Ecouter la Cérémonie d'hommage à Michel TUBIANA le vendredi 5 novembre à la Maison du Barreau de Paris.
Hommage d'André PACCOU à Michel TUBIANA :
"Cher-e-s
ami-e-s,
Ce
soir, Michel nous lance une belle invitation. Au travers de son parcours
militant, il nous convie à voyager parmi les hommes et leurs combats pour
davantage d’humanité à conquérir et à partager. Et c’est en Corse qu’il me
demande de vous emmener à la rencontre de cette petite terre au milieu de la
Méditerranée, sa mer. Michel était un enfant de la Méditerranée.
A
quoi pensait-il, lorsque venant en Corse, entre réunions publiques, conférences
de presse, rencontres avec des élus, il se posait quelques instants et
contemplait au loin le ciel se confondre avec la mer, le regard projeté vers
l’autre rive. Je suis convaincu que c’est de cette autre rive, au plus profond
de lui, dans son histoire algérienne que Michel nourrissait ce qui fut « son plus beau travail d’homme, celui d’unir
les hommes », celui d’œuvrer pour la paix.
Pas
de ces fausses paix qui à peine signées grimacent derrière le dos des hommes
préparant de nouvelles guerres. Mais la paix-concorde qui va chercher ce qu’il
y a de meilleur chez les hommes : la fraternité.
Michel
était convaincu que cette recherche était profondément une affaire de femmes. Je
n’oublie rien de ces moments partagés avec Souhayr Belhassen et Michel, avec
Leïla Chahid et Michel, en Corse, ce petit jardin de notre maison commune, la
Méditerranée, où on parla de paix au Proche-Orient et de printemps arabes
contre des tyrans.
Ce
fut avec la même conviction que Michel s’engagea à la fin des années 90 contre
les assassinats entre nationalistes, véritable défi à l’avenir de la société
corse toute entière. Il affirma avec force le soutien de la LDH au Manifeste
des femmes corses contre la loi des armes.
La
paix-concorde que portait Michel dans ses combats avait un fondement premier :
la reconnaissance de l’autre, son égal, notre égal, son émancipation et donc
notre émancipation. En Nouvelle Calédonie, en Palestine, au Pays Basque. Et en
Corse, avec le peuple corse à qui il souhaita « longue vie » à l’issue du colloque national « La Corse en mouvement » organisé à
Ajaccio en octobre 2001 sous sa présidence à la tête de la ligue des droits de
l’Homme. Nous étions alors dans un dialogue à peine renoué entre la Corse et le
gouvernement près de quatre ans après l’assassinat du préfet Claude Erignac qui
fut suivi d’une répression hors norme pendant dix-sept mois.
Ce
colloque fut un moment important. Il rappela la dimension politique de la
question corse au sein de la ligue des droits de l’homme, au cœur de la
relation entre le singulier et l’universel. Il trouva sa conclusion par l’adoption
d’une résolution au congrès de Niort en 2013 « République, diversité territoriale et universalité des droits » qui actait l’existence du peuple corse, revendication désormais commune
à toutes les ligueuses et à tous les ligueurs de France.
Enfin, dernière étape de notre voyage en
Corse, une étape douloureuse, avant quelques mots de conclusion. Une étape pour
dire un autre engagement indélébile de Michel : sa solidarité avec les
ligueuses et les ligueurs de Corse, une solidarité partagée au creux de la plus
profonde des peines : l’assassinat d’Antoine Sollacaro, grand avocat,
militant nationaliste qui fut président de la section de Corse de la LDH au
début des années 90. « Un homme révolté
contre toute forme d'injustice » pour reprendre ici
l’intitulé de la tribune de Michel parue dans le journal Le Monde au lendemain
de cet assassinat.
Je garde en mémoire comme un
présent la proposition que me fit alors Michel de co-signer cette tribune comme
on fait une accolade affectueuse à des amis, à Christine, à moi-même et à nos
enfants, meurtris par la disparition violente d’un être cher. Imaginez Michel
dire les mots qui vont suivre. Ecoutez la gravité de son propos.
« La faute des
autorités publiques n'est pas d'être inactive : c'est d'avoir confondu, depuis des décennies, le maintien de l'ordre et la paix
publique, d'avoir cru que les rodomontades autoritaires pourraient pallier le sous-développement économique, le tourisme de carte postale ou
les petits arrangements entre amis érigés en mode de vie. Au point
où, maintenant depuis trop longtemps, les frontières deviennent floues entre
l'action politique de certains, les intérêts d'autres et le souci des pouvoirs publics
que tout cela reste un folklore à dominante locale, faisant de la Corse et de
ses habitants, les pensionnaires d'un vaste zoo à ciel ouvert que les
vacanciers viennent regarder vivre avec leurs drôles de mœurs et de coutumes …
On ne peut s'en prendre aux carences de l'Etat sans en même temps interpeller la
société corse sur ses ressorts et ce
qui fait qu'il est possible qu'une communauté de 300 000 personnes tolère que
les cadavres parsèment ses rues et ses chemins. Cette espèce d'hymne à la mort
qui est fredonné depuis des décennies par les milieux les plus divers n'a pas
encore trouvé son frein naturel, c'est-à-dire son rejet par la communauté
elle-même. Non que l'indignation ne soit pas sincère, comme elle le fut à
d'autres occasions, mais plus simplement l'acceptation tacite d'une sorte de
rite qui va de pair avec d'autres stigmates.
Et de conclure la tribune par cet appel : « A la société corse de montrer qu'elle ne reconnaît pas le droit d'abattre quiconque comme un chien. C'est bien le moins que l'on doit à la mémoire
d'un homme qui aima son pays et la liberté. »
Michel avait l’âme d’un
dreyfusard. Chacun sait la profondeur de cet engagement, l’humain et le
politique enlacés, confondus, inséparables. Michel était un humaniste militant.
Ce soir, évidemment, nous sommes tristes mais nous avons le privilège d’avoir
partagé tant de voyages avec Michel."
Ajaccio, le 31 octobre
2021,
André Paccou
L’avocat Michel Tubiana, lors d’une conférence de presse, à
Ajaccio, en 2010. STEPHAN AGOSTINI / AFP Le
Monde Publié le 02 octobre 2021