotiv.
Ces réactions sont synonymes de
désenchantement démocratique. Elles expriment un sentiment d’impuissance face à
la loi du plus fort. Elles nourrissent de mauvaises colères à la recherche d’un
bouc-émissaire.
De
son côté, le pouvoir personnel, clanique et clientéliste cherche les moyens
d’une reconversion. Sur le front de l’urbanisme, la Loi qui contribue au vivre
ensemble devient source de conflits autour du contrôle des terres littorales. Sans cesse négociée, elle ne donne plus de repères. Les
situations sont vite ingérables et dégénèrent en menaces, en attentats ou en
assassinats. Si nous laissons faire, d’autres territoires et la société dans
son ensemble connaîtront la même régression démocratique.
Ce
sont les droits de l’homme qui sont le fondement d’une société démocratique. Leur
réalisation passe nécessairement par la mise en œuvre d’un autre développement
qui s’appuie sur la participation et la contribution des citoyennes et des
citoyens. Elle nécessite une économie de production et une société de la
solidarité ayant pour objectif des conditions de vie satisfaisantes pour chacun
dans un environnement sain, protégé et amélioré pour les générations présentes
et à destination des générations futures.
Pour
la Ligue des droits de l’Homme, le PADDUC doit répondre à cette exigence d’un
autre développement. Il doit rendre visible une alternative en diagnostiquant
les besoins des femmes et des hommes qui vivent en Corse puis énoncer des
propositions d’égalité réelle. Tel est le sens à donner au débat sur la
résidence qui contribuera à définir une nouvelle citoyenneté.
Nous
en débattrons avec l’Etat mais pas dans un face à face exclusif. Nous devrons
aussi investir l’Europe. L’Europe est une chance. Là existent d’autres traditions
politiques que celle d’un Etat uniforme et centralisateur. L’égalité y est
définie comme le traitement similaire de situations similaires et le traitement
spécifique de situations spécifiques. Nous pouvons aussi profiter du débat sur
une citoyenneté européenne de résidence.
Nous
sommes en phase avec notre temps. Dans la nouvelle configuration des espaces
politiques que provoque le monde « global », et afin de prendre en
compte la réalité des migrations, il nous faut penser, en tous lieux, et donc ici,
une nouvelle citoyenneté fondée sur la résidence, notamment, un droit
fondamental à la citoyenneté pour les résidents quelle que soit leur origine.
A
un identitaire défensif qui privilégie un impossible repli sur soi et un
individu en guerre avec chacun pour survivre,
nous répondrons par la possibilité donnée à chaque individu installé
durablement de construire la société politique corse, de participer et de
contribuer au projet commun, de former une communauté de destin, le peuple
corse.
Nous
redirons les droits, notamment le droit de vote et l’accès au foncier, en
référence à une citoyenneté locale de résidence. Il conviendra de définir
précisément les critères d’une installation durable en Corse. Le projet est
ambitieux mais il répond à la nécessité pressante d’une alternative.
Faire
vivre les droits, tous les droits, rien que les droits, les droits de l’homme,
le droit au développement, le droit à un environnement sain, ici en Corse comme
ailleurs, en reconnaissant au peuple corse, les voies qui lui sont propres pour
atteindre des objectifs qui, eux, sont communs à l’humanité ; Tels sont
les termes « Pour un nouveau Riacquistu » que propose la Ligue des
Droits de l’Homme.
[1] Dans
les années 70, mouvement social de grande ampleur dont l’objectif est la
réappropriation d’une langue, d’une culture, d’une histoire et d’une mémoire
mutilées. Dans ce contexte de bouillonnement civique et associatif, une section
de la LDH fait également sa réapparition à Ajaccio.
[2] Le PADDUC définit une stratégie
de développement durable de la Corse pour les 20 à 30 prochaines années. Il
fixe les objectifs de préservation de l’environnement de l’île et son
développement économique, social, culturel et touristique. Il présuppose un
projet de société. En 2006, la majorité de droite élabore un PADDUC sur la base
d’un projet ultralibéral appelant à une dé-sanctuarisation de la Corse, et se
fondant sur une économie résidentielle (construction de 40000 résidences
secondaires), une remise en cause de la loi Littoral, le développement de
transports low-coast, le tout tourisme, une
société du précariat, … pour être compétitif. Pendant près de trois ans, ce
projet suscite une importante mobilisation de la société civile qui débouche
sur le retrait dudit projet et la défaite de la droite aux élections
territoriales de 2010