Corse-Matin 18/06 :
LIBERATION - Pride
En Corse, une première Marche des fiertés «pour ne pas avoir à choisir entre son île et son identité sexuelle»
Pour la première fois sur l’île, une Pride aura lieu ce samedi 17 juin. Une initiative portée par des associations enthousiastes qui, disent-elles, n’ont pas reçu de soutien des élus du territoire, réputé pour son conservatisme.
La marche doit commencer à 17 heures, du palais de justice de Bastia à la place Saint-Nicolas. (Roland Macri/Hans Lucas. AFP)
par Gaspard Couderc publié le 17/06
Placée
sous le signe de l’allégresse, la première Marche des fiertés de Corse aura
lieu ce samedi 17 juin à partir de 17 heures, depuis le palais de justice de
Bastia jusqu’à la place Saint-Nicolas. «On a vraiment envie de revendiquer
une joie, une fierté, annonce Livia Casalonga, secrétaire de l’association
de lutte contre l’homophobie et la transphobie Arcu – «arc-en-ciel» en corse –
à l’origine de la Pride. C’est très émouvant pour nombre d’entre nous,
de célébrer des identités multiples, des parcours différents.»
Mener
le combat pour l’inclusion et contre l’homophobie en Corse est aussi primordial
pour la militante LGBT que son attachement à l’île. «On marche parce
qu’on aime cette île, c’est la terre qui nous a vus grandir. On ne veut pas
avoir à choisir entre la Corse et son identité sexuelle. On veut pouvoir tenir
la main de notre copain ou de notre copine dans la rue sans subir de
l’homophobie», explique-t-elle. Anita Rao, directrice départementale
du collectif antiraciste Avà Basta («ça suffit» dans la langue), abonde : «Parce
que nous sommes le seul collectif antiraciste de Corse, nous nous devions
d’encourager cette marche. Lutter contre le racisme, c’est aussi lutter contre
toutes les formes de discriminations.»
«Aucun soutien institutionnel»
Sur
un territoire réputé pour son conservatisme, l’annonce de la Marche des fiertés
a déclenché une vague de critiques et d’insultes à caractères homophobes et
transphobes, et a exacerbé les tensions sur les réseaux sociaux. Selon l’Arcu,
il y a une inquiétude sur d’éventuels débordements en marge de la
manifestation. La préfecture de la Haute-Corse confirme à Libé qu’elle «fera
l’objet d’une vigilance toute particulière avec la mise en place d’un
dispositif adapté par les forces de l’ordre».
Ce
dispositif de sécurité marque la seule implication des pouvoirs publics dans
l’organisation de l’événement dont le crédit n’est à imputer ni au gouvernement
ni aux élus locaux. Déjà en 2018, les visages étaient crispés, incrédules,
lorsque Frédéric Potier, le délégué interministériel à la lutte contre le
racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT, propose d’organiser une Pride
en Corse. Une annonce dans le décor solennel de l’Elysée où sont présents
l’asso Inter-LGBT, Emmanuel Macron et Marlène Schiappa. La secrétaire d’Etat,
originaire de l’île, va prendre au mot Frédéric Poitier, et tenter d’instaurer
une Pride en Corse. Il aura fallu attendre cinq ans pour qu’enfin elle se
tienne.
Et
cet exploit sera finalement réalisé par des acteurs associatifs locaux. Livia
Casalonga déplore de ne pas avoir eu d’aide des pouvoirs publics : «On
n’a eu aucun soutien institutionnel, pas plus des élus locaux, régionaux ou
nationaux.» Mais elle a pu tout de même compter sur le soutien de plus
de 14 organisations. Plusieurs syndicats en font partie (dont la CGT, la FSU,
la CFDT) des partis politiques (PCF, LFI, l’Union communiste libertaire), des
mouvements politiques corses (A Manca, Inseme à Manca), des associations
antiracistes (Avà Basta, Ligue des droits de l’homme) et des associations
féministes (Zitelle in Zerga, Main violette Corse).
Longtemps invisibilisée
En
Corse, organiser une Pride avait tout d’un défi. Dans le communiqué appelant à
aller marcher samedi, l’Arcu dissèque l’homophobie sur l’île par le menu et
parle de «harcèlement, d’humiliations et d’agressions» – on se
souvient de la violente attaque
contre un couple homosexuel en 2021 au cap Corse – mais
aussi de façon plus insidieuse de «l’exclusion de leurs foyers [des
personnes LGBT +], les remarques, les questions déplacées ou la pression du
groupe». En 2020, Frédéric Poitier avait par ailleurs affirmé à France
3 qu’en Corse, «nous voyons bien que pour des collégiens et des
lycéens, cela reste un tabou difficile à lever. Et là encore, il faut trouver
les outils les plus adaptés». La secrétaire de l’Arcu, fondée en 2019,
se désole de son côté qu’«être homosexuel, c’est mettre en danger l’identité
régionale. C’est comme si nous n’étions pas de vrais Corses. Selon certains,
être une personne LGBT + ici c’est impossible, on est forcément le produit des
métropoles».
Bien que longtemps invisibilisée, la lutte pour les droits des LGBT + en Corse prend de l’épaisseur ces dernières années. Un premier rassemblement anti-homophobie avait eu lieu en août 2021 à Bastia, marquant le début d’un mouvement de fond et, selon la directrice du collectif Avà Basta, des mariages homosexuels y sont célébrés depuis deux ans. La principale raison de ce nouveau souffle serait une «force militante qui est grandissante. On a vu par exemple qu’à l’Arcu les adhésions sont en hausse», se réjouit Livia Casalonga, avec l’instauration d’une Pride annuelle en ligne de mire : «On espère que ça sera la première marche et pas la dernière. On aimerait beaucoup que ça dure.»