Après l’appel « NOUS NE CÉDERONS PAS ! »,
une centaine d’organisations ont rendu public le texte « Sortir de l’état
d’urgence » au cours d’une conférence de presse, le 17 décembre 2015.
En réaction à l’horreur des attentats, l’état
d’urgence a été décrété par le gouvernement, puis aggravé et prolongé pour une
durée de trois mois. Nos organisations ont immédiatement exprimé leurs craintes
vis-à-vis de ce régime d’exception ; ces craintes sont aujourd’hui confirmées
par l’ampleur des atteintes aux libertés constatées depuis quelques semaines.
Nous assistons à un véritable détournement de l’état d’urgence qui cible
également des personnes sans aucun lien avec des risques d’attentat. Ces abus
doivent cesser.
La volonté de se rassembler et de manifester ensemble a prévalu après les
attentats commis à Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher de
Vincennes, en janvier 2015. Elle prévaut encore. Or, depuis le 13 novembre
2015, les interdictions visant les mobilisations sur la voie publique se
multiplient. Manifester n’est plus un droit, et les rares concessions accordées
par les préfectures, qui attendent souvent le dernier moment pour informer de
leurs intentions, entravent dans les faits son exercice.
Le ministère de l’Intérieur justifie tout cela par son
incapacité à sécuriser les parcours alors même qu’il autorise, dans le même
temps, les rencontres sportives et des événements tels que les marchés de Noël,
qui se tiennent sur la voie publique. L’interdiction des rassemblements et
manifestations entraîne la multiplication des arrestations, des gardes à vue,
des assignations à résidence, un fichage policier des militants, et, pour
quelques-uns, des condamnations. Qui peut croire que cela soulage les
autorités ? La censure, ici, s’avère doublement contreproductive…
L’état d’urgence autorise par ailleurs des
perquisitions sur ordre des préfectures, de jour comme de nuit, en dehors de
tout cadre judiciaire, sur le fondement de fiches possiblement erronées, de
dénonciations, d’informations et de soupçons sujets à caution. Plus de deux
mille six cents intrusions discrétionnaires sont intervenues à domicile, dans
des mosquées, des commerces, interventions souvent violentes, sans qu’aucune
mise en examen pour terrorisme n’ait eu lieu. Rien n’indique qu’une telle
frénésie va s’arrêter, chacun peut en être victime.
Les assignations à résidence se multiplient sur la
base de motifs aussi vagues que la présence sur le lieu d’une manifestation ou
le fait de « connaître » tel ou tel individu. Ces graves restrictions
sont appliquées, sans distinction, et de manière massive, d’autant que les
juridictions administratives ont montré qu’elles s’en accommodent, quitte à ce
que les libertés en souffrent. Elles reprennent à leur compte toutes les
allégations du ministère de l’Intérieur et, comble de la démission, sont
nombreuses à considérer qu’il n’y aurait pas d’urgence à statuer sur l’état
d’urgence.
L’état d’urgence et le climat de guerre intérieure
alimenté par le gouvernement contribuent au renforcement des amalgames et aux
pratiques discriminantes, notamment de la part des forces de police. Ce ne sont
pas « les terroristes qui sont terrorisés », ce sont des jeunes et
des populations victimes de l’arbitraire en raison de leur origine et/ou de
leur religion qui voient leur situation encore davantage fragilisée.
Reprenant à son compte les exigences de l’extrême
droite, FN en tête, le gouvernement s’engage honteusement dans une modification
de la Constitution visant à étendre la déchéance de la nationalité aux
binationaux nés en France.
Ces multiples atteintes portées au contrat
démocratique sont une mauvaise réponse aux actes terroristes. Notre pays a été
blessé, mais loin d’en apaiser les plaies, l’état d’urgence risque de les
exacerber en appauvrissant notre démocratie, en délégitimant notre liberté.
Dans ces circonstances, nous appelons les pouvoirs publics
à :
·
jouer leur rôle de garants de la défense des droits et
des libertés publiques ;
·
rétablir, sans délai, le droit plein et entier de
manifester ;
·
cesser les perquisitions et les assignations à
résidence arbitraires et à agir dans le cadre de procédures judiciaires ;
·
mettre en place des garanties effectives de
contrôle ;
·
lever l’état d’urgence ;
·
renoncer à une réforme constitutionnelle préparée dans
l’urgence et au contenu inacceptable.
Paris, le 17 décembre 2015
Signataires :
AFD International, Agir pour le changement
démocratique en Algérie (Acda), Altertour, L’Appel des appels, Assemblée
citoyenne des originaires de Turquie (Acort), Association démocratique des
Tunisiens en France (ADTF), Association française des juristes démocrates
(AFJD), Association France Palestine solidarité (AFPS), Association Grèce
France Résistance, Association interculturelle de production, de documentation
et de diffusion audiovisuelles (AIDDA), Association des Marocains en France
(AMF), Association pour la reconnaissance des droits et libertés aux femmes
musulmanes (ARDLFM), Association des travailleurs maghrébins de France (ATMF),
Association des Tunisiens en France (ATF), Association des universitaires pour
le respect du droit international en Palestine (Aurdip), Attac, Cadac,
Cedetim, Centre islamique Philippe Grenier (CIPG), Centre de recherche et
d’information pour le développement (Crid), CGT-Police Paris, Collectif 3C,
Collectif des 39, Collectif CGT Insertion-Probation (UGFF-CGT), Collectif Judéo
Arabe et Citoyen pour la Palestine (CJACP), Collectif Stop le contrôle au
faciès, Confédération générale du travail (CGT), Confédération nationale du
logement (CNL), Confédération paysanne, Conseil national des associations
familiales laïques (Cnafal), Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF),
Collectif des féministes pour l’égalité (CFPE), Collectif Memorial 98,
Collectif des musulmans de France (CMF), Collectif national pour les droits des
femmes (CNDF), Comité pour le développement et le patrimoine (CDP), Comité pour
le respect des libertés et des droits de l’Homme en Tunisie (CRLDHT),
Commission islam et laïcité, Confédération syndicale des familles (CSF),
Coordination de l’action non-violente de l’Arche (Canva), Coordination des
collectifs AC !, Droits devant !, Droit au logement (Dal), Droit
solidarité, Emmaüs France, Emmaüs International, Euromed Feminist Initiative
(IFE-EFI), Fédération internationale des Ligues des droits de l’Homme (FIDH),
Fédération nationale de la Libre pensée, Fédération des Tunisiens citoyens des
deux rives (FTCR), Femmes Solidaires, Filles et fils de la République (FFR),
Fondation Copernic, Fondation Danielle Mitterrand France Libertés, Genepi,
Ipam, La Cimade, La Ligue de l’enseignement, La Quadrature du Net, Le Gisti, Le
Mouvement de la paix, Les Amoureux au ban public, Les Céméa, Ligue des
droits de l’Homme (LDH), Maison des potes, Mamans toutes égales (MTE),
Minga-agir ensemble pour une économie équitable, Mouvement contre le racisme et
pour l’amitié entre les peuples (Mrap), Observatoire international des prisons
(OIP) – section française, Organisation de femmes égalité, Osez le
féminisme !, Planning familial, Réseau d’alerte et d’intervention pour les
droits de l’Homme (RaidH), Réseau éducation sans frontières (RESF), Réseau
euromaghrébin culture et citoyenneté (REMCC), Réseau Euromed France (REF),
Réseau Immigration Développement Démocratie (IDD), SNJ-CGT, SNPES-PJJ/FSU,
Solidaires étudiant-e-s, Solidarité laïque, Sud Intérieur, Syndicat des avocats
de France (Saf), Syndicat français des artistes interprètes (SFA), Syndicat de
la magistrature, Syndicat de la médecine générale, Syndicat national des arts
vivants (Synavi), Syndicat national des journalistes (SNJ), Syndicat national
unitaire interministériel des territoires, de l’agriculture et de la mer
(SNUITAM – FSU), Syndicat national travail emploi formation professionnelle –
CGT (SNTEFP-CGT), Unef, Union générale des fédérations de fonctionnaires
CGT (UGFF-CGT), Union juive française pour la paix (UJFP), Union nationale lycéenne
(UNL), Union syndicale de la psychiatrie (USP), Union syndicale Solidaires,
Union des travailleurs immigrés tunisiens (Utit).
Associations locales et autres :
Asti 93, Collectif 07 stop au gaz et huile de schiste,
Collectif BDS Saint-Etienne, Collectif Justice & Libertés
(Strasbourg), Collectif Maquis de Corrèze, Collectif Romeurope 94, la
revue Ecole émancipée, Espace franco-algérien, Faucheurs
volontaires de la Loire, la revue Inprecor, le journal Regards, Réseaux
citoyens Saint-Etienne, Vigilance OGM 18.