Communiqué LDH - Paris, le 19 février 2016
Comme on pouvait s’y attendre, le Conseil constitutionnel a validé, pour l’essentiel, le régime d’exception qu’impose l’état d’urgence en matière de manifestations et de fermetures de lieux de réunion. Il a aussi considéré que les perquisitions ordonnées par l’autorité administrative n’affectent pas « la liberté individuelle au sens de l’article 66 de la Constitution » et considère qu’un simple recours indemnitaire contre l’Etat, sans annulation de la mesure elle-même, constitue une voie de recours. Certes, le Conseil constitutionnel a émis un avis négatif sur les saisies en matière informatique pratiquées à l’occasion des perquisitions administratives. On doit s’en féliciter et inciter, en conséquence, les personnes qui en ont été victimes à entamer les recours nécessaires. Cependant ces décisions du Conseil, comme les précédentes, entérinent la mise à l’écart du juge judiciaire et rendent inutile toute constitutionnalisation de l’état d’urgence tant elles cautionnent déjà l’arbitraire et l’impunité de l’Etat. La LDH ne cessera pas, pour autant, son action de telle manière à ce que la France respecte ses engagements internationaux et que l’Etat de droit retrouve pleinement sa place.
Comme on pouvait s’y attendre, le Conseil constitutionnel a validé, pour l’essentiel, le régime d’exception qu’impose l’état d’urgence en matière de manifestations et de fermetures de lieux de réunion. Il a aussi considéré que les perquisitions ordonnées par l’autorité administrative n’affectent pas « la liberté individuelle au sens de l’article 66 de la Constitution » et considère qu’un simple recours indemnitaire contre l’Etat, sans annulation de la mesure elle-même, constitue une voie de recours. Certes, le Conseil constitutionnel a émis un avis négatif sur les saisies en matière informatique pratiquées à l’occasion des perquisitions administratives. On doit s’en féliciter et inciter, en conséquence, les personnes qui en ont été victimes à entamer les recours nécessaires. Cependant ces décisions du Conseil, comme les précédentes, entérinent la mise à l’écart du juge judiciaire et rendent inutile toute constitutionnalisation de l’état d’urgence tant elles cautionnent déjà l’arbitraire et l’impunité de l’Etat. La LDH ne cessera pas, pour autant, son action de telle manière à ce que la France respecte ses engagements internationaux et que l’Etat de droit retrouve pleinement sa place.
Article Le Monde.fr | 2016/02/19 :
Etat d’urgence : le Conseil constitutionnel censure les saisies informatiques lors des perquisitions
Les conseillers ont estimé que le législateur « n’a pas prévu de garanties légales » suffisantes propres à assurer un équilibre entre « droit au respect de la vie privée » et « sauvegarde de l’ordre public ».
Article LIBERATION :
Christine Lazerges : «L’état
d’urgence : un désastre pour la cohésion sociale»
La présidente de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), Christine Lazerges, met en garde contre la prolongation des restrictions des libertés et la déchéance de nationalité.
La présidente de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), Christine Lazerges, met en garde contre la prolongation des restrictions des libertés et la déchéance de nationalité.
Constitutionnalisation
de l’état d’urgence et extension de la déchéance de nationalité : tel est le
menu des députés, qui reprennent ce lundi les discussions sur le projet de
réforme constitutionnelle, avant un vote solennel mercredi. Sur ces deux
sujets, Christine Lazerges, présidente de la Commission nationale consultative
des droits de l’homme (CNCDH), dresse un réquisitoire sévère.
La France vit depuis trois mois en état d’urgence, une
disposition que le gouvernement souhaite prolonger. Quel bilan tire la
CNCDH ?
Nous allons soumettre un avis en assemblée plénière le 18 février, qui portera sur le suivi, les «bavures» de l’état d’urgence et le très difficile accès à la justice des personnes qui souhaiteraient contester une assignation à résidence ou une perquisition. Le bilan chiffré fait état de plus de 3 000 perquisitions et près de 400 assignations. En général, les ordres des préfets sont fondés sur des notes blanches, ce qui est critiquable. On a en effet peine à comprendre qu’on puisse aujourd’hui en France effectuer des perquisitions sur la base d’informations trop souvent ni datées, ni signées, si ce n’est par un service, et contre lesquelles il est dès lors très difficile de former un recours.
Nous allons soumettre un avis en assemblée plénière le 18 février, qui portera sur le suivi, les «bavures» de l’état d’urgence et le très difficile accès à la justice des personnes qui souhaiteraient contester une assignation à résidence ou une perquisition. Le bilan chiffré fait état de plus de 3 000 perquisitions et près de 400 assignations. En général, les ordres des préfets sont fondés sur des notes blanches, ce qui est critiquable. On a en effet peine à comprendre qu’on puisse aujourd’hui en France effectuer des perquisitions sur la base d’informations trop souvent ni datées, ni signées, si ce n’est par un service, et contre lesquelles il est dès lors très difficile de former un recours.
Quels sont les effets de l’état d’urgence sur
la population ?
Il faut
faire très attention au détricotage du lien social. Bien sûr, les chiffres du
ministère de l’Intérieur témoignent de saisies d’armes et de gardes à vue. Les
résultats quantitatifs peuvent laisser penser à une vraie efficacité de l’état
d’urgence au regard de certaines infractions pénales. Cela a été l’occasion de
démanteler des réseaux de trafiquants, en général de stupéfiants. Mais une
famille chez qui on perquisitionne, c’est aussi une famille qui subit un
traumatisme important, qui se sent discriminée et qui va être regardée
bizarrement par ses voisins. Elle aura en outre beaucoup de peine à obtenir
réparation de l’Etat pour les dégradations causées par les forces de l’ordre.
Certaines de ces familles développent subitement un sentiment de haine à
l’égard de la France. Quand on a le souci de la cohésion sociale et de lutter
contre les difficultés de l’intégration, on doit s’inquiéter des régressions
que l’état d’urgence peut entraîner.
Que préconisez-vous ?
Il y a eu
environ 80 recours en «référé liberté» pour des cas d’assignation à
résidence, mais très peu ont été suspendues. Le juge administratif n’a pas les
moyens d’enquêter sur des décisions prises à partir de notes blanches, et
d’exercer son contrôle de proportionnalité. C’est parole contre parole. Il faut
que ces notes soient articulées, datées dans tous leurs éléments, et signées.
Le projet de réforme de la procédure pénale inquiète
certains magistrats, qui redoutent l’extension de mesures d’exception au régime
de droit commun. Partagez-vous ces craintes ?
Le ministre
de l’Intérieur, que nous avons reçu à la CNCDH, assure qu’il n’y a pas de
glissement de l’état d’urgence dans le droit commun. Mais nous avons
suffisamment examiné ce projet pour constater que le champ de la procédure
pénale bis ou d’exception s’étend et se durcit. Et on introduit dans la
procédure de droit commun des éléments inspirés de ce qu’autorise l’état
d’urgence.
Certains responsables politiques assurent que la
France va rester longtemps dans une situation d’état d’urgence. Jusqu’à
l’éradication de l’organisation Etat islamique, selon Manuel Valls… Est-ce
dangereux ?
C’est facile
d’entrer dans l’état d’urgence, mais très difficile d’en sortir. Il faut un
courage politique fort. Par nature, l’état d’urgence, qui est un contournement
exceptionnel de l’état de droit, doit s’inscrire dans un temps aussi court que
possible. Il bafoue suffisamment un certain nombre de libertés pour ne pas
durer. Nous n’imaginons pas qu’il puisse continuer jusqu’à ce qu’il n’y ait
plus de risque terroriste, car le risque zéro n’existe pas. Par ailleurs, la
relation entre l’état d’urgence et la prévention du terrorisme est très
difficile à établir. Il pourrait parfaitement se produire un attentat dans
cette période. A ce moment-là, qu’est-ce qu’on dirait ?
Trois quarts des Français disent y être
favorables…
L’état
d’urgence crée en effet un plus grand sentiment de sécurité, mais il faut
mettre en parallèle les désastres en terme de cohésion sociale et de
stigmatisation de populations très majoritairement d’origine maghrébine.
La laïcité fait l’objet d’un vif débat aujourd’hui.
Manuel Valls a critiqué Jean-Louis Bianco, le président de l’Observatoire de la
laïcité, pour avoir signé la tribune «Nous sommes unis», l’accusant de ne pas
défendre assez fortement cette notion…
Cela fait
partie des erreurs aux conséquences lourdes que peut commettre un parlementaire
ou un Premier ministre. La laïcité est un principe de liberté, assorti d’une
neutralité de l’Etat dans le service public, mais absolument pas dans l’espace
public. La loi de 1905 est une loi d’apaisement, de vivre-ensemble. Réveiller
des diables est très dommageable, c’est un débat d’arrière-garde qui ne rend
service à personne. Car encore une fois, c’est stigmatisant pour une religion,
la religion musulmane, déjà accusée de beaucoup de maux.
La question du voile polarise les discussions. Qu’en
pensez-vous ?
Comme
professeure de droit, j’ai eu dans mes amphithéâtres des femmes voilées, des
religieuses, ou même des séminaristes en soutane. Faudrait-il expliquer comment
on doit s’habiller à l’université, lieu du débat par excellence ? C’est
vraiment se poser des questions qui n’ont pas lieu d’être. D’autant plus que
c’est par les étudiantes d’origine maghrébine, qui doivent souvent batailler
pour poursuivre des études supérieures, que l’intégration se développera. De la
même façon, nous défendons à la CNCDH le fait que les mères portant le voile
puissent accompagner les sorties scolaires. Et avec des arguments de droit
administratif ! Elles ne sont pas des agents du service public, elles demeurent
des mamans, et sont d’ailleurs traitées comme telles : elles sont bénévoles et
accompagnent leurs enfants. Il n’y a pas à contrôler leur habillement.
Le projet de révision constitutionnelle comporte aussi
un volet sur la déchéance de nationalité. Quelle est votre position sur ce
dossier ?
La CNCDH est
radicalement hostile à un élargissement au-delà de ce qu’en dit le code civil
aujourd’hui. On pourrait éventuellement renforcer les sanctions pénales en
matière de privation de droits, mais on ne doit pas créer d’apatrides. Ces deux
mois de débat autour de la déchéance ont été non seulement inutiles, puisque
les terroristes souhaitent se faire exploser avec leurs bombes, mais ils
risquent aussi de conduire à bafouer les droits fondamentaux. Le tout au prix
d’une stigmatisation assurée des binationaux, dont la majorité sont d’origine
maghrébine. Je ne m’explique toujours pas pourquoi le président de la
République s’est enferré sur ce sujet. Personne n’est infaillible. Il avait le
droit et le devoir de revenir sur sa proposition.
Là encore, on peut vous opposer que la population est
favorable à cette mesure…
On peut
comprendre que les gens disent «bien sûr» à la déchéance quand on parle d’un
terroriste barbare. Il faut en avoir fait l’analyse juridique, en termes
d’effets collatéraux, de stigmatisation, de renforcement du racisme, pour aller
plus loin. Dès qu’on comprend que cette mesure correspond à exporter ces
terroristes ou à en faire je ne sais quoi en France, si on ne veut pas
d’apatride, on se dit «pourquoi ?»
On a l’impression que des digues tombent les unes
après les autres, sous l’action d’un gouvernement de gauche. Cela vous
inquiète-t-il, à un an de l’élection présidentielle où le Front national
pourrait jouer un rôle important ?
J’aurais à
l’évidence préféré que le gouvernement reste ancré à gauche et sur des valeurs
qui l’ont longtemps rassemblée. On me dit que c’est naïf et angélique, mais il
fut un temps où la gauche privilégiait la garantie des libertés au rêve d’une
sécurité absolue. C’était le cas de ma génération. Il y a aujourd’hui une vraie
évolution générationnelle, pas seulement sur le terrorisme, mais aussi en
sécurité environnementale, sanitaire, thérapeutique. Les choses ont beaucoup
bougé. Or, la plus grande victoire des terroristes serait de mettre en péril
l’Etat de droit. Il faut évidemment prendre des mesures pour que le risque
terroriste soit minimal, mais pas en bafouant ce qui a fait de la France le
pays des droits de l’homme. D’ailleurs, aujourd’hui, à la CNCDH, on se contente
de dire : «le pays de la déclaration des droits de l’homme».