Une
idéologie dangereuse
André
PACCOU
Membre
du Comité central
et
de la section de Corse
de
la Ligue des Droits de l’Homme
Dans une tribune récente, « La
nation, les migrations » (1), « Denis Luciani, Militant nationaliste, Ecrivain, Historien, Membre
du Conseil économique et social », donne sa définition du peuple
corse. L’immigration conçue comme une invasion destructrice annonce la teneur
de son propos. Les antiracistes sont qualifiés de peureux et de lâches, et
les migrants, de prédateurs. Ils seraient « des espèces qui colonisent des espaces et font disparaître
d’autres espèces ». Le racisme ainsi exprimé est d’abord biologique et
inégalitaire puis s’affirme culturel et différentialiste pour revendiquer
l’abandon de la communauté de destin au profit d’ « une communauté charnelle ayant son atavisme ». Monsieur
Luciani se positionne, sans aucune ambiguïté, comme un homme d’extrême-droite.
Certes, il ne faut pas dramatiser. De tels discours demeurent à la marge
des idéaux qui animent notre société. Cependant monsieur Luciani occupe
des responsabilités dans la société civile. Il est le président d’une association
de parents d’élèves, et à ce titre, membre du Conseil économique et
social. Il est le porte-parole d’un collectif regroupant des organisations de
la jeunesse étudiante et lycéenne. La vigilance s’impose donc.
Dans sa signature, monsieur Luciani précise sa sensibilité politique. Ses
propos ne peuvent laisser indifférents celles et ceux qui revendiquent la même
sensibilité. Au-delà, ils sont une provocation pour les femmes et les hommes
qui partagent une vision humaniste de l’humanité, quelle que soit leur opinion.
C’est le front ouvert par l’idéologie prônée par monsieur Luciani. D’un
côté, ceux qui aspirent à une communauté de destin et refusent le racisme. De
son côté, l’ennemi intérieur, la xénophobie, le droit du sang, la communauté
charnelle. D’une part, les droits de l’Homme, la diversité, des sociétés
ouvertes, paisibles et solidaires ; d’autre part, l’inégalité entre les
hommes, l’obsession identitaire, la recherche de la pureté ethnique.
Monsieur Luciani, historien, met son savoir au service d’une idéologie. Sauf qu’il
faut manquer de rigueur historique pour comparer nos sociétés modernes avec
celles de l’Antiquité romaine. Ce raccourci lui permet d’associer les Barbares, « sans cesse plus gourmands et
demandant toujours plus », responsables selon lui de l’implosion de
l’empire, avec les mouvements migratoires actuels, qu’il appelle « des vagues », pour mieux surfer
sur certains fantasmes.
Et pour enfoncer le clou, monsieur Luciani précise les origines des
Barbares, énumérant certaines d’entre elles : « un général Maure de l’Atlas, un gouvernement originaire de
Maurétanie Césarienne (l’Algérie) », et pour finir la liste, « l’empereur Philippe l’arabe »,
au cas où le lecteur n’aurait pas compris qui est visé. Dès lors, chacun
comprend la démonstration : « la chute de l’empire romain est de
la faute aux Barbares », donc « la crise des sociétés
contemporaines est de la faute aux arabes ».
En donnant sa version de l’histoire monsieur Luciani néglige les recherches
des historiens qui n’attribuent pas aux Barbares la chute de l’empire romain et
il recourt à une confusion sémantique qui mêle à dessein les sens du mot
« barbare ». Pour les Romains comme pour les Grecs, ce terme
désignait l’ensemble des peuples étrangers identifiés par leur langue.
Aujourd’hui, il est synonyme de cruauté et de destruction. (Si les
peuples Barbares dont parlent les historiens étaient belliqueux, ils n’étaient
pas plus barbares que les autres !) En aucun cas, l’adjectif moderne
« barbare » ne peut caractériser un peuple. Tout au plus, il décrit
des comportements individuels présents dans toutes les sociétés humaines. Quant
au mot « barbarie », il dit des moments terribles de l’histoire,
conséquences d’idéologies haineuses contre une partie de l’humanité.
Or la démonstration de M.Luciani attire le lecteur vers ces horizons
inquiétants en définissant le peuple corse comme communauté charnelle.
D’autres avant lui en ont fait leur utopie funeste. Saint Loup (de son vrai
nom Marc Augier), le chantre des patries charnelles, a défini ce concept
raciste (2) :
« A la
base de l'Europe dont nous restons les porteurs lucides, apparaît donc la
notion raciale dans toute la mesure où un millénaire d'obscurantisme ne l’a pas
diluée dans l’indifférenciation biologique du « monde gris » qui se prépare…
L'Europe doit donc être repensée à partir de la notion biologiquement fondée du
sang, donc des races, et des impératifs telluriques, donc du sol. Voilà quel
est le contenu des « patries charnelles ». Il ne peut exister que de petites
patries charnelles nourries de cette double force… »
Relisons
ce que monsieur Luciani écrit dans sa tribune :
« Nous devons rejeter le droit
du sol français pour le droit du sang qui est notre conception historique de la
communauté corse….Je définirai le peuple corse d’hier, d’aujourd’hui et demain
ainsi : une communauté charnelle ayant une terre…, son atavisme …. ».
Comment ne
pas remarquer la proximité de ces deux textes. Revenons à Saint loup qui
précise l’origine de la patrie charnelle :
« Au Centre d'Etudes de
Hildesheim, au monastère SS « Haus Germania », nous avions dressé la carte des
« patries charnelles »… C'était une Europe racialement fondée et
dénationalisée. Je la considère comme parfaitement valable aujourd'hui car,
aujourd'hui comme hier, les Bretons ne sont pas des Niçois, les Basques des
Andalous, les Bavarois des Prussiens, les Corses des Picards et les Piémontais
des Siciliens ! Nous disions : chacun chez soi et les vaches seront bien
gardées. »
Monsieur
Luciani en dit trop, pour que ces propos restent sans réaction, ou pas assez,
en taisant ces références !
(1)
Denis Luciani, La Corse votre hebdo du 31 janvier au 6 février 2014
(2)
« Vers une Europe des « patries charnelles ?», La Revue Défense de
l’Occident n°136 de mars 1976