TRIBUNE. Henri Leclerc, avocat, président d'honneur de la LDH :
"Nos libertés doivent résister à la barbarie"
Le 1 novembre
2020 -
· La République ne peut agir qu'en respectant ses principes fondamentaux", assure Henri Leclerc, avocat et président d'honneur de la Ligue des droits de l'Homme (LDH).
Henri
Leclerc, avocat pénaliste et président d'honneur de la Ligue des droits de
l'Homme (LDH), appelle au sang-froid après les attentats qui ont marqué la
France, tels que l'assassinat de Samuel Paty ou
encore l'attaque au couteau de la basilique
Notre-Dame à Nice. "La République ne peut agir qu'en respectant
ses principes fondamentaux", assure-t-il, en questionnant l'efficacité des
"restrictions sécuritaires de la liberté de tous". Voici sa tribune
dans le JDD.
"La
Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948 proclame dans
son préambule que la plus haute aspiration de l'homme est 'l'avènement d'un
monde où les êtres humains seront libres de parler et de croire, libérés de la
terreur et de la misère'. La liberté de parler, c'est la liberté
d'expression que l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme
et du citoyen de 1789 proclame comme l'un des droits les plus
précieux. Quant à la liberté de croire, ce n'est rien d'autre de la liberté de
conscience, fondement de la laïcité proclamée par la grande loi du 9 décembre
1905 et inscrite à l'article premier de notre Constitution comme une
caractéristique essentielle de la République.
Nous sommes tous saisis d'effroi et de colère
Ces valeurs fondamentales viennent
d'être dévastées de façon barbare par des hommes qui, semant la terreur, ont
assassiné d'abord un professeur qui, dans une école laïque, enseignait aux
enfants ce qu'était cette liberté de parler, puis, dans une église, trois
personnes qui manifestaient leur liberté de croire. Nous sommes tous saisis
d'effroi et de colère. La République attaquée dans ses fondements doit réagir.
Il faut bien sûr punir ceux qui ont commis ces actes et ceux qui ont été, d'une
façon ou d'une autre, leurs complices. C'est l'affaire de la justice qui agit
et punit selon les lois qui existent au moment du crime. Elles sont
rigoureuses.
En faut-il de nouvelles? Depuis
1995, au fur et à mesure que des actes terroristes secouaient la société
française, la réponse a toujours été plus spectaculaire qu'efficace. Plus de
trente lois ont été promulguées en vingt-cinq ans. Au nom de la sécurité, elles
ont réduit l'espace des libertés. La République ne peut agir qu'en respectant
ses principes fondamentaux, qui sont comme son âme et que haïssent tant les
assassins fanatiques. Est-on bien certain que ces restrictions sécuritaires de
la liberté de tous soient efficaces? Nicolas Sarkozy vient de dire, parlant de
l'attentat de Nice, que 'la France doit faire preuve d'une détermination sans
faille' mais aussi 'd'un grand sang-froid afin de ne pas tomber dans le piège
dans lequel les ennemis de la démocratie veulent nous attirer'. Je ne peux
qu'être d'accord avec lui sur ce point.
Alors comment combattre pour que
cessent ces crimes? Certes, il faut continuer d'affirmer que, comme le dit la
Cour européenne des droits de l'homme, la liberté d'expression vaut aussi pour
les idées qui choquent, heurtent ou inquiètent une partie de la population,
tout en prenant conscience qu'il faut apprendre à ceux qui en souffrent que ce
sont là les principes d'ouverture et de tolérance nécessaires dans une société
démocratique. Sans doute faut-il mieux délimiter les frontières de la liberté
d'expression en encadrant les réseaux sociaux qui ne peuvent être toujours
irresponsables, tout en veillant au respect du droit et des formes qu'a rappelé
récemment le Conseil constitutionnel.
Ce ne sont pas la vengeance ni la désignation de boucs émissaires qui
réussiront à réunir aujourd'hui notre société fracturée
Comment retrouver l'unité nationale
et éviter que des enfants disent qu'ils 'ne sont pas Charlie'? Samuel Paty, qui
leur enseignait les droits de l'homme, faisait courageusement ce qu'il pouvait.
Il en est mort. Faut-il pour autant abandonner son combat? Faut-il faire la
guerre, comme le préconise Marine Le Pen? Mettre en cause les rayons halal ou
kasher, comme le fait Gérald Darmanin? Ressortir des tiroirs la déchéance de
nationalité, qui brisa la majorité de gauche de François Hollande et qu'il a
dit regretter? Dissoudre des associations en dehors des strictes limites
placées dans le Code de la sécurité intérieure au risque de se faire censurer
par le Conseil d'Etat?
Ce ne sont pas la vengeance ni la désignation de boucs émissaires qui réussiront à réunir aujourd'hui notre société fracturée. Depuis des décennies, celle-ci est minée par la ségrégation sociale. Où sont passées les ambitions du rapport Borloo, abandonné dans le fossé? Qui oserait nier les discriminations dans certains territoires, et la misère, dont le préambule de la Déclaration universelle demandait que les hommes soient libérés au même titre que de la terreur?"